Chapitre 35 : L'annonce

7 minutes de lecture

Ard tomba sur Deirane au réveil. Ayant grandi dans une ferme, elle avait pris l’habitude de se lever tôt, même si elle aimait paresser au lit à l’occasion. Depuis son agression, ce trait s’était accentué. Surtout quand son emploi du temps prévoyait des cours à suivre. Il fallait qu’elle fourbît ses armes si elle voulait sortir d’ici un jour. Et vu sa corpulence, ce ne serait pas à la force de son bras qu’elle y arriverait. Ce rôle serait plutôt dévolu aux pierreries qui couvraient son corps. Encore devait-elle apprendre à s’en servir au mieux.

Le vieillard s’assit sur le bord du matelas. Il était le seul homme à pouvoir approcher ainsi Deirane quand elle était nue dans son lit sans qu’elle se sentît menacée. Quoique, à la réflexion, elle n’en savait rien s’il était le seul. Ard était le seul homme à pouvoir entrer dans sa chambre sans invitation.

— Tu penses pouvoir me parler de Dovaren ? demanda-t-il

— Que veux-tu savoir sur elle ? répondit Deirane.

— Tous les détails sur la tentative d’évasion. Je cherche à comprendre pourquoi ça a foiré.

Deirane lui raconta tous les éléments de la fameuse nuit. Quand elle eut terminé, Ard ne dit rien. Il réfléchissait.

— Je crois que Sarin n’a pas menti, suggéra-t-il enfin, ils disposaient déjà toutes les informations quand ils l’ont interrogée.

— Mais comment ?

— Je ne sais pas, mais je dois trouver rapidement. J’ai pu constater que le Seigneur lumineux sait de plus de choses qu’il ne devrait sur ce qui se passait dans le harem.

— Tu penses à un espion ? Pourtant en dehors de notre petit groupe, je n’ai pas de relations avec les autres concubines. On nous ignore ostensiblement.

— Dans quelle mesure crois-tu en la loyauté de Loumäi ?

— Elle ne me trahirait jamais, je lui ai sauvé la vie.

— Peut-être ?

— Comment ça peut-être ?

— Se trouvait-elle réellement en danger ou était-ce une mise en scène pour te donner confiance en elle ? En tout cas, je constate que la recherche du poison destiné à te tuer n’a pas donné de suite.

— Ils ne l’ont trouvé nulle part. Je ne vois pas ce qu’ils pouvaient faire d’autre ?

— Il réapparaîtra un jour. Mais je ne crois pas que la personne accusée sera celle qui s’en sera servi.

Deirane hocha la tête. Elle se doutait depuis longtemps que ce genre de manœuvre arriverait tôt ou tard. Elle espérait juste que le couperet ne tomberait pas sur une de ses amies. Le mieux pour ça était qu’il ressurgît bientôt, pendant que son groupe de fidèles ne possédait encore qu’une influence trop insignifiante pour constituer une cible. Plus tard, quand elle aurait acquis du pouvoir, si le poison refaisait alors surface, il y avait fort à parier qu’il accuserait Dursun ou Nëjya.

Dursun et Nëjya. Deux alliées. Son parti avait déjà perdu la moitié de ses membres, si on excluait les enfants. Elle n’avait pas commencé à se battre qu’elle était en train de perdre la guerre. Elle devait se reprendre.

— On doit vite trouver comment Brun nous espionne, continua-t-elle.

— C’est évident, confirma Ard. Personne ne doit connaître votre prochain plan d’évasion jusqu’à son exécution si vous voulez qu’il réussisse.

— Sans aide extérieure, nous ne pourrons jamais escalader ces murs, remarqua Deirane.

— Il n’y en a pas besoin. Il suffit d’emprunter les passages secrets.

— Quel passage secret ?

— Ce palais en est certainement truffé. Tous les bâtiments de cette nature en possèdent. Ne serait-ce que pour une raison de sécurité, pour permettre au maître des lieux de s’enfuir en cas d’invasion ?

— Et tu les connais ?

— Non. Je suis tout récent dans cet endroit. Et ce n’est pas le genre de renseignement qu’on trouve dans les livres.

Deirane réfléchit un instant.

— Orellide m’en a montré un qui relie son appartement au bureau de Brun.

— Tu vois ? Tu en sais plus que moi.

— Je n’en connais qu’un seul.

— Ce qui fait un de plus que moi.

Elle essayait de se remémorer son trajet dans la pénombre.

— Et j’ai aperçu quelques couloirs transversaux en le traversant, ajouta-t-elle.

— Il existe tout un labyrinthe à travers les murs, en conclut le Naytain.

Il se leva.

— Je vais me renseigner. Ces passages, quelqu’un les a construits. Cet endroit n’est pas si vieux. Autrefois, des stoltzt habitaient ici. Peut-être certains architectes sont-ils encore vivants.

— Ils sont tous morts. Ce palais a été bâti par les feythas.

Ard interrompit son geste.

— Et ils n’avaient pas l’habitude de laisser des plans derrière eux, acheva-t-il d’une voix où perçait le découragement.

Deirane lui attrapa le bras. Dans le mouvement, le drap qui la couvrait glissa, la dénudant jusqu’à la taille. Ard était surpris. Autrefois, quand il l’avait connu, jamais elle ne se serait ainsi exposée à son regard. Et là, elle n’y accordait aucune attention, comme si elle ne s’en était même pas rendu compte.

— Attends, le retint-elle.

— Autre chose à dire ?

Deirane hocha la tête.

