Chapitre 21 : Le contrat - (3/3)

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Le plus jeune des deux, en découvrant la présence de Deirane, écarquilla les yeux d’étonnement. Il l’avait vue hier très dénudée, il ne s’attendait pas à la retrouver avec une simple jupe comme seul vêtement. Et ce tatouage, qu’il avait pris la veille pour un maquillage élaboré et un peu tape à l’œil, il comprenait qu’il faisait partie du corps de la jeune femme. Pour qu’il détachât son regard, son frère dut le bousculer. Ils s’installèrent sur les fauteuils face à Dayan.

— Voici le contrat, dit le ministre en tendant le dossier. Vous pouvez vérifier que tout est conforme.

Le marchand l’ouvrit et lut le document qu’il contenait

— C’est bien ce dont nous avions convenu hier avec le seigneur lumineux, dit-il.

Il le passa à son frère qui confirma. Il posa le contrat sur la table devant eux.

— Nous pouvons signer, dit l’aîné.

Il prit la plume que lui tendait Dayan et parapha le document avant de confier le tout à son jeune frère qui l’imita. Puis ce fut le tour de Dayan. Le ministre invita ensuite Deirane à signer. Pendant toute l’opération, le jeune marchand avait repris son examen de Deirane. Mais son expression avait changé, maintenant, il reluquait la femme, pas le bijou exotique qu’elle était devenue. Son regard s’attardait sur les seins et les hanches.

— Maintenant que l’accord est conclu, dit Brun, vous pouvez recevoir l’argent. La moitié aujourd’hui, le reste à la livraison. Serlen.

Il tendit une clef à la jeune femme avec laquelle il désigna le coffre derrière elle. Elle l’ouvrit. Il contenait peu de pièces, mais elles étaient énormes. Elle ignorait qu’il en existait de si grosses.

— Ce sont des pièces de deux cent cinquante cels, expliqua Dayan qui avait remarqué son indécision.

Elle prit six grandes pièces d’or qu’elle compléta avec une petite pour arriver aux mille cinquante cels prévus. Puis elle revint vers les hommes. Elle les posa en tas devant les deux marchands.

— Vous pouvez vérifier que la somme y est, dit-elle.

— Je vous fais toute confiance.

Elle retourna fermer le coffre avant de s’asseoir et de rendre la clef à Brun. Entre-temps, Dayan avait sorti cinq verres et une bouteille d’hydromel salé, un breuvage si cher que Deirane aurait cru impossible qu’elle pût en boire un jour.

La conversation ne dura pas très longtemps. Après qu’ils eurent trinqué et échangé les banalités d’usages, les marchands quittèrent la pièce. Malgré cela, Brun ne libérait pas Deirane. Il se contentait de la regarder. Il avait d’ailleurs le même regard que le jeune naytain, mais il semblait mieux maîtriser ses réactions. Enfin, il parla.

— Comme tu le sais, je n’hésite pas à punir ceux qui me déçoivent.

— Je l’ai entendu dire, répondit Deirane.

— Mais je récompense aussi ceux qui me servent bien.

— Je vous ai bien servi ?

Il hocha la tête.

— C’est pour cela que j’ai décidé de te faire une surprise. Tu te tiendras à ma droite lors de ma prochaine sortie publique.

De stupéfaction, Deirane resta muette. Au bout d’un moment, elle parvint à prononcer un mot.

— Quand ?

— Dans quinze jours environ.

— Quel genre de spectacle ?

— Si je te le disais, ce ne serait plus une surprise.

Elle s’était suffisamment ressaisie pour continuer la discussion.

— Et qui sera à votre gauche, Seigneur lumineux.

— Ton amie Dovaren me paraît parfaite pour ce rôle. Vous êtes si proches et si dissemblables à la fois. Et une femme aussi belle serait un ornement au bras de n’importe quel homme.

À nouveau, Deirane se retrouva incapable de prononcer le moindre son.

Brun était retourné à son bureau, mais il s’installa dans une position décontractée, loin de l’attitude stricte qu’il arborait en public.

— C’est une bonne occasion de les présenter au monde, mais ce n’est pas vraiment un cadeau, remarqua Dayan.

— Mon ministre a raison, ce n’est pas un cadeau. Ce n’est qu’un prétexte pour vous montrer. Le vrai, le voici : tu peux me demander ce que tu désires.

— N’importe quoi ?

— Dans les limites du raisonnable.

Elle hésita.

— Nëjya, je voudrais qu’elle change d’affectation.

— Elle n’est affectée nulle part. Elle appartient à Jevin. Si tu la veux, je devrai la lui racheter. Et il est dur en affaire. Ça prendra bien un douzain pour qu’il trouver un accord. Pendant ce temps, il continuera à en disposer selon son plaisir. Laisse ma mère s’occuper d’elle. Ça ira plus vite et ça passera mieux.

— Que peut-elle faire ?

— Énormément. C’est la reine mère.

Un moment, elle pensa à Biluan, se faire offrir sa tête sur un plateau. Mais ce n’était pas raisonnable. Cependant, peut-être que…

— Je peux réclamer quelqu’un ? demanda-t-elle.

— S’il se trouve dans mon périmètre d’action et que son prix n’est pas excessif, oui.

— C’est un vieil homme, il ne devrait pas coûter cher.

— Son nom. Et où se trouve-t-il ?

— Il s’appelle Ard, il travaille pour Biluan.

Brun hocha la tête.

— Dayan, tu t’occupes de cela ?

— Bien seigneur lumineux.

Tout en parlant, le roi s’était levé. Il tira un cordon. Quelques vinsihons plus tard, la porte secrète s’ouvrit et Orellide entra. Elle lança un coup d’œil inquiet à Deirane. Puis à Brun. Le roi la prit par la taille et l’embrassa sur le front.

— Elle est entière, dit-il, et en plus je l’ai récompensée.

Effectivement, Deirane constata qu’elle semblait rassurée. Toutefois, elle commençait à connaître suffisamment bien l’ambiance qui régnait en ce lieu pour comprendre que ce n’était pas par amour qu’Orellide la couvait, mais par calcul. Elle constituait le moyen par lequel elle envisageait de sortir de cet endroit un jour. Deirane n’était pas ambitieuse au point d’écraser tout le monde sur son passage. Elle n’était pas non plus soumise, elle ne se laisserait pas marcher sur les pieds, ni ne trahirait ses amies ou les abandonnerait en cas de besoin. En plus, dans la jeune femme, elle avait décelé quelque chose qui était passé inaperçu de la plupart, sauf peut-être d’une ou deux concubines intelligentes comme cette Nëjya que Jevin avait rendue inutilisable : elle voulait se venger de ceux qui avaient détruit sa vie. Elle se demandait ce que ça allait donner dans quelques années quand elle aurait maîtrisé les possibilités offertes par le harem et celles que lui permettrait son corps exceptionnel.

— Qu’a-t-elle gagné ?

— Qu’as-tu réclamé exactement ? demanda Brun à Deirane.

— Un esclave, répondit-elle, un érudit.

— Un érudit. Le niveau de l’école du harem n’est pas à ta convenance ?

— Il est plus élevé que je ne l’aurai cru possible, répondit-elle diplomatiquement, mais les professeurs ne sont pas toujours disponibles. En dehors de leurs cours, ils ont d’autres