Chapitre 50 : le message.

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Deirane, Ard et Naim s’étaient planqués dans leur cachette habituelle au fond du jardin. Le boîtier que la guerrière avait rapporté de son raid à Honëga était posé sur une nappe étendue sur le sol. Il était ouvert, révélant la profusion de perles qu’il contenait. Chacune représentait une lettre de l’alphabet helarieal. Elles étaient classées par forme, couleur et textures. Certaines étaient annulaires, d’autres tubulaires, mais aussi rondes, cubiques et d’une variété d’autres formes. Leur teinte était tout aussi différente. Par contre, leurs faces étaient moins diversifiées, certaines étaient lisses et brillantes, d’autres lisses et mates, les dernières enfin mates et rugueuses. Chaque perle était minuscule, un peu plus petite que les lettres dessinées sur les manuscrits, il fallait un œil exercé depuis l’enfance pour les identifier du premier coup. Mais c’était le cas de presque tous les alphabets quand on les découvrait. Deirane savait qu’une personne confrontée à sa propre écriture, la première fois, avait du mal à séparer les caractères.

— As-tu une idée du message que tu veux mettre ? demanda Ard.

— Déjà, nous devons décider de la langue, remarqua Naim.

— C’est évident, répondit Deirane, en helariamen. Cet alphabet a été conçu pour cette langue.

— En fait, à l’origine il servait à en transcrire une aujourd’hui disparue, corrigea Ard, le vornixmen.

— Les Helariaseny n’arrêtent pas de se déclarer héritiers du Vornix, le contra Deirane, cela ne change rien à notre propos.

— Il est vrai que l’helariamen en dérive en grande partie. Mais il peut être utilisé pour différentes langues. La preuve, presque toutes les nations qui vivent en Helaria l’emploient et pourtant elles parlent chose que l’helariamen pour la plupart.

— On va prendre cette langue parce que c’est la seule que nous sommes sûrs d’avoir en commun avec les pentarques.

— Je connais l’yriani, remarqua Naim, Ard certainement aussi et je pense que c’est également le cas des pentarques. Au pire, ils disposeront de traducteurs.

— L’helariamen.

L’air buté de la jeune femme, une attitude à laquelle elle ne les avait pas habitués, les décida.

— Maintenant le contenu, continua Naim.

— Je ne sais pas trop. Vous vous sentez de composer un long message avec ces perles. Je ne le maîtrise pas. Et vous. Je pensais à : « je suis Deirane, je suis prisonnière en Orvbel, au secours ».

— Un texte simple, facile à traduire, remarqua Ard. Comment ça s’écrit ? Nous ne disposons que de ton bracelet comme unique source pour comprendre cet alphabet. On ne peut se limiter qu’aux lettres qu’il contient.

— As-tu une meilleure idée ?

— Le message doit comporter un minimum de lettres absentes de ton bracelet, en espérant que les Helariaseny arriveront à déchiffrer malgré les erreurs.

— Et pourquoi ne pas recopier le message d’identité de Deirane tel quel et le compléter par « À l’aide » ?

Elle avait prononcé ces derniers mots en naytain.

— Pourquoi en naytain ?

— Parce que toutes les lettres figurent dans le bracelet. Elles font toutes parties de ton nom.

— Ce n’est pas une mauvaise idée, remarqua Ard, mais il ne donne aucune indication sur notre origine.

— Et pourquoi pas en orvbelian, proposa Deirane. Ils apprendraient où je suis, cette langue est peu employée hors de ce pays. En plus, il commence comme Helaria. Tout le monde sait reconnaître ce mot. Enfin moi je sais. Je devrais pouvoir l’écrire.

— Tu l’as dit, il commence comme Helaria, répondit Ard. Mais il ne se termine pas de la même façon. Et il nous manque la dernière lettre, le p. Il ne figure nulle part sur ton bracelet.

— On en prend une au hasard dans celles qu’on ne connaît pas, intervint Naim, et on mise sur la perspicacité du lecteur. Il aura la taille du mot et les trois premières lettres. Au besoin, on peut rajouter « à l’aide » en naytain derrière pour appuyer le message.

