Chapitre 38 : Le complot - (2/2)

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La réplique de la jeune femme coupa Deirane dans son élan.

— Que veux-tu dire exactement ? demanda-t-elle.

— As-tu remarqué que quand l’un d’eux doit d’appeler Chenlow, il sort, il est de retour un instant plus tard. Puis Chenlow arrive.

— Et après ?

— Pourquoi ne reviennent-ils pas ensemble ?

— Parce qu’il n’est pas allé le chercher. Il l’a seulement prévenu.

— Mais comment ? Comment peut-il contacter Chenlow sans aller jusqu’à lui ?

Pour la seconde fois, Deirane resta muette, incapable de donner une réponse.

— Il envoie un autre eunuque faire la course, suggéra Ard.

— Je pense plutôt qu’il se rend jusqu’à une salle surveillée, il transmet un message à l’espion, puis il revient. L’espion prévient alors Chenlow.

— Ce n’est pas comme ça qu’ils procèdent, intervint une toute petite voix. Mais je sais comment ils font.

Tout le monde se tourna vers Loumäi. Lorsque Deirane n’était pas seule, la domestique se rendait si discrète qu’on l’oubliait. Mais elle était bien là, telle une souris exécutant son travail. Quand elle vit qu’elle était devenue le point de mire du groupe, la jeune Salirianer s’était refermée comme une huître. Elle hésitait à parler. Deirane effectua les quelques pas qui la séparaient d’elle et la prit par les épaules.

— Tu peux dire ce que tu veux, ici, tu es l’une des nôtres. Tu n’as pas à demander d’autorisation pour parler.

— Je suis une domestique, vous êtes une concubine.

— Je suis une esclave comme toi. Nous sommes pareilles.

La camériste déglutit avant de s’expliquer.

— Ils utilisent les bracelets pour le prévenir.

— Comment ça ? Je croyais qu’ils n’ouvraient que les portes.

— On peut aussi prévenir quelqu’un. Ça fait un bip et on sait qui nous appelle et où il se trouve.

Deirane baissa les yeux vers la mince bande sombre qui ceignait le poignet de la jeune femme. Elle lui semblait trop fine pour afficher quoi que ce soit. Loumäi dut remarquer l’étonnement de sa maîtresse, car elle expliqua :

— Pas sur le bracelet. Mais quand il vibre, on va à une porte et on le met devant le système d’ouverture. Ça écrit le nom et l’endroit.

— Et pour prévenir ?

— On touche la plaque. Des lettres s’affichent. On tape le nom de la personne.

Ard avait suivi toute la discussion, les oreilles en alerte. L’érudit ne manquait jamais une occasion de s’instruire ni de transmettre ce qu’il avait appris. Il prit le bras de la domestique et examina avec la plus grande concentration cet objet si mystérieux.

— Un bracelet d’esclave feytha, s’écria-t-il. J’ignorai qu’il en existait encore en état de marche. Comment l’Orvbel se les est-il procurés ?

— Ce palais est une de leurs anciennes forteresses. Ils ont dû laisser plein de choses derrière eux.

Le vieil homme regarda la petite femme.

— Tu es au courant depuis quand ?

— Ben oui, renchérit Dursun, c’est quand même une information importante. Quand comptais-tu nous en parler ?

— Je le sais depuis toujours, se défendit Deirane. Chenlow me l’a dit le premier jour. Je croyais que tout le monde le savait.

— Je l’ignorais, intervint Nëjya, et Dursun aussi. Apparemment, tu as laissé une forte impression sur notre chef des eunuques pour qu’il te confie cela.

— Mais en quoi est-ce important ?

— Les feythas ont fabriqué des tas d’objets extraordinaires, expliqua Dursun, ce palais doit en être bourré. Certaines pourraient se révéler utiles.

Ard s’agita frénétiquement pour les inciter à se taire. Intrigué par son comportement, tout le monde fit silence.

— Parmi eux, certains pourraient permettre de nous observer, murmura Ard, sans avoir besoin d’employer de bouches et de conduits. Du coup, ces chambres que l’on croyait sûres ne le sont plus.

