Chapitre 3 : Au sein du harem - (2/2)

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— Je vois. Il y en a d’autres comme elle ?

— Non, c’est la seule.

— Dayan ne possède pas d’autres concubines ?

— Avant oui. Mais depuis une dizaine d’années, il n’a plus que Cali.

— Que sont-elles devenues ?

— Il les a affranchies et libérées. Elles tiennent maintenant des commerces.

— Mais pas celle-là.

— Si, mais elle est restée.

— Pourquoi ?

— Elle est danseuse. En ville, elle vaudrait à peine mieux qu’une prostituée. Ici, elle peut pratiquer son art en toute sécurité. Et Brun la rémunère assez bien pour qu’elle n’ait pas à chercher ailleurs. Et les sentiments qu’elle exprime pour Dayan ne sont pas feints. C’est grâce à elle d’ailleurs que les autres sont libres aujourd’hui.

Une danseuse. Voilà qui expliquait bien des choses. À la fois sa démarche souple, presque aérienne. Mais également la bourse que lui avait donnée Chenlow. Son salaire tout simplement.

— Et les nobles ? reprit Deirane.

— Ces temps-ci, il n’y a guère que le frère du roi et il n’en possède encore qu’une. Une femme qui n’est pas sans te ressembler d’ailleurs. Sauf qu’elle est d’origine samborren.

— Le roi a un frère ?

— Hélas. J’espère pour toi que tu le reverras le plus tard possible. Cet individu ne mérite pas d’être connu. À chaque fois qu’il passe au palais, le harem entre en ébullition.

Deirane se tourna vers la terrasse.

— À quoi ressemble une Samborren ? demanda Deirane.

— Elles sont généralement petites et minces, leur teint est plus clair que celui des Naytains, mais plus sombre que les Yrianis et leurs cheveux sont longs et frisés.

Elle regarda autour d’elle et ne vit aucune femme correspondant à cette description à proximité.

— Et toutes ces femmes ? Ce sont…

— Les concubines, termina Chenlow très sérieusement.

La jeune esclave ne répondit rien, mais on pouvait voir sa jambe droite qui palpitait. L’eunuque le remarqua. Il lui montra la belle courtisane qui avait attiré son attention.

— Elle, c’est Mericia. Fais-t’en une alliée ou ignore-la. Mais n’en fais jamais une ennemie si tu veux vivre longtemps.

Ça tombait bien. Deirane ne comptait se créer aucune ennemie.

— Et il y en a d’autres à éviter comme Mericia ?

— Deux autres, Larein et Lætitia. Mais je ne les vois pas.

Il se tourna pour vérifier ailleurs dans le parc. Mais il était si grand que cela se révéla vain.

— En fait, il n’y a pas que des concubines ici, reprit-il. Cette dame âgée là-bas, est la mère du roi. Profites-en, car elle se mêle rarement au reste du harem. Elle dispose de ses propres jardins. Eelle est venue pour toi. Elle veut savoir à quoi tu ressembles.

Deirane regarda cette pensionnaire qui l’avait intriguée un peu plus tôt. C’était évident, maintenant. Même un monstre comme Brun avait une mère. Mais elle ne l’avait pas imaginée vivante. Et pourtant, c’était logique, il était jeune et elle était à peine plus vieille que sa propre mère. Elle aurait dû être encore plus jeune cependant, à moins qu’elle ait donné naissance à son fils à un âge avancé.

— Certaines autres sont ses sœurs, continua Chenlow.

Il montra quelques-unes des femmes qui se reposaient sur leurs chaises longues. Une seule disposait d’une petite cour.

— Contrairement à Mericia, celles-là ne présentent aucun danger.

— Comment ça, dangereuses ?

— La reine mère est la maîtresse du harem. Elle est sûre de son autorité, elle n’a pas besoin de participer aux luttes. Brun adore sa mère. Si quelque chose lui arrivait, il prendrait des mesures que toutes les femmes ici présentes regretteraient amèrement. Je te conseille malgré tout de t’en faire une alliée. Quant aux sœurs, elles ne sont que pensionnaires. Elles n’ont aucun espoir d’accéder au pouvoir au sein du harem. Leurs seules chances se situent à l’extérieur, en contractant un bon mariage.

— Comment ça, dangereuse ? redemanda Deirane sur un ton un poil plus hystérique.

— Tu imagines peut-être avoir atterri dans un endroit fantastique où les femmes n’ont qu’à être belles et attendre le plaisir du souverain. Si tu ne changes pas d’idée rapidement, tu ne vas pas vivre longtemps ici. Chacune de ces femmes lutte pour le pouvoir. Et pour en acquérir, il n’y a que deux moyens : recevoir les faveurs du roi, recevoir les faveurs d’une favorite du roi.

— Et si je ne veux pas participer à cette lutte ?

— Et donc te priver d’alliées ? Faire de toutes les autres tes ennemies ?

Présenté comme ça, effectivement, ça ne semblait pas une bonne idée.

— Je dois m’intégrer à un de ces groupes, conclut-elle.

