L’enquête progresse

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 Les apéritifs arrivent dans de grands verres ballon. Un liquide orange foncé, presque rouge et légèrement pétillant surmonté d’une rondelle d’orange.

 Devant mon air surpris, la serveuse et Antarès disent, en même temps « Spritz per la dona. » Je crois rêver, la jeune femme lui lance une œillade et lui sourit. Non mais, pas touche ! Quant à toi, tu pouvais bien jouer le jaloux, mais je vois clair dans ton jeu avec la jolie serveuse, hein !

 Dès qu’elle est partie, non sans se retourner vers lui à deux reprises, il reprend, tout bas.

 « Raconte-moi ce qu’il s’est passé, chaque détail peut compter. »

 Je lui décris tout à partir de sa crise de panique. Il m’arrête au moment où je lui parle du bateau auquel les MIB semblaient tant s’intéresser. Je lui montre le cliché sur lequel j’ai capturé l’embarcation qui s’en allait voguer sur d’autres rives au milieu de ses frères vaporettos.

 Il m’arrache presque le smartphone des mains, zoome, dézoome (je commence à croire que c’est une passion chez lui.) Son visage affiche soudain une expression de victoire, non seulement il jubile, mais en plus sa teinte se modifie légèrement, la couleur chaire de sa peau bronze légèrement avant de reprendre sa couleur initiale. Extra-terrestres ou pas, les mecs ont toujours la même expression jubilatoire quand ils atteignent un objectif.

 « C’est un taxi, il a dû transpporter ceux que tes émaille bi poursuivent.

 — Ca se dit M… I… B…, lui réponds-je en prenant soin de bien séparer les lettres.

 — Bah, qu’est-ce que j’ai dit ?

 — C’est pas grave. Laisse tomber et rends-moi mon téléphone. »

 — Il faudrait savoir qui a embarqué dans le taxi, et où il les a déposés, répond Antarès au lieu de me le rendre.

 — Quelle importance est-ce que ça a, au fait ?

 — On va demander à la serveuse, elle doit savoir comment retrouver un taxi à partir de son numéro. »

 J’ai du mal à cacher mon agacement, je soupire et regarde dans la rue. Deux flics discutent en avançant dans notre direction. Il est assez facile de les remarquer, ils ressemblent à Laurel et Hardy, un très grand et costaud, larges épaules et belle tête et un second, moins grand et dont l’uniforme pourrait accueillir deux gars comme lui, en se serrant un peu. C’est certainement à cause de l’uniforme, mais je ne le reconnais pas tout de suite, quelque chose dans son attitude réservée me saute finalement aux yeux : Pierre !

 Alors qu’Antarès tente de héler la serveuse, je lui arrache mon smartphone des mains.

 « Laisse tomber ! J’ai peut-être un moyen !»

 Je sors dans la rue, au moment où les deux poulets arrivent devant l’entrée du restau. Je me précipite vers Pierre. J’ai préparé ma phrase, elle sort comme dans un rêve (je vous la sers en français.)

 « Bonjour, Messieurs les Agents »

 Le grand porte la main à sa casquette et arbore un grand sourire aimable. Pierre, quant à lui, semble d’un coup intimidé. Il rosit et balbutie un buongiorno. Je ne le laisse pas en placer une (d’une part, car je risque d’oublier ce que je veux dire, de l’autre pour appuyer mon avantage.)

 « J’aimerais retrouver des gens avec qui j’étais dans le train, car ils ont oublié des affaires et j’aimerais les leur rendre. Je suis sorti le plus vite possible de la gare, mais je n’ai pas pu leur parler avant qu’ils ne prennent un taxi…

 — Oui, heu, répond alors Pierre en rougissant.

 — J’ai pris une photo du taxi en question, peut-être pourriez-vous me dire comment le retrouver, enchaîné-je en mettant mon téléphone sous les yeux de Pierre pendant que son collègue se retient d’éclater de rire en assistant à la scène.

 Il prend le GSM, regarde le numéro, hésite un peu. Pendant ce temps, je jette un œil sur Antarès, à travers la vitre, il semble s’impatienter. Pierre se décide enfin, il me rend l’appareil et décroche son talkie-walkie et passe un appel dont je ne saisis pas les paroles. Il me fait signe de patienter. Son grand collègue s’approche en souriant, sa démarche est assez souple, avec un petit mouvement des épaules. Mon détecteur de gros lourd commence à clignoter, il s’affole complétement lorsqu’il me jette un regard pénétrant. Bon d’accord, il est pas mal du tout, mais il se dégage de lui une impression de manque de discernement. Alors qu’il va prendre la parole, Silvio lui coupe l’herbe sous le pied.

 « Le taxi appartient à Lodovico Ferreti, son numéro est le 3394 954 138…

 — Lodovico, mais je le connais, intervient le grand benêt, si vous le souhaitez, je peux l’appeler. » Rajoute le grand lourdaud avec un irrésistible sourire.

 Pierre se renfrogne alors que son collègue décroche son téléphone, non sans accompagner chacun de ses gestes d’un regard dans ma direction.

 « Que voulez-vous savoir, Bella Dona ? me demande le nigaud.

 — Elle veut savoir où ton ami a déposé ses clients de la gare ce matin vers neuf heures. » L’interrompt Silvio à son tour, le ton de sa voix légèrement teintée de reproche.

 Je ne lui ai pas parlé d’heure, mais comme je sais pertinemment qu’il était sur place, je ne relève pas. Ce que je relève, c’est qu’il m’a parfaitement remise.

 La conversation entre le grand et son téléphone prend plus de cinq minutes. Pendant ce temps, Pierre et moi n’osons pas nous regarder en face. La couleur rouge de son visage me fait prendre conscience que je me suis moi-même teintée en langouste. À cet embarras apparent, s’ajoute l’embarras d’être embarrassée, alors que ce serait plus simple de s’embrasser que de s’embarrasser. Vous voyez dans quel état me met la situation. Alors je me concentre sur le premier détail venu.

 Sur l’uniforme trop grand de ce policier trop maigre, un mot, juste à la hauteur de mes yeux : S.Lavoretti. Je me dis que ce doit être son nom, mais, en Italien Lavoretti désigne les corvées, les petits travaux. Possible que ce soit la fonction de ce poussin dans le poulailler policier.

 Le bellâtre raccroche et revient vers nous, victorieux. Il nous offre une diversion pour nous sortir de la vague de gêne qui nous accable.

 « Il a déposé un couple de vieux avec un chat qui hurlait au Campo Del Arsenale, ce sont ces personnes que vous cherchez ?

 — Oui tout à fait, dis-je en souriant de toutes mes dents. »

 Prise d’une impulsion idiote, je saute au cou de Pierre et lui claque une grosse bise sur la joue. Et je retourne en sautillant vers la Strega, sous le regard effaré d’Antarès.

**

 Agostino et Silvio reprennent leur ronde, le premier assez fier de lui, le second, un peu rouge.

 « Tu sais quoi ? demande le plus grand.

 — Hein ?

 — Cette fille, tu sais à qui elle me fait penser ?

 — Tu vas sans doute me sortir un truc du genre : à ta future conquête, répond Silvio, un peu aigre.

 — Non, en fait… Mais maintenant que tu le dis, reprend Agostino avant de se raviser devant le regard peu avenant de son ami. En fait, je trouve qu’elle a le même sourire que Livia. Tu te souviens de Livia ? »

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