Chapitre 25 : Retour de bâton - (1/2)

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Deux jours après l’altercation avec Jevin, Deirane ne rejoignit pas ses amies dans le couloir avant d’aller en cours. Dovaren s’en inquiéta, alors que Dursun semblait ne pas s’en préoccuper.

— C’est bizarre, ça ne lui ressemble pas de manquer la classe, releva la Naytaine.

— Si, tous les dix-huit jours, comme nous toutes, répliqua l’Aclanli, as-tu oublié ?

— Comment pourrais-je ?

Pour la jeune femme, ce moment s’avérait particulièrement douloureux, contrairement à ses deux amies.

— Je vais voir si elle va bien, d’habitude on remarque à peine que c’est sa période.

— Sauf en deux occasions depuis son arrivée, la contredit Dursun.

Décidément, cette peste avait l’œil à tout. Elle allait devoir la reprendre en main sinon elle deviendrait insupportable.

La Naytaine alla frapper à la porte de son amie. Ce fut Loumäi qui ouvrit. Depuis que Deirane lui avait sauvé la vie, la petite Ocarianite la vénérait presque. Bon, « vénérer » était peut-être un peu fort. En tout cas, elle lui était totalement dévouée.

— Je viens voir comment va Serlen, dit Dovaren.

— Elle est indisposée, répondit la jeune esclave.

— Je repasserai plus tard alors.

— C’est préférable, je pense. Elle doit se reposer.

Dovaren rejoignit Dursun et Elya.

— Il y a quelques jours des nausées, aujourd’hui ça. Je commence à me demander si elle n’est pas enceinte.

— Il ne vaudrait mieux pas, objecta Dursun, sinon elle est morte. Brun ne tolérera jamais une telle trahison.

L’eunuque qui les guida jusqu’à la salle de classe s’il remarqua l’absence de la petite femme ne manifesta aucune réaction. Il se contenta de les escorter sans faire aucun commentaire.

Ce matin-là, Kazami les rejoignit. Elle ne suivait pas les mêmes cours que les trois novices, elles ne se voyaient pas systématiquement. La dernière fois remontait à huit jours. Elle ignorait donc tout des événements récents. Dovaren se chargea de la mettre au courant.

— Serlen a effectué sa première mission hors du harem, résuma la Naytaine.

— Une mission ? Quel choix étrange de mot !

— C’est pourtant à ça que ça ressemble. Elle a mangé en compagnie du roi et des commerçants avec qui il faisait des affaires, elle devait les étudier, puis négocier avec eux.

— Je me doutais bien que Brun n’avait pas payé un tel prix rien que pour la mettre dans son lit, qu’il envisageait d’autres projets pour elle.

— En fait, il ne l’a pas eue pour tant d’argent que ça. Elle lui a coûté moins cher que l’ensemble des pierres précieuses qu’elle porte.

— Combien ?

— Moins de cinq cents cels.

— Cinq cents pour une femme comme Serlen ! Les robes ou les chaussures, je savais. Mais pour les esclaves, j’ignorai qu’il existait aussi des soldes.

— Il l’a volée, expliqua Dursun, il a juste payé le commanditaire pour l’acheminer jusqu’ici. Son enlèvement a été effectué par une troupe qu’il entretient hors du pays. Qu’ils se tournent les pouces ou qu’ils travaillent, ça lui coûtera la même chose.

— Et si nous revenions à cette mission, reprit Kazami. Qu’a-t-elle accompli pour votre avare de propriétaire ?

— Il l’a chargée de négocier un achat d’esclave. Tout un village de deux cents paysans qui doit être vendu pour honorer leurs dettes.

— Des Naytains, je suppose. Non pas que je critique ton pays, mais il est réputé pour ce genre de pratiques.

— N’aie pas peur, je ne m’attends pas à ce que tu comprennes nos coutumes. Serlen qui vit beaucoup plus près n’y arrive pas non plus.

— Justement, Serlen ? Je ne la connais pas aussi bien que vous. Mais il me semble que c’est contraire à ses convictions. Comment a-t-elle pris la chose ? demanda la jeune femme.

— Très mal. Elle en est malade, répondit Dursun.

— Elle n’arrête pas de vomir et de dormir, ajouta Elya.

Kazami ouvrit grands ses yeux d’affolement.

— Elle ne serait pas enceinte pas hasard ?

— Elya exagère. Elle était dégoûtée il y a six jours et a eu la nausée toute la soirée. Et elle n’a paressé au lit que ce matin.

— Nous devrions quand même mieux nous en assurer. On ira voir ça après les cours.

— Tu n’as pas le droit de rentrer dans le harem, objecta Dovaren.

La jeune femme désigna son corps de la main. Comme la plupart des élèves, elle était assez aisée pour s’offrir des tenues assez similaires à celle des deux novices. En fait, elle était même plus somptueusement habillée que ses amies. Elle portait une jupe verte qui descendait aux chevilles et une bande de tissu de la même couleur, mais brillant et brodé de motifs au fil d’or qui lui couvrait à peine sa poitrine menue en la moulant étroitement. Avant d’arriver en cet endroit, Dovaren n’aurait jamais osé s’exhiber dans des vêtements aussi impudiques, et à sa connaissance Deirane non plus. Mais Kazami semblait à l’aise avec alors que personne ne la forçait. Elle venait du Gelang, aux coutumes différentes. Peut-être que là-bas ce genre de tenue était normal. Elle allait poser la question quand Kazami la reprit la parole.

— Les eunuques connaissent-ils toutes les femmes du harem ? Ainsi habillée, ne pourraient-ils pas me confondre avec une concubine ?