— Tu es la seule personne à qui je peux me confier. Dursun est encore une enfant.

À regret, le vieil homme s’arracha à la vision de rêve que lui offrait la jeune femme.

— Et Nëjya ?

— Elle aime les femmes. Elle ne comprendrait pas.

— Oh !

Ard esquissa une moue amusée.

— Je sais maintenant pourquoi mon charme irrésistible n’agit pas sur elle.

Sa plaisanterie atteignit son but en soutirant un sourire timide à Deirane.

— Tu te trompes sur Dursun, la contredit-il. Je doute qu’elle soit trop jeune. Elle n’a pas encore dix ans. Mais en cet endroit, on grandit vite. Elle me semble plus mûre que son apparence ne le suggère.

— Je sais. Si elle était adulte, elle ferait un bien meilleur chef que moi.

— Alors, si tu me racontais ce que l’on ne peut dire qu’à un adulte.

Deirane hésita un long moment.

— Ce n’est pas facile de dire ça à un homme.

— Dans ce cas, oublie que j’en suis un.

— J’ai du retard, dit-elle enfin.

— Du retard en quoi ?

— Tu sais. Pour nous, les femmes.

— Et quoi d’autre ?

— J’ai les seins douloureux. Et le matin, j’ai envie de vomir.

Ard reprit sa place sur le lit.

— Tu es enceinte ?

— J’en ai peur. La première fois, je ne connaissais pas les signes. Je me croyais malade. Mais maintenant, j’en suis sûre.

— Tu as une idée sur l’identité du père.

— Évidemment. Je n’ai pas eu beaucoup d’amants ces derniers mois.

— Je suppose que ce n’est pas Brun.

Deirane secoua la tête.

— Jevin alors ?

— C’est le seul. Que va-t-il se passer si je mets au monde un enfant qui n’est pas du roi ?

— Il risque de te donner à Jevin et ta vie deviendra semblable à celle de Nëjya. Il transformera ton existence en un enfer chaque fois qu’il séjournera au palais. Sans compter que c’en est fini de tes espoirs d’exercer de l’influence un jour.

— Que dois-je faire ?

— Je ne vois qu’une seule solution.

— Laquelle ?

— En parler à Orellide.

— C’est la mère de Brun, si elle refuse de m’aider.

— Alors, tu es perdue de toute façon. Mais elle a trop investi sur toi pour renoncer maintenant.

Ard regarda le ventre de la jeune femme. Son nombril constituait un des centres du tatouage qui lui couvrait le corps. L’ensemble des lignes d’or qui la parcouraient partait de là. Mais il n’avait pas suivi les courbures naturelles. Elle avait le ventre plat et elle n’était pas très musclée. Il avait donc disposé d’une totale liberté de s’exprimer. Il porta son attention sur les signes de l’enfantement. Ils n’étaient pas encore visibles. C’était trop récent. Comme quelques autres avant lui, il se demanda ce qui allait se passer avec les fils d’or quand elle allait grossir. Il n’en avait aucune idée. Mais elle avait déjà donné naissance une fois, et tout s’était bien déroulé, son ventre et ses seins s’étaient développés normalement.

Le Naytain éprouva une bouffée de désir envers son élève. Elle était toute petite certes, mais sa beauté était hors de proportion avec sa taille. Depuis quelques mois, elle était devenue adulte selon les lois de l’Yrian, une année de plus et elle le serait physiquement également. La femme qu’elle deviendrait était presque achevée, elle n’allait pas beaucoup changer d’ici là : peut-être gagner un ou de doigt de hauteur, ce qui la laisserait plus menue que n’importe qui en ce monde – sauf les enfants – un peu de poitrine et de hanche aussi. En tout cas, elle n’était plus l’adolescente qui était tombée entre les pattes de ce monstre ni celle qui avait dû fuir sa famille pour survivre. Il ne la connaissait pas à l’époque, mais il pensait avoir une bonne idée de ce à quoi elle devait ressembler.

Deirane posa la tête contre la poitrine de son aîné. Cela le tira de sa rêverie.

— Orellide veut partir d’ici, reprit Ard.

— Comment ça ? Comment peut-elle s’en aller ?

— Il suffit qu’elle se trouve une remplaçante. Elle aura alors la possibilité de se retirer.

— Où ?

— Elle a déjà acquis une maison en ville. Elle y résiderait loin du harem et de ses complots. Elle est vieille et elle ne supporte plus cette ambiance.

— Mais elle est belle encore.

— La vie dans ce milieu protégé préserve en partie des méfaits de l’âge. Mais elle est la mère de Brun, n’oublie pas. Elle ne doit pas avoir loin de quarante ans. Peut-être qu’elle les a déjà dépassés. Son rang lui donne droit à une suite de cinq eunuques ainsi qu’à une pension. Elle dispose également de suffisamment de revenus en propre pour engager des domestiques.

— Et tu penses qu’elle veut que je prenne sa place ?

— Je ne pense pas, je sais.

— Comment ?

Ard lui répondit d’un petit sourire.

— Laisse-moi garder une part de mystère. Sinon, je ne serais qu’un vieil homme inintéressant.

Deirane lui rendit son sourire. Puis elle reposa la tête contre la poitrine. Ard avait été très musclé autrefois. Avec l’âge, il avait beaucoup maigri, mais il s’avéra plus confortable qu’on ne s’y serait attendu. L’érudit enlaça la petite femme, avec précaution pour ne pas l’écraser tant elle semblait fragile.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0