— Ce n’est pas une mauvaise idée, la félicita Ard.

Le compliment fit plaisir à Naim. Elle n’était pas habituée à en recevoir sur son intelligence, surtout d’une personne érudite comme Ard.

— Il reste le problème du sceau, continua Ard, nous en disposons de sept différents : un pour chaque pentarque, plus un pour chacune de leurs deux filles. Nous devons choisir celui que nous allons employer.

— Je croyais que les pentarques avaient trois filles vivantes, remarqua Deirane.

— La plus jeune n’a pas obtenu un rang assez élevé dans sa corporation pour valider des bracelets d’identité, expliqua Ard.

La réponse surprit Deirane. Elle n’aurait jamais imaginé que les filles des pentarques devaient faire leurs preuves pour monter dans la hiérarchie. Elle pensait que, comme en Yrian, le fait d’être de sang royal suffisait à leur garantir une bonne place au gouvernement. Si Littold et sa sœur pouvaient émettre des sceaux, c’était qu’elles avaient démontré leurs compétences à leur poste. Dans ce cas, pourquoi n’entendait-on jamais parler d’elles ?

— Je crois que nous devrions prendre le celui de Peffen, un pentarque mineur, remarqua Ard. Où alors de Littold, un maître de corporation totalement inconnu.

— Peffen n’est pas mineure, contesta Naim. C’est elle qui gère l’économie de l’Helaria. Ce travail ne la met pas en avant, mais il est fondamental.

— Ce n’est pas la question, répliqua Deirane. Je pense qu’Ard a tort. Ce n’est pas le moment de se montrer prudent. Nous devons frapper un grand coup pour attirer leur attention.

— Tu veux dire, Wotan ou Vespef, demanda Ard.

— Exactement. Le sommet. L’empereur et l’impératrice.

— Ils ne sont pas empereur et…

— On s’en fout, l’interrompit Deirane, ce qui compte c’est que le message leur parvienne.

— Comme tu veux.

À son air, elle comprit qu’elle avait blessé son mentor en le rabrouant. Elle lui déposa un baiser sur la joue.

— On a décidé du contenu, intervint Naim. On a choisi le signataire, on soupçonne le bureau sur lequel il va arriver. Mais comment comptes-tu le transmettre aux pentarques ?

— Tu verras.

— Je te rappelle que j’ai tué un homme en Helaria. J’ai un mandat d’exécution contre moi. Je ne peux pas l’amener moi-même.

— Ma solution risque de ne pas te plaire. Mais ne t’inquiète pas. Je n’ai pas prévu de te faire porter le message.

Deirane se leva. Elle épousseta sa jupe, plus pour la remettre en place que la nettoyer.

— Je dois discuter avec Dursun, s’excusa-t-elle. Et puis, je dois aller voir Orellide. Pouvez-vous le rédiger pour moi ?

— Tu es un peu gonflée, remarqua Naim, tu fais la partie facile et tu nous laisses la difficile.

— Bien sûr, la contredit Ard.

Deirane détacha son bracelet d’identité helarieal. Comme chaque fois, elle fut gênée. Elle le portait depuis si longtemps que de sentir son poignet nu lui était bizarre. Elle le passa au vieil homme.

— Voilà le modèle, dit-elle, amuse-toi bien.

De la tête, il désigna la machine qui assemblait les perles en messages.

— Me servir cet appareil me semble un défi intéressant pour cet après-midi.

— Je pense qu’il a été prévu pour être utilisé par des gens qui n’ont aucune aptitude en mécanique.

— Tu n’as pas tort. En fait, son concepteur était handicapé. Je dispose de mes deux bras, je devrai m’en sortir mieux que lui.

— À ce soir, dans la salle des tempêtes. Et si vous voulez tout savoir, mon messager, ce sera Biluan.

Elle les salua rapidement, puis elle laissa ses deux amis seuls avec leur travail, trop stupéfaits par sa révélation pour réagir.

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