Chapitre 31 : Le spectacle - (2/3)

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La porte s’ouvrit, un domestique entra dans la pièce.

— La voiture du seigneur lumineux est avancée, annonça-t-il.

— Quand même, répondit le roi, j’ai failli attendre.

Il se leva et tendit le bras droit à Deirane. À sa grande surprise, il offrit le gauche à Dovaren. La beauté au tatouage exotique et la Naytaine au corps superbe. Ce choix paraissait loin de satisfaire les trois concubines. Le visage de Mericia était totalement indéchiffrable, mais Larein leur lança un regard assassin. Elle ne put voir l’expression de Lætitia qui lui tournait le dos, mais elle l’imaginait identique à sa compagne rousse.

Brun marcha posément comme il se devait de la part du maître du pays. Il suivit le domestique jusqu’aux portes menant à l’extérieur que deux gardes dans leur costume rouge surveillaient. Deirane n’en revenait pas. Non seulement elle sortait du harem, mais en plus, elle quittait le palais. Chenlow l’avait prévenue. Mais cela ne l’avait pas préparé à cet événement. Elle n’avait pas pensé que la population de la ville l’apercevrait.

Au pied du grand escalier, trois voitures à cheval patientaient. Elles étaient découvertes de façon à ce que le monarque pût être vu de ses sujets. Brun monta dans la première, conviant ses compagnes à s’asseoir de part et d’autre de lui. Dayan s’installa dans la seconde avec Cali et Mericia. La troisième fut occupée par Chenlow et les deux concubines restantes. Deirane soupçonna que Mericia n’était présente que pour des raisons de symétrie. Le roi était entouré de deux partenaires, le ministre devait l’être également. Et comme il ne possédait qu’une seule épouse, Brun lui en avait prêté une. Quant à Chenlow, officiellement célibataire, il lui en fallait deux.

Les gardes se répartirent tout autour des véhicules. Quatre cavaliers devant, quatre autres derrière et dix lanciers de chaque côté. Un dispositif impressionnant dans une ville aussi petite qu’Orvbel. Sans compter que des barrières avaient dû être dressées sur l’itinéraire et que des soldats veillaient un peu partout.

Ils se mirent en route, lentement comme il seyait à une personne importante. L’équipage se dirigea vers les grilles qui fermaient la cour d’accueil. Les deux plantons les ouvrirent et se mirent au garde à vous au passage de leur souverain.

En réalité, il n’y avait pas de barrières ni de gardes le long du trajet. Cela était évident. Ils n’étaient tout simplement pas suffisamment nombreux pour sécuriser toute la distance à parcourir. À la place, le petit groupe de cavaliers se chargeait de dégager le passage. Ils disposaient d’un long bâton en bois dur qui se révélait assez efficace pour écarter les personnes sans rien n’infliger de plus grave que quelques contusions.

Deirane regardait les gens autour d’elle. Leur visage exprimait toutes sortes de sentiments qui allaient de l’admiration, les plus nombreux, jusqu’à la haine pour certains. Mais ces derniers demeuraient minoritaires. Dans l’ensemble, Brun semblait apprécié de sa population. Mais pourquoi ne le serait-il pas ? Les seuls qui auraient pu se plaindre étaient les esclaves, ce jour-là absents de la foule. Les citoyens eux-mêmes vivaient plutôt bien. Et le roi actuel avait mis fin aux exactions de son prédécesseur.

Deirane s’attendait à ce qu’ils se dirigeassent vers le cœur de la ville, là où devaient se trouver les édifices culturels. Mais au lieu de ça, ils traversèrent le pont qui enjambait l’Orvbel et continuèrent vers la périphérie. À l’ouest du fleuve, un bâtiment massif, largement décoré de statues et de bas-reliefs figurant des hommes en train de combattre se dressait au centre d’une place noire de monde.

Les trois voitures s’arrêtèrent devant une entrée gardée par deux hallebardiers. Un planton vint ouvrir la porte et sortir l’échelle pour que Brun pût descendre. Une fois au sol, il invita ses compagnes à le rejoindre et il en reprit une à chaque bras. Derrière lui, Dayan et Chenlow l’avaient imité.

Entourés de leur escorte, ils pénétrèrent dans l’édifice. Le couloir n’était pas large, mais sa décoration et la profusion de son éclairage compensaient ce défaut. Il se terminait par une double porte, actuellement ouverte, qui donnait sur un escalier. Celui-ci, étroit, ne pouvait livrer passage qu’à une personne à la fois. Brun, galant, invita ses deux compagnes à entrer devant puis il s’engagea à leur suite.

Ils arrivèrent dans une loge, protégée des ardeurs du soleil d’un dais de tissus, qui faisait face à un immense espace vide. Tout autour étaient disposés des gradins de pierre dure. Mais eux même avaient droit à de vrais fauteuils. C’était une arène. Le spectacle avait lieu dans une arène. Envolés les espoirs de théâtre ou d’opéra. Ce qui se produisait ici c’était des combats à mort. Rien que cette idée donna la nausée à la petite femme.

Brun s’installa à la place d’honneur, ses compagnes de chaque côté. Dayan et ses accompagnatrices disposaient de leur siège une marche plus bas, même en ce lieu les préséances étaient respectées. Quelques domestiques entrèrent à leur suite, prêts à assouvir les moindres désirs de leur maître. Ils restaient debout, alignés contre le mur du fond. Demeurer ainsi des heures durant semblait pénible à Deirane. Mais elle apprit par la suite qu’il y avait des compétitions pour décrocher ce poste au sein du palais, parfois aussi violente qu’au harem.