Les concubines regardèrent autour d’elles, subitement inquiètes. Mais aucune catastrophe ne se produisit. Ard désigna la fenêtre, sans que personne ne le comprît. C’est Nëjya qui se révéla la plus vive d’esprit pour une fois.

— Je ne sais pas pour vous, mais moi j’ai besoin de me défouler. J’ai bien envie d’essayer quelques-unes de ses passes que Naim nous a montrées.

— Comment ? demanda Deirane, Naim n’est pas là.

— On n’a pas besoin d’elle pour répéter les mouvements qu’elle nous a appris.

Elle prit la main d’Elya et commença à s’éloigner.

— J’emmène Elya, un peu d’exercice lui fera du bien.

— Je vais mettre quelque chose de plus adapté et j’arrive.

— Moi aussi, ajouta Dursun.

— Et les nièces de Dovaren ?

— Je les prends avec moi. Elles sont trop jeunes pour s’entraîner. Mais au moins, on pourra les surveiller.

Nëjya quitta l’aile, Elya, Ard et les fillettes sur les talons.

Dursun et Deirane restèrent seules. Elles se regardèrent un moment.

— Comptes-tu pardonner un jour à Sarin ? demanda la petite Aclanli.

— Je n’en sais rien. Elle était amie avec Dovaren. Et pourtant elle l’a trahie.

— Tu étais plus proche de Dovaren que moi. Je comprends que sa mort te rende malheureuse. Mais pense qu’aucune des actions de Sarin ne pouvait rien y changer. Nous non plus d’ailleurs. Dans ce jeu, nous ne disposions pas de mauvaises cartes, nous n’en avions pas du tout.

— Tu te trompes, j’en détenais une et j’aurais pu l’exploiter.

— Laquelle ?

D’un geste de la main, Deirane désigna son propre corps, de la tête au pied.

— En effet, une arme puissante. Mais aurais-tu été capable de l’utiliser ?

— Pas moi. Brun. Moi, j’aurai pris une ou deux de ces petites pilules pour ne rien ressentir.

— Je doute que le roi se contente d’une femme passive.

— Nous le saurons bien assez vite. Enfin, surtout moi. Toi tu es encore trop jeune, tu as deux ans de sursis.

— Sauf que toi tu aimes les hommes. Pas moi. Tu as un avant-goût de ce qui m’attend en regardant Nëjya.

— Ce n’est pas pareil, elle a été prise de force.

— C’est ce qui m’arrivera aussi. Je serais incapable de toucher un homme. Rien que l’idée que l’un d’eux pose ses mains sur moi, ça me dégoûte. Pour me forcer, il ne faudra rien de moins que cette matraque électrique qui t’effraie tant.

Deirane frissonna au souvenir des souffrances que lui avait infligées cet instrument de torture.

— Nous avons deux ans donc pour trouver une solution.

Dursun répondit par un sourire triste avant de rentrer dans sa chambre pour se préparer à rejoindre Nëjya. Deirane l’imita. Après Jevin, elle avait décidé que plus aucun homme ne la prendrait de force. Les cours de Naim étaient un élément central de cette promesse. Et même si elle ne se berçait d’aucune illusion sur ses aptitudes à se défendre – sa silhouette menue la rendrait toujours facile à maîtriser – elle n’en manquerait aucun.

Alors qu’elle ouvrait sa porte, une idée commença à germer dans son esprit. Elle se tourna vers Dursun qui ne s’était pas encore enfermée.

— Dursun, je t’aime, dit-elle simplement.

La petite Aclanli fut un instant décontenancée. Elle n’eut pas le temps de réagir avant que Deirane n'ait disparu dans sa propre chambre.

Quant à la jeune Yriani, le sourire qui étirait ses lèvres n’évoquait rien d’engageant. Biluan allait mourir, et à moins qu’il se montrât plus intelligent qu’elle ne le pensait, rien ne pourrait le faire éviter son destin.

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