Chapitre 53 : la sentence - (2/2)

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Naim profita du silence pour donner un coup de coude à Deirane.

— Toi qui craignais la réaction de l’Helaria quand ils apprendraient que tu as signé un acte de vente d’esclaves, tu n’as plus à t’en faire.

— Ces esclaves n’existaient pas, c’était virtuel. Mais attends, que veux-tu dire ?

— Te voilà propriétaire de la plus grosse société trafiquante. Et négrière toi-même. Ils vont être ravis quand ils vont le découvrir.

Toute à sa joie de voir qu’elle échappait au châtiment, elle n’avait pas envisagé ce côté des choses.

— Ils vont mettre ma tête à prix, gémit-elle.

— Tu sais, on s’y habitue.

— Je vais essayer de changer la nature du négoce.

— Je doute qu’il te laisse faire.

Orellide avait repris sa place. Le roi leva la main pour intimer le silence.

— Cette femme a raison, annonça-t-il. Elle n’est pour rien dans les actions de son conjoint. Nous estimons injuste qu’elle subisse les résultats de sa trahison. La concubine Serlen s’engage donc à assurer sa subsistance et celle de ses enfants à un niveau égal à celui qu’elle possédait avant. Elle s’engage aussi à leur offrir une éducation de qualité et à trouver, pour les garçons un métier convenable, et pour les filles un bon mariage.

Les deux femmes se regardèrent. Elles ne savaient quoi penser de cette décision. La parole de Brun était sacrée. Sa famille semblait donc à l’abri du besoin. Mais elle n’exercerait plus aucun contrôle sur sa destinée.

— Par ailleurs, reprit le roi, le marchand Biluan ayant trahi la Couronne, une sépulture lui est refusée dans le cimetière de la ville et ainsi qu’une cérémonie au temple. À la place, et conformément aux usages en cas de crime de lèse-majesté, le corps sera remis aux deux cibles de son agression pour qu’elles en disposent selon leur désir.

À cette annonce, Deirane eut du mal à retenir sa joie. C’est exactement ce qu’elle voulait. Orellide bénéficiait donc encore de l’oreille de son fils pour qu’elle arrivât à le convaincre que Deirane était vraiment une victime et pas la responsable des événements. En y réfléchissant, elle trouvait extraordinaire que Brun ait tout gobé. À moins que Dayan ne lui ait pas menti : une femme capable de monter un tel scénario était ce qu’il cherchait pour le seconder.

Si Deirane exultait, la veuve de Biluan avait un tout autre avis. Elle lança un regard de haine à la nouvelle concubine avant d’attirer l’attention du roi pour qu’il lui donnât la parole.

— Parle, lui ordonna Brun.

— Seigneur lumineux, allez-vous priver une famille de ses derniers instants de communion avec leur mari et père ?

— Cela peut s’envisager. Mais as-tu bien réfléchi aux implications de ta requête ? Si tu insistes pour te poser en femme fidèle d’un traître, tu pourrais bien partager son sort.

— Mais Votre Seigneurie m’a déclarée innocente des actes de mon époux.

— Nous avons considéré que tu ne savais rien des affaires de ton mari. Mais si vous étiez aussi proche que tu sembles vouloir nous le faire admettre, tu ne pouvais rien ignorer de ses projets. Tu partages donc la responsabilité autant que lui. Désires-tu vraiment continuer dans cette démarche ?

— Non, Votre Seigneurie.

Elle se rassit. Elle avait compris la menace. Elle allait devoir tout abandonner à cette femme qui était à l’origine de la mort de son mari. En plus, elle ne pourrait plus participer à la gestion de ses affaires, comme quand il était vivant. Sinon, elle admettrait qu’elle connaissait beaucoup de choses, elle ne pouvait donc pas ignorer cette visite au harem.

— Ne t’inquiète pas, intervint Dayan. Rien ne sera modifié dans ton train de vie. Ton mari dirigeait une des plus grosses sociétés de négoce d’esclave de la ville, cela ne changera pas. Nous y veillerons.

Un regard vers sa rivale lui montra que cette nouvelle lui déplaisait fortement. Cela lui remonta le moral. Elle ne venait pas de subir une défaite absolue malgré les apparences. En fait, à la vue des visages qui l’entouraient, elle avait l’impression que dans l’histoire, le seul vainqueur était le roi. Elle n’avait pas compris pourquoi, elle devrait s’atteler à cette tâche dès son retour à la maison. Cela lui permettrait peut-être de récupérer son bien.