Les gradins, déjà largement occupés à leur arrivée, finirent de se remplir rapidement. De part et d’autre de la loge royale, les nobles et les bourgeois qui faisaient vivre la ville prirent place. La population continua d’affluer et les derniers sièges ne restèrent pas longtemps libres.

Un groupe de hérauts munis d’une trompette s’avança sur une corniche qui faisait face à la Brun et interpréta l’air d’ouverture des jeux. Le calme s’installa. Brun se leva. Il tendit le bras en avant. Dans la main, il tenait un mouchoir blanc. Tout le monde retenait son souffle. On aurait pu entendre une mouche voler à l’autre bout de l’arène tant l’assistance était silencieuse.

Brun déplia enfin les doigts, laissant s’échapper le petit morceau de tissu que le vent entraîna vers la piste.

— Les jeux d’Orvbel, vingt-huitième jour du mois de murnyl[1] sont ouvert, déclara le porte-parole.

Sa phrase fut soulignée d’un air de trompette qui marqua le début d’un brouhaha intense. La foule criait. Elle acclamait Brun pour ce spectacle qui s’annonçait.

Brun se pencha vers Dovaren.

— Vous avez de la chance, lui glissa-t-il à l’oreille. Aujourd’hui, c’est la finale. Vous allez assister à une prestation exceptionnelle.

— La finale ?

— Le meilleur gladiateur de l’année.

Puis il reprit sa place, dans son siège.

Les deux chanceuses avaient raté les explications du héraut. Il présentait les combattants qui étaient entrés dans l’arène en deux rangées de dix. Devant eux, leur faisant face, l’arbitre. Il tenait une grande coupe dans les bras. Deirane examina les hommes – et quelques femmes aussi d’ailleurs – qui allaient se battre. Ils étaient presque nus, leur costume se limitant à une culotte de cuir. Certaines parties de leur corps étaient protégées par un élément d’armure. Et ils possédaient tous un casque, richement décorés. Leurs muscles développés avaient été huilés pour les faire briller au soleil. Elle remarqua que certains portaient un bracelet d’identité helarieal. Deux d’entre eux arboraient les tatouages sangärens, mais le troisième pourrait bien être un stoltz Mustulsis à en juger par sa carrure. Elle se pencha en avant, vers Chenlow.

— Il y a des esclaves helarieal parmi les combattants ?

— Ce ne sont pas des esclaves, intervint Brun. Ce sont des gladiateurs professionnels. Ils parcourent le continent pour s’opposer aux plus valeureux adversaires.

— Ils sont payés pour ça ?

— Et même très bien quand ils sont bons. Sans compter les avantages annexes.

— Les avantages annexes ?

— Les meilleurs sont de vraies stars. Ils ont l’argent, la célébrité et les femmes.

Les gladiateurs réagissaient différemment face au combat qui s’annonçait. Certains paraissaient calmes, presque absents. D’autres prenaient des poses orgueilleuses qui permettaient de bien mettre leur vigueur en avant. Quelques-uns manifestaient leur agressivité et l’un d’eux lança un défi à ses adversaires et à l’assistance, rompant l’ordonnancement quasi militaire qu’ils avaient lors de leur arrivée. Brun ne réagit pas face à son insolence. Au contraire, il s’en délectait. Cela faisait partie du spectacle.

Tour à tour, les gladiateurs défilèrent devant la coupe et y déposèrent un jeton. L’arbitre en tira deux et annonça les noms. Ceux qui avaient été désignés se mirent face à face, leur arme en main. Ils étaient identiques, un petit bouclier rond et un glaive. Leurs compagnons s’écartèrent.

Un coup de gong donna le signal du combat. Ils tournèrent l’un autour de l’autre, se jugeant mutuellement. Toutefois, leur posture indiquait aussi qu’ils paradaient, qu’ils s’offraient à l’admiration du public. Puis la bataille s’engagea. Les attaques étaient toujours interceptées par le bouclier comme s’ils s’étaient concertés pour savoir où chacun allait frapper. Mais les coups étaient violents, sans retenue. Finalement, l’un d’eux plia le genou. Il protégea sa tête, mais il semblait incapable de continuer. Au bout de quelques vinsihons, il s’effondra. Le combat n’avait duré que quelques stersihons. Son adversaire leva alors ses armes et fit le tour de l’arène en poussant des cris de victoire. Il termina devant la loge royale. Brun se mit debout et le salua. Pendant ce temps, deux brancardiers évacuaient le corps.

— Que va-t-il advenir d’eux ? demanda Deirane.

— Ils vont être payés, répondit Chenlow. Le vainqueur cent cels, le vaincu dix. S’ils ont suffisamment récupéré, ils pourront replacer leur jeton dans la coupe plus tard dans la journée. Et qui sait, le perdant pourra peut-être gagner.

Deirane était rassurée. Elle s’attendait à un spectacle sanglant. Mais si ce qu’elle venait de voir était représentatif de ce qui se passait en ce lieu, ce n’était pas pire que les combats de boxe organisés en Yrian. Si ces gens étaient des professionnels, ils devaient avoir des chances de survie très élevée, sinon personne ne s’engagerait dans ce métier.

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[1] Murnyl : neuvième mois de l’année, quatrième de l’été.

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