— Tu es très belle. Bien plus que tu n’as l’air de le réaliser. En plus, ton tatouage te rend unique. Aucune ne croira que tu envisages de devenir son alliée. Elle pensera que tu veux juste apaiser sa méfiance pour la poignarder dans le dos au moment le plus opportun pour prendre sa place. Non, tu n’as pas le choix, tu dois créer ton propre parti.

— Elles se servent d’armes ?

Ce fait rassurait la jeune femme. Son treillage de fils d’or la protégeait contre toute blessure. Il était même possible que le sort se déclenchât et tuât celle qui tenterait de l’assassiner.

— Autrefois oui. Ce temps est aujourd’hui révolu. Brun ne tolère pas ce genre d’exactions. Les concubines coûtent cher à acquérir et à former. D’ailleurs, si toute personne qui entre au harem est fouillée, c’est bien pour éviter d’introduire une arme.

— Je ne sais pas comment faire.

— Tu ferais mieux d’apprendre très vite.

Deirane regarda une nouvelle fois toutes les femmes assemblées sur la terrasse. Elle était tombée dans un beau panier de crabes. Elle qui croyait que le pire allait être la privation de sa liberté, elle s’était lourdement trompée.

— Je ne comprends pas l’intérêt d’acquérir de la puissance. En cet endroit, on est toutes logées à la même enseigne.

— Pas vraiment, non. Regarde Cali qui peut monter des spectacles de danse, Sarin qui peint et expose des toiles au musée du palais. Mericia ou Lætitia qui accompagnent parfois le Seigneur lumineux lors de réceptions officielles. Et ce n’est pas leur beauté autant à l’une qu’à l’autre qui prévaut à ce choix, mais bien leur capacité à faire honneur au royaume. Autant d’occasions de sortir du harem. Ne sont-ce pas des motivations suffisantes pour devenir la meilleure ? Et ça, ce n’est qu’un aperçu des possibilités. Elles sont bien plus nombreuses, mais je vais te laisser le soin de les découvrir toi-même.

Deirane commençait à comprendre comment fonctionnait cet endroit. Elle allait devoir y réfléchir. Si elle avait bien interprété les paroles de l’eunuque, elle allait rester toute sa vie dans ce harem, mais pas en permanence.

Elle allait reprendre son chemin, mais Chenlow la retint par le bras.

— Attends, on m’a donné quelque chose pour toi.

Il fouilla dans sa poche, il en tira un bracelet de perles multicolores. Le bracelet d’identité de Deirane. Il le tendit à la jeune femme qui, tellement surprise de le revoir, présenta automatiquement la main pour le recevoir.

— Le seigneur Brun désire que tu le portes en toute occasion.

— Merci, fut tout ce qu’elle parvint à dire.

L’eunuque la quitta enfin. Il montait l’escalier en direction du bâtiment, la laissant interdite. Elle regardait le petit objet, dans le creux de sa paume. S’il y avait bien une chose à laquelle elle ne s’attendait pas, c’était de le récupérer un jour. Elle y tenait beaucoup, seul témoignage d’une période heureuse de son passé récent, mais on le lui avait confisqué quand elle était entrée dans le harem. En fait, ce n’était pas Brun qui le lui avait pris. C’était Biluan.

Biluan. Elle essayait de ne pas penser à ce monstre. Et en général, elle y réussissait plutôt bien. Mais c’était la deuxième fois en moins d’un calsihon qu’il se rappelait à ses souvenirs. Il avait commandité l’attaque qui l’avait arraché aux siens, tué son fiancé, son amie et peut-être son fils, il l’avait torturée. Avoir dans la main un objet qui la rattachait à cet homme fit remonter une bouffée de haine à son égard. Que ne lui infligerait-elle pas si elle l’avait à sa portée ? Mais c’était un rêve impossible. En tant qu’homme, il n’avait pas accès au harem. Elle ferma les yeux et respira profondément pour essayer de retrouver son calme. Sans succès.

Contre toute attente, enfiler le bracelet lui apporta la sérénité qu’elle recherchait. Sérénité, un bien grand mot. La haine qu’elle éprouvait se tapissait toujours là. Mais la colère qui l’habitait avait disparu. Elle put reprendre son chemin.

Avant d’entreprendre quoi que ce soit, elle voulait connaître les limites de sa prison. Elle savait déjà que les jardins se situaient à l’est du palais. Sa fenêtre donnait sur eux. Et elle voyait le soleil se lever tous les matins.

Le domaine était très soigneusement tenu. Des allées sablées bordées de fleurs le parcouraient. Après des mois de vie auprès de Mace, elle avait appris à reconnaître nombre d’entre elles. Mais quelques-unes lui restaient inconnues. Des buissons, certains assez épais pour ménager des cachettes, délimitaient des pelouses. Des arbres, nombreux, d’essences variées, certaines exotiques à ses yeux, procuraient par endroits une ombre bienvenue en cette saison chaude. Et d’autres plaisirs aussi : quelques-uns possédaient des branches suffisamment larges pour s’y allonger. Mais aurait-elle le droit d’y grimper ? Dans sa ferme familiale, elle avait souvent fait des siestes en hauteur en compagnie de Cleriance ou de son père. Penser à eux la rendit triste. Elle se reconcentra très vite sur ce qui l’entourait.

