Chapitre 41 : la tempête. (1/3)

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Le vent soufflait légèrement. Au bord de la mer, cela n’avait rien d’anormal. Bien qu’on fût en pleine saison des tempêtes, la chaleur était étouffante et cette petite brise était la bienvenue. Tous les hommes s’étaient mis torse nu. Naim envisagea un moment de les imiter. Ils se trouvaient en Helaria, cela n’aurait choqué personne. Sauf ceux de ses compagnons en provenance d’un autre pays, c’est-à-dire la majorité des caravaniers. Mais elle voyageait en fin de convoi. Seul le conducteur assis à ses côtés pourrait la voir. Elle opta finalement pour une demi-mesure. Elle ôta sa tunique et s’enroula une bande de tissu autour de la poitrine. Elle remarqua que son compagnon de chariot ne perdait pas une miette de l’opération. Elle n’avait pas l’habitude, ce n’était en général pas sa féminité qui attirait les regards.

Pour le bivouac, le chef de la caravane, Frallo, décida de s’arrêter sur une aire aménagée plutôt que dans un refuge où une auberge. Naim n’aimait pas ça. Elle préférait avoir des murs épais autour d’elle. Elle en parla à Corist.

— Ce n’est pas une bonne idée, remarqua-t-elle, on est en pleine saison des tempêtes.

— C’est le boulot de Frallo de vérifier ça. S’il a donné le départ, c’était qu’aucune n’était annoncée avant six jours au moins.

— Comment ?

— Les avis sont placardés en ville deux jours avant. Et des prévisions plus lointaines sont à disposition des voyageurs dans les casernes de la garde.

— Comment les Helariaseny arrivent-ils à les prédire ?

— Je l’ignore. Je sais juste que tout est centralisé à Honëga et renvoyé partout dans la baie de Kushan. Même en Orvbel.

La dernière fois qu’elle était au palais, elle avait assisté à une tempête. Le jour précédent, les domestiques avaient tout préparé. Elle s’était demandé à l’époque comment ils avaient su qu’elle arrivait. Elle connaissait maintenant la réponse. Si Frallo bivouaquait ici, c’est qu’il avait l’assurance que rien de fâcheux ne se produirait. Sans compter que la veille, ils avaient croisé une des patrouilles qui surveillaient cette route. Le chef avait discuté avec leur sergent. S’il y avait danger, il l’aurait dit.

Bien que les pluies de feu soient devenues rares dans le coin, il y en avait encore quelques-unes de temps en temps. L’aire de repos était donc aménagée selon des techniques qui limitaient la contamination. Le plus visible était la terre qui avait été remplacée par une couche de sable dans laquelle l’eau s’enfonçait rapidement. La caravane s’y installa. Les chariots se disposèrent en un demi-cercle ouvert sur la route. Des rabats de toile cirée roulée le long des suspentes dans la journée furent mis en place, procurant un abri aux voyageurs tout en laissant le centre de l’espace libre. Quelques hommes allèrent ramasser du bois mort dans la forêt pour allumer un feu.

Naim pensa à l’étrangeté de la scène. D’après les traités signés entre les Helariaseny et les edorians, la frontière entre les États était située à la lisière des arbres. Les caravaniers passaient donc constamment d’un pays à un autre au cours de la soirée. Et pourtant, elle ne voyait aucune différence, aucune trace, ni douane. Mais elle savait que si les patrouilles helarieal la découvraient, elle n’aurait qu’à se réfugier sous les frondaisons pour leur échapper. Elles n’auraient pas le droit de l’y poursuivre. Elle disposa son sac de couchage au plus près des arbres. À cet endroit, la forêt était fragmentée en nombreux bosquets qui au loin laissaient apercevoir une plaine, territoire des Sangärens.

La veillée ne dura pas. La journée s’était révélée épuisante. Le marchand avait pressé le pas. Il avait hâte d’atteindre le milieu du trajet avec Ruvyin où un premier bazar l’attendait. Il voulait commencer au plus vite à remplir les deux derniers chariots. Les arbustes que les edorians vendaient, résistants aux pluies empoisonnées, étaient très recherchés par les royaumes de l’est, en particulier par la Nayt qui s’en servait pour stabiliser ses déserts et créer des barrières face aux vents de poussières de feu. Ce pays ayant à la fois le besoin et l’argent, transporter ces plantules s’avérait très profitable pour un caravanier malgré les difficultés liées à leur entretien. Les voyageurs étaient tous fatigués et sitôt le repas terminé et les tours de garde distribués, ils allèrent se coucher. Corist vint s’installer à côté de Naim, mais ils n’eurent pas la force de faire l’amour. Il se contenta de la prendre dans ses bras. Cela convenait à la jeune femme, s’exhiber face à tous ces gens était hors de question.