De son côté, Deirane avait appréhendé toutes les implications du jugement. Il avait monté autour d’elle un filet qui la désignait maintenant comme une cible des guerriers libres. Si un jour elle parvenait à s’enfuir de cette ville, si elle mettait le pied en Helaria, elle serait aussitôt arrêtée et peut-être exécutée. Brun l’avait bien piégée. Il était plus urgent que jamais de contacter les pentarques pour éclaircir les choses avec eux.

Alors que la salle d’audience se vidait, Orellide se rapprocha de son fils.

— Qu’envisages-tu pour Dursun et Naim ? demanda-t-elle.

— Pourquoi le devrais-je ?

— Comptes-tu les séparer de Serlen ou au contraire les rassembler ?

— Je ne vois pas ce que tu veux dire.

— C’est une équipe. Serlen, Dursun, Nëjya et Naim travaillent ensemble. C’est peut-être Serlen la figure de proue de cette équipe, mais c’est Dursun le cerveau, et Naim le muscle. Nëjya, c’est le…

Elle n’arrivait pas à trouver un qualificatif pour désigner la petite Samborren.

— Le réservoir d’énergie de la bande, intervint Dayan.

— C’est exactement ça, approuva l’ancienne reine.

— Voudrais-tu que Dursun devienne concubine ?

— Comme ça, tu pourrais lui attribuer une chambre dans la même aile que Serlen.

— C’est ridicule. C’est une gamine. Elle vient à peine d’entrer dans la puberté.

— Tu n’es pas obligé de la sauter tout de suite. Tu peux attendre quelques années qu’elle grandisse.

— Ce n’est pas parce qu’elles logent à deux emplacements différents qu’elles seront séparées, remarqua Brun. Les allées et venues sont libres dans le harem. Et nous ne sommes pas très regardants sur l’endroit où elles passent leurs nuits. J’ai cru comprendre que Nëjya dormait plus souvent dans l’aile des chanceuses que dans sa propre chambre.

Donc Brun avait noté ce détail.

— Fais ce que tu veux, dit Orellide, mais si tu comptes exploiter au mieux les capacités de cette bande, réfléchis avec ton cerveau. Pas avec ta queue.

— C’est exactement ce que je fais. En nommant Serlen concubine et en laissant son amie novice, je m’assure que ce soit elle, et pas cette petite qui prenne la tête de cette équipe. Nëjya est trop pleine de haine. Dursun est immature. Même Sarin qui n’est qu’une suiveuse doit rester en retrait. Serlen est la seule suffisamment posée pour réfléchir calmement. C’est elle qui doit commander.

Une fois de plus, Brun avait surpris Orellide. Non seulement il connaissait les interactions au sein du harem. Mais en plus, il agissait dessus. Elle éprouva une bouffée de fierté pour son fils. Né dans un autre pays, il aurait pu devenir un grand roi, mais il avait hérité du pire qui soit en ce monde. Elle se demanda à quel point il était au courant de leur complot pour faire passer l’enfant de Jevin pour le sien. Mais s’il l’avait su, elles auraient toutes emprisonnées aujourd’hui, voire mortes. À la place, Serlen se retrouvait propriétaire d’une maison de négoce. À ce propos…

— Serlen n’est peut-être pas agressive, mais c’est une forte tête. Elle ne va pas t’obéir.

— M’obéir en quoi ?

— L’entreprise de Biluan. Elle va essayer de la convertir en quelque chose de plus acceptable.

— Je lui souhaite bien du plaisir.

— Tu n’envisages pas de l’en empêcher ?

— Si elle arrive à transformer tout l’Orvbel en quelque chose de plus correct, sans diminuer nos revenus, elle recevra toute ma bénédiction.

Malgré la distance, et la discrétion qu’il avait mises à les prononcer, Deirane avait entendu les dernières paroles du roi. Elle ne put réprimer un sourire. Il leur laissait donc, à Dursun et à elle, toute latitude pour réformer l’Orvbel. Les confidences de la reine mère remontèrent dans son esprit. C’était un commis qui administrait ses biens pour elle. Il y avait de fortes chances pour que soit la même chose pour elles. Elles ne disposeraient que d’une faible marge de manœuvre.

Dursun se pencha à l’oreille de son amie.

— Que penses-tu de la femme de Biluan pour gérer la société ?

— Elle nous déteste, elle ne voudra jamais.

— Tu paries ? Souviens-toi des paroles de Dayan. Seul Brun avait la possibilité d’ouvrir les portes à Biluan. Comment réagira-t-elle quand elle l’apprendra ?

Les propos de l’adolescente paraissaient sensés. Peut-être qu’elles avaient trouvé enfin leur allié hors du harem. Finalement, la journée se déroulait mieux qu’elle ne l’avait cru au premier abord.

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