On ne trouvait pas que des plantes dans ce jardin, mais également des constructions telles que les bassins, des patios couverts ou encore des statues. Et un peu partout, des bancs permettaient de se reposer. À l’est, un mur clôturait les lieux. Mais il se dressait très loin, à une demi-longe peut-être. Au nord, la vue était masquée par une forêt à la végétation luxuriante. C’était trop grand pour qu’elle explorât tout en une seule fois. Par contre au sud elle ne vit rien, le champ de vision était dégagé jusqu’à l’horizon. Voilà qui suffirait à l’occuper pour cette journée. Elle se porta dans cette direction.

Elle finit par arriver à une terrasse pavée, limitée par une rambarde en maçonnerie. Une vingtaine de perches plus bas, une plage enclavée entre deux falaises s’étendait au pied de la muraille du palais. Cinq ou six femmes s’y baignaient, somnolaient sur le sable ou dans les rochers. Il existait donc un moyen d’y descendre. Elle découvrit un escalier à sa gauche. En l’empruntant, elle réfléchissait. Elle trouvait surprenant cette plage qu’elle considérait comme une brèche dans la sécurité du harem. Une phrase de Cleriance, sa sœur aînée, lui revint à l’esprit. « Si tu ne comprends pas quelque chose, observe-la ». Elle appliqua donc la maxime. Et elle remarqua le ressac à une demi-longe au large. Un banc de récifs délimitait un petit bassin. Sa forme presque semi-circulaire dénonçait son origine artificielle. L’accostage dans cette crique devait s’avérer très dangereux. Sans compter la tour de guet à sa droite. Situé comme elle était, il était impossible d’échapper à son attention. Elle se dit qu’avec la vue que les gardes avaient sur la plage et une partie des jardins avec toutes ces concubines quasiment nues, les gardent devaient se battre pour y être postés. Elle arriva à un palier en bois qui jurait dans cet édifice de pierre. Elle remarqua alors les deux vantaux qui le constituaient. Ils pouvaient s’abaisser, bloquant le passage et précipitant en bas tous ceux qui s’étaient engagés dessus. Elle ne voyait pas ce qui se tenait en dessous, mais elle doutait que ce fût de l’eau. Tenter d’accéder au harem par cette crique serait faire preuve de témérité. Deirane ne pensait pas que quelqu’un fût prêt à prendre un tel risque juste pour admirer quelques-unes des plus belles femmes d’Uv-Polin.

Elle ne s’arrêta qu’une fois les pieds en bordure de la zone mouillée. Elle regardait, extasiée, le grand océan. C’est la première fois de sa vie qu’elle se trouvait sur sa bordure. Bien sûr, pendant sa capture, elle avait navigué dessus. Mais ce n’était pas pareil. Elle se trouvait sur un bateau et c’était ce bateau qui s’était engagé en pleine mer. Pas elle. Alors qu’ici, elle se tenait sur le sable, sur le rivage qui le délimitait. Elle jeta un coup d’œil circulaire. Les femmes étendues autour d’elle ne semblaient pas faire attention à elle. Mais elles la surveillaient. Elle la jaugeait, essayant de déterminer son influence future dans les jeux de pouvoir du harem.

Deirane escalada les rochers qui encloraient la plage. Elle en trouva un désert qui formait comme un petit fauteuil, un peu dur, mais pas dénué de confort. Elle regarda le large. Elle ne se lassait pas de cette vue. Presque à l’horizon, une flottille de bateaux venait d’apparaître dans son champ de vision. Elle naviguait en direction de l’est. À cette distance, elle n’arrivait pas à distinguer s’ils battaient pavillon helarieal, mustulal ou orvbelian. Elle ne pouvait pas non plus déterminer leur destination. Dans cette direction, elle ne connaissait que deux solutions, les royaumes de la Hanse de la Vunci, ou Nasïlia, à l’extrémité orientale de la grande route de l’est.

Mais ce qui lui sembla le plus intéressant était qu’elle n’était pas la seule à les avoir vus. En face d’elle, de l’autre côté de la plage, une jeune femme s’était redressée sur un coude pour les regarder passer. Elle avait un ou deux ans de plus que Deirane, pas plus. Elle avait la peau sombre comme une nuit de pleine lune et les cheveux longs lui seraient descendus à la taille si elle s’était tenue debout. Elle était un peu plus grande que Deirane, mais tout aussi menue. Elle semblait provenir d’un royaume de l’est, situé entre la Nayt et la Nasïlia. Et elle correspondait à la description succincte que lui avait faite Chenlow : peut-être était-ce cette Samborren dont il lui avait parlé. L’expression de cette inconnue était signe d’une avidité intense. Elle voulait rejoindre les navires. Elle voulait partir d’ici, s’enfuir le plus loin possible. La jeune femme grava son visage dans son esprit pour la retrouver plus tard. Peut-être une future alliée.

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