C’est le vent qui réveilla Naim. Il soufflait assez fort, suffisamment pour être qualifié de bonne brise. Elle secoua Corist. Il grommela dans son sommeil. Elle insista. Il ouvrit finalement les yeux.

— Quoi ? demanda-t-il d’une voix rogue.

— C’est normal ce vent ? Je croyais que la nuit il tombait.

— La nuit, le vent va de la terre vers la mer, répondit-il d’une voix peu amène.

— La mer est au sud et le vent vient de l’est.

— Ce sont les alizés. Il est tard, je ne vais pas t’expliquer comment marchent les vents.

— J’ai vécu assez longtemps en Orvbel pour savoir que la nuit il diminue et reprend de la vigueur le jour. Et là, il était assez faible en soirée, mais maintenant il se renforce.

— Et alors ?

— Alors, nous sommes à la saison des tempêtes.

Corist se passa la main sur le visage pour se réveiller.

— Frallo s’est renseigné sur la météo avant de partir, objecta-t-il.

— Tu en es sûr ?

— C’est ce qu’il a dit.

— Il vaut mieux vérifier. Parce que si c’est bien une tempête, elle nous atteindra d’ici douze monsihons. Nous devrons avoir atteint le prochain refuge avant son arrivée.

— Il se situe à huit monsihons de voyage.

— Nous devons donc partir sans délai.

Elle rejeta son sac de couchage et se leva. La chemise de nuit de lin blanc qu’elle avait revêtu se distinguait bien dans le noir, bien que les lunes fussent masquées par les nuages. Elle se tourna, cherchant à repérer la tente du marchand. Corist mit debout à son tour. Contrairement à elle, il dormait nu. Il enfila un pantalon.

— Je vais voir la sentinelle, dit-il, il pourra nous dire quand le vent a commencé à souffler.

Il s’éloigna en direction du foyer, vers la forme emmitouflée assise juste à côté.

— Eh, Gen, tout va bien ?

Gen ne répondit pas. Il avait dû s’assoupir. Frallo le réprimanderait s’il l’apprenait. Le garde lui posa la main sur l’épaule. Lentement, le corps bascula et s’effondra sur le sol. Le bras, inerte, tomba dans le feu sans que son propriétaire le retirât. Intrigué, Corist s’accroupit, il tourna la tête vers lui. Les yeux étaient grands ouverts, immobiles, morts.

Ses réflexes entraînés lui permirent de réagir instantanément.

— Prends ton arme, ordonna-t-il à Naim, et réveille les autres.

— Que se passe-t-il ?

— On est attaqué.

— C’est impossible. On est en Helaria. Il n’y a pas de pillards en Helaria.

— Il y en a partout. Même ici.

Le corps ne portait aucune blessure. Il avait dû être empoisonné. L’assaut n’était donc peut-être pas si imminent qu’ils le croyaient. Il regarda le feu d’un air désabusé. Tel un phare dans la nuit, il signalait leur localisation à tout éventuel agresseur. Il hésita à l’éteindre. Mais il était trop tard maintenant. Il aurait fallu y pourvoir en début de soirée, quand leur position était encore inconnue. Ils avaient trop fait confiance dans la sécurité du pays. Mais aussi efficaces fussent-elles, les patrouilles ne pouvaient pas se trouver partout. Par acquit de conscience, il étouffa les flammes.

Naim avait déjà enfilé sa tunique. Sa grande épée dans le dos, elle passait d’un soldat à l’autre et les réveillait. En quelques mots, elle leur expliquait la situation. Si elle ne s’attirait au début que grommellements et insultes, la possibilité de se faire attaquer se révélait un excellent stimulant. Sans compter le vent, qui soufflait bien fort pour une petite brise marine.

Quand elle eut fait le tour des dormeurs, elle rejoignit Corist.

— Qui peut bien s’en prendre à une caravane sur le territoire de l’Helaria ?

Le garde montra la trouée proche entre les arbres.

— Nous nous trouvons à l’endroit où la forêt est la plus étroite. Le pays sangären est distant de moins de deux longes. C’est ce qui m’inquiète.

— Pourquoi ?

— Les Helariaseny ont conclus des accords avec les edorians. Jamais ils ne poursuivront des criminels sur leur territoire sans autorisation. Le Sangär n’est pas un État, ils n’hésiteraient pas à s’y engager. Ce qui implique que personne ne doit pouvoir raconter ce qui s’est passé aux guerriers libres.

— On aurait dû s’arrêter à l’asile précédent. On y aurait été moins exposé.

— Oui, mais on ne l’a pas fait, répliqua Corist en bouclant sa ceinture.

Le ton de son amant éveilla l’attention de la jeune femme.

— On a été trahi ?

— Ce type ne s’est pas empoisonné tout seul. On bivouaque au seul endroit dangereux sur plus de mille longes de cette route. Et une tempête approche qui menace de nous désorganiser. Il t’en faut davantage ?

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