— Possible, surtout les jeunes, récemment arrivés. Ils n’ont pas encore tous les visages en tête. Mais ils sont peu nombreux, le personnel ne change pas souvent.

— Merci de ta diplomatie et de n’avoir pas dit que je ne possédais pas les critères de beauté adéquats.

Dovaren ne savait pas si elle était sérieuse ou pas. Dans le doute, elle renvoya un sourire amusé.

— Même si tu arrives à entrer en te faisant passer pour l’une des nôtres, c’est pour ressortir que tu éprouveras des difficultés, remarqua Dursun.

— Si je peux revenir dans la partie publique du harem, il n’y aura aucun problème.

— Les lieux ont été conçus pour nous empêcher de nous enfuir. Si c’était aussi facile, plus aucune d’entre nous ne serait encore ici. J’ignore ce qu’ils ont prévu pour nous surveiller. Mais ce n’est pas parce qu’on ne voit rien qu’il n’y a rien.

Kazami se rassit, un sourire aux lèvres.

— J’aimerais bien visiter le harem. Mais, vous avez raison, c’est trop dangereux. J’ai beau être une élève payante, l’Orvbel ne laisserait jamais passer une telle chose. Même si après le coup que lui a porté l’Helaria il lui est plus difficile de se priver de mon argent. Ça ne restera qu’un rêve.

— Quel coup ?

La dernière remarque de la jeune femme avait retenu toute l’attention des deux concubines.

— Vous ne savez pas ? Ça fait plusieurs douzains que c’est connu.

— Comment veux-tu qu’on le soit, répliqua Dovaren, tu crois qu’un aède vient tous les matins nous annoncer les nouvelles du jour ?

— Bien sûr que non, je suis stupide.

— Et d’ailleurs, comment es-tu au courant de ce qui se passe dehors ? remarqua Dursun. Tu n’as pas le droit de sortir d’ici jusqu’à la fin de tes études.

— Je peux échanger du courrier.

— Intéressant, tu peux donc communiquer avec l’extérieur.

— De façon limitée. Mes lettres sont lues.

— Si nous revenions à l’Helaria, les interrompit Dovaren.

— J’y viens. Il y a quelques mois, l’Helaria a coupé la voie de trafic qui passe par le Lumensten. Et ils l’ont fait si discrètement que l’Orvbel a continué à l’utiliser pendant pas mal de temps. Ils ont capturé une bonne quantité d’espions. L’organisation de Brun a pris un coup dur. Sans compter le bateau qu’ils ont intercepté un douzain plus tard.

— Quel bateau ?

— À Kushan, ils ont trouvé un transporteur. Il était de fabrication mustulal, son affrètement était Shaabiano. Mais il disposait d’un équipage constitué d’esclaves orvbelians. C’était un céréalier. Mais en le fouillant, ils ont découvert une pièce secrète où ils pouvaient cacher des prisonniers.

Dursun était si excitée qu’elle tenait à peine sur sa chaise.

— Je suis sûre que c’est le bateau qui a amené Serlen jusqu’ici, lâcha-t-elle soudain. Tu te souviens, elle nous a raconté qu’il n’avait pas pu finir le voyage parce qu’il avait été trop endommagé pour continuer.

— Ça y ressemble, répondit Dovaren.

— Dans ce cas, je la plains. On dit que le capitaine était un vrai sadique et que son second était encore pire.

— Ça, ça ne colle pas, remarqua Dursun. D’après elle, le capitaine se montrait indifférent et le second avait pitié d’elle.

La porte de service de la salle s’ouvrit. Le professeur qui devait donner cours allait entrer. Les discussions s’arrêtèrent aussitôt. Dursun et Elya rejoignirent leur place. Quel que soit leur rang, tous les élèves, y compris les nobles, se mirent debout pour accueillir leur maître avec le respect qui lui était dû. Comme d’habitude, Sarin arriva en retard. Elle se dépêcha de s’asseoir, adressant un bref salut aux chanceuses.

Les rares cours en commun entre Kazami et les trois novices se limitaient à l’histoire, la géographie et les langues. C’était du premier qu’il s’agissait ce jour-là. Et Deirane regretterait certainement de ne pas être venue, car c’est son pays que l’ont étudiait. Le cours portait sur la formation territoriale de l’Yrian : comment un esclave en fuite avait créé le plus puissant État du continent. Dovaren comprenait mieux maintenant pourquoi l’Yrian réprouvait l’esclavage. Le premier roi de la lignée, celui que l’histoire avait retenu sous le nom de Menjir Ier le Fondateur, en avait souffert lui-même. À l’instar des Helariaseny, il avait développé une haine farouche contre cette forme d’oppression. Toutefois, à la grande surprise de la jeune femme, il n’était pas parti de Sernos, mais d’Elmin. Et à sa mort, la prestigieuse capitale des feythas ne faisait pas partie de ses domaines. Ces temps lointains se situaient juste après la guerre. Le monde était encore en ruine et seules quelques nations commençaient tout juste à relever la tête. L’Yrian au nord, l’Helaria au sud et la Nayt à l’est. Et comme par hasard, ces trois pays disposaient de ressources alimentaires en suffisance. Dans les trois cas, c’étaient les paysans qui avaient permis à l’économie de redémarrer. Dovaren se demanda si son pays avait raison de les taxer et de les pressurer ainsi qu’il le pratiquait. Parce qu’ils travaillaient la terre, on avait tendance à les considérer comme étant de peu d’importance. Cependant, les États les plus puissants d’aujourd’hui n’étaient pas ceux qui alignaient la plus grosse armée, mais les premiers à avoir restauré leur agriculture soixante ans plus tôt. Il y avait peut-être une leçon à tirer de cette histoire.

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