Si différente

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   Je le rencontrai sous les étoiles d’une nuit d’été, un soir de fête entre amis où j’avais été invité. L’alcool arrosait toutes les gorges désireuses d’oublier l’année scolaire et de s’éclater sans avoir à assumer le lendemain. Dès le début de la soirée, mon verre se remplit de vodka. Je n’étais pourtant pas saoule et mes yeux voyaient clair. Pour me faire tourner la tête, je calculais une dizaine de verre comme celui-ci.

La musique distribuait son rythme entraînant dans la maison et le jardin où les invités s’éparpillaient. Parmi eux, un homme ne me laissait pas indifférente.

- Il a l’air vieux, dis-je à Camille, une amie de longue date.

- Tu trouves ? Il est beau gosse.

Elle me fit signe que son verre était vide et s’éloigna vers le bar. Nous étions une bande de jeunes âgés de seize à vingt ans. Lui avait l’air d’en avoir trente. Pourtant, ces yeux pétillants et profonds, sa peau douce et ses cheveux sombres et longs, lui donnaient un air de jeunesse. En réalité, je n’arrivais pas vraiment à déterminer s’il était passé du côté des adultes ou s’il était resté du côté des ados. De mon côté. C’était le genre de garçon à qui on ne donne pas d’âge, le genre à vous surveiller pendant les contrôles en ayant l’air d’être encore élève. Peut-être était-ce sa barbe qui lui donnait des années de trop ?

Il semblait m’épier, m’observer ou me détailler. Son regard sur moi était insistant et un sourire étirait ses lèvres lorsque j’osais plonger mes yeux bleus dans les siens, verts et malicieux. Mais j’avais l’habitude de ce genre de regard. Certains allaient même jusqu’à venir me toucher et je me demandais quand son tour viendrait. Je n’avais jamais réussi à le réaliser, mais les gens me trouvaient belle et élégante. Peut-être était-ce la modestie qui me poussait à être aveugle à mon propre charme ? Ce soir-là j’avais laissé mes cheveux bruns tomber en cascade dans mon dos et par-dessus mes épaules, et enfilé une robe moulante au décolleté un peu provocant.

- Tu as dix-huit ans et tu es magnifique, profites-en ! m’avait dit ma meilleure amie lors des préparatifs de la fête.

Et moi, j’avais toujours été naïve et trop influençable.

Le garçon mystérieux disparut peu de temps après le début de la soirée, et je me surpris à le chercher un instant avant de l’oublier pour mieux m’amuser. Au fond de moi, je ressentais la déception et l’amertume de le savoir parti sans même m’avoir parlé.

   Les effets de l’alcool apparurent bien avant mes calculs et je maudis mes notes en maths tout en riant de ma propre stupidité. Lorsque ma tête tournait et que les mots sortaient de ma bouche sans aucun filtre, j’appelais ça l’apogée de la soirée. C’était le moment où rien n’importait plus que profiter de mes amis et gagner aux jeux.

Mais lorsque l’alcool redescendait, je me sentais sale. J’avais la bouche âcre et l’envie de retirer ma robe me démangeait. C’était le moment de quitter la soirée.

J’enfilais ma veste, embrassais mes amis et passais la porte aux environs de quatre heures du matin. Qu’importe, c’était les vacances !

   Les rues étaient désertes et sans bruit. Seul mes pas résonnaient sur les trottoirs vides et la lueur des réverbères n’était pas sans me déplaire. Cependant, fille de policier, je n’avais pas peur dans les ruelles et les recoins sombres. Mon père m’avait montré quelques défenses et m’avait fait apprendre tous les numéros d’urgence par cœur. Aussi, afin de rentrer plus vite, empruntais-je la petite rue « Saint-Michel », qui ne bénéficiait d’aucune lumière. Et c’est là qu’il me donna la satisfaction de m’aborder. Le garçon - ou bien l’homme - sans âge. Il ne commença pas comme les autres. Sans avoir bu, il ne semblait pas bénéficier de filtre entre sa tête et sa bouche. Il articula l’évidence et exprima ma beauté. Admira mes yeux sous la lueur de sa lampe. Osa frôler ma joue. Moi, je tenais dans ma main droite un couteau dont je n’hésiterais pas à me servir. Mais quelque chose en lui m’interdisait tout mouvement. Son aura sombre et brutale semblait pouvoir se briser et s’adoucir en un regard. Son allure Bad-boy m’attirait plus que je n’osais l’avouer et je pensais, telle une petite fille, que je pouvais être celle qui le changerait en un homme bon et juste. Mais alors que je plongeais dans mes rêves, mon corps presque collé au sien, il me poussa contre un mur et m’agrippa les cheveux. Je lui entaillais la joue d’un coup de couteau et me mis à courir tout en sortant mon téléphone de mon sac. Papa, vite !

Je sentis soudain ma tête partir en arrière et ma main se tordre dans mon dos. Son bras se serra autour de mon cou et je suffoquais longuement avant de m’évanouir, faute d’air.

***

   Je me réveillais dans une chambre d’hôtel miteuse qui semblait abandonnée. La lumière qui traversait les vitres ternies de la fenêtre m’aveugla un moment. Le matelas du lit sur lequel j’étais étendue arborait de nombreux trous qui laissaient entrevoir sa mousse sale. La tapisserie à fleurs se décrochait des murs et la moisissure venaient noircir ces derniers. Les seuls meubles de la pièce étaient une table de nuit où je trouvais mes affaires et une commode à trois pieds qui menaçait de s’effondrer tant le bois était rongé. Comme je n’étais pas attachée, je me relevais. Je fus surprise de me trouver habillée et seule dans cette chambre tout à fait lugubre. L’homme entra enfin, les bras chargés de nourriture qu’il me déposa sur le lit. Brioches, fruits et lait étaient entassés dans un panier en oseille. L’homme, que je reconnaissais avoir bien plus de mon âge, s’assit près de moi en plongeant ses yeux vert feuillage dans les miens.

- Tu devrais manger, me dit-il d’une voix calme en se servant un morceau de brioche.

- Merci, répondis-je.

Puis, après un court silence :

- Pourquoi suis-je ici ?

- D’habitude, les filles comme toi, je les tue. Mais tu es différente.

Ce fut sa seule réponse. Mon cœur se mit à battre la chamade lorsque je compris que j’étais en présence d’un criminel, mais il se calma vite lorsque je compris que je ne risquais rien. Bizarrement, je me sentais en sécurité. Il n’avait pas l’air méchant, après tout. Ses vêtements, ses cheveux et sa barbe entièrement noirs, contrastaient avec la clarté de ses yeux qui ne cessaient de me fixer intensément. Au plus profond de mon âme, je ressentais la joie d’être différente et l’excitation de me trouver à la place de ces filles qu’on ne voit qu’au cinéma. Pour la première fois de ma vie, il m’arrivait quelque chose de différent.

Et c’est ainsi que mon cœur lui appartint.

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