Chapitre 29 : L'évasion - (3/3)

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Deirane lui saisit la main alors qu’elle s’éloignait. Comme si c’était un signal, les deux autres femmes l’attrapèrent. Un combat silencieux commença entre Dovaren et les trois fuyardes. Mais elle était seule. Et finalement, Deirane n’était pas aussi faible qu’elle le paraissait. À trois, elles arrivèrent à la faire tomber. Loumäi et Nëjya s’assirent sur elle pendant que Deirane lui immobilisait les bras au-dessus de la tête.

— D’accord, tu dois tenter quelque chose, suggéra Deirane, mais pas n’importe quoi.

— Lâche-moi.

— Déshabille-toi d’abord.

Elle roula des yeux étonnés.

— Fous-toi à poil et va rejoindre les gardes. Et parle avec eux.

— Quelle idée Deimos t’a-t-il inspirée ?

— Nous nous trouvons dans les jardins du harem. Y croiser une concubine nue ne présente rien de surprenant. C’est même plutôt courant. Surtout par une nuit aussi chaude.

Dovaren avait cessé de se débattre, attentive aux paroles de son amie.

— Et après ? demanda-t-elle.

— Tu parles avec eux. Suffisamment fort pour que le bruit des voix puisse parvenir jusqu’aux intrus et les faire renoncer à l’opération. Sans compter que balancer une belle femme nue au milieu de ces gardes devrait les distraire assez pour donner à tes frères une chance de s’enfuir. Ce ne sont pas des eunuques, ils n’ont pas l’habitude.

— Pas con, remarqua Nëjya. En plus, Dovaren n’est pas maquillée du tout. Elle n’attirera pas l’attention.

Dovaren n’était pas arrivée depuis suffisamment de temps dans le harem pour s’être laissée influencer par le comportement des concubines. Elle venait d’un pays dur, ou le vent pouvait tuer. Chez elle, à l’air libre, on se couvrait le plus possible pour se protéger des poussières de feu. Même le visage était voilé. C’était uniquement à l’intérieur de leurs maisons hermétiques que les habitants allégeaient leur tenue. Ici, dans les jardins, la jeune femme se sentait très mal à l’aise. Elle hésitait. Mais l’enjeu était trop important. Ses amies la relâchèrent. Elle se remit debout et commença à ôter son justaucorps. Ses solides chaussures de marche aussi étaient inadaptées, elles seyaient bien peu à la pensionnaire d’un harem. Elle les enleva, décidant de rester pieds nus, malgré les petits cailloux du sol. Heureusement, les gardes ne s’étaient pas trop éloignés du chemin, ce qui ne l’obligerait pas à s’aventurer dans les buissons dans cette tenue.

Son premier réflexe fut de masquer sa poitrine derrière ses bras. Deirane pensa qu’étrangement, elle se montrait beaucoup plus pudique que Dovaren et pourtant c’était la première fois qu’elle la voyait totalement nue alors qu’elle-même n’avait plus beaucoup de secrets pour ses amies — et pour beaucoup de monde d’ailleurs. Détournant son regard de la mince silhouette sombre comme la nuit, elle jeta discrètement un coup d’œil vers les gardes. Le mur accaparait toute leur attention, aucun n’était tourné dans leur direction.

— C’est bon, tu peux y aller, dit-elle.

Elle souligna ses paroles d’un geste de la main.

Dovaren s’engagea sur le terrain. Elle se força à laisser tomber les bras le long du corps. Mais sa gêne était encore plus visible que le nez au milieu de la figure. Elle n’avait pas l’air naturelle. On sentait qu’elle se retenait pour ne pas se cacher. Elle espérait que son amour pour ses frères se montrerait suffisamment fort.

Elle se mit en marche en direction du petit groupe. Elle jouait la promeneuse qui se croyait seule. Alors qu’elle passait au plus près, elle trébucha. Elle poussa un juron et s’assit, prenant son pied entre ses mains. Quelques gardes l’avaient entendue. Ils se retournèrent. Leur capitaine envoya un homme voir l’origine de ce dérangement.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-il doucement.

Elle leva la tête vers lui. Son visage exprima aussitôt ce qui pouvait passer pour de la surprise.

— Mais vous n’êtes pas un eunuque ! s’écria-t-elle, que faites-vous ici ?

— Répondez à la question.

— Nous sommes dans un jardin réservé aux femmes. C’est vous qui n’avez rien à faire ici. Si vous ne partez pas, je vais crier.

Exactement le contraire de ce que voulaient les gardes. Déjà qu’elle s’exprimait sur un ton qui frisait l’hystérie, si elle mettait sa menace à exécution elle allait faire rater toute l’opération.

— Nous obéissons aux ordres du Seigneur lumineux.

— Nous ? Vous êtes plusieurs ?

Elle jeta un regard circulaire autour d’elle. Elle fit semblant de découvrir la troupe dispersée dans les buissons.

— C’est inadmissible, je vais chercher Chenlow, menaça-t-elle presque en criant.

Le capitaine fit un signe à son subordonné.

— Je suis désolé, s’excusa-t-il.

Il la releva brutalement puis il l’empoigna, la transportant gigotante vers son chef, une main sur la bouche.

De sa cachette, Deirane admira la technique. Elle pensait qu’elle s’approcherait, discuterait avec les gardes, et en apprentie séductrice, utiliserait ses charmes pour les distraire. Un vrai rôle de composition. Mais le coup de la belle surprise dans sa nudité par des intrus semblait bien meilleur. Elle n’avait pas besoin de simuler la naïade effarouchée, elle l’était réellement. Son ton hystérique était plus dû à la gêne qu’à son talent d’actrice.

Le garde la déposa devant son capitaine. Elle était arrivée où elle voulait sans avoir éveillé leur suspicion. Mais ainsi exposée face à tous ses hommes, elle se sentait mal. Sans compter le sol, ce n’était plus le sable soigneusement trié des chemins, mais la terre des platebandes avec leurs branchettes, leurs cailloux et les épines des buissons. Elle se força néanmoins à prendre l’air altier.

— Votre présence est inadmissible, remarqua-t-elle, j’en aviserai à Chenlow qui en référera à Brun.

— Madame, veuillez parler plus doucement, ordonna-t-il.

— Je parle comme je veux. Je suis chez moi. Vous êtes des intrus.

Un signe du capitaine et l’un d’eux empoigna la jeune femme par le bras.

— Ne m’obligez pas à devenir violent, menaça-t-il.

Elle roula des yeux affolés.

Un soldat montra quelque chose du doigt en haut du mur.

— Là ! murmura-t-il.

Tous les membres du groupe tournèrent la tête vers le point qu’il désignait. Dovaren suivit le mouvement.

— Grand Deimos, s’écria-t-elle, des envahisseurs !

Son ton avait grimpé dans les aiguës et en volume.

— Faites, quelque chose, on essaie d’entrer dans le harem. Protégez-nous. Chassez-les.

Les intrus, en entendant les cris, s’étaient immobilisés. Ils se trouvaient encore hauts. Ils remontèrent pour s’enfuir. Un garde banda son arc et visa. Dovaren se précipita sur lui. Elle l’agrippa par les épaules au moment où il décochait.

— Que Deimos guide votre tir, ne le ratez pas, l’implora-t-elle.

L’homme exprima son mécontentement d’un geste obscène. La flèche avait heurté un solide mur en brique, loin de sa cible. Elle serait certainement inutilisable s’il arrivait à la retrouver. Et les intrus avaient pu se mettre à l’abri. Dans un instant, ils auraient disparu dans la nature.

Le capitaine jeta un regard furieux à la jeune femme.

— C’est raté, dit-il, on bat en retraite.

Les soldats s’élancèrent au pas de course vers la porte du bâtiment. Ce n’était pas un départ en bon ordre. Ils rejoignaient le plus rapidement un objectif précis, sans souci du décorum. Elle comprit qu’ils voulaient contourner le mur pour essayer d’attraper les intrus à l’extérieur. Mais elle doutait qu’ils y parvinssent. Ils avaient une grande distance à parcourir. Ses frères auraient le temps de disparaître dans la forêt, puis de regagner discrètement la ville et se fondre dans la population. Dans le noir, ils n’avaient pas pu être identifiés.

Elle retrouva Deirane et ses deux compagnes.

— Que fait-on ? demanda-t-elle.

— On rentre dans nos chambres, répondit Deirane. Notre évasion n’a pas fait long feu.

— Une prochaine fois peut-être.

— Peut-être, lâcha-t-elle sans conviction.

Elle commença à marcher vers le fond du jardin.

— Où vas-tu ? l’interrogea Dovaren.

— Récupérer nos vêtements, ça serait plus discret que nos justaucorps.

— Assume tes idées. Fais comme moi. Déshabille-toi, ça nous évitera de trop traîner dehors.

— Et quand ils trouveront l’étui de mon usfilevi avec nos affaires dedans, que vont-ils en conclure ?

— Tu exprimes une vérité.

Elles allèrent à la fontaine faire un brin de toilette, surtout pour effacer les traces du camouflage sur leur visage, avant de remettre leur tenue de concubine. Puis elles rejoignirent leur chambre. Pour éviter de se faire surprendre, elles passèrent par la salle des tempêtes.

Au lieu de rentrer chacune dans leur cellule, elles se regroupèrent toutes chez Deirane. Elles ne voulaient pas rester seules. Le lit était assez large pour qu’elles s’y glissassent toutes les quatre. Elles se blottirent l’une contre l’autre, sans même changer de vêtements. Deirane se retrouva au milieu, ses compagnes cherchaient du réconfort auprès d’elle. Elle se demanda quand elle était devenue si importante pour elles. Elle avait compris depuis un moment qu’elle était leur mascotte, une sorte de catalyseur qui avait permis à leur petite faction de naître. Mais elle croyait que c’était Dovaren qui en était le vrai centre organisateur, qu’elle ne faisait que la suivre. Mais la façon dont elles s’étaient rassemblées autour d’elle montrait que c’était elle qui était le cœur de leur groupe aux yeux des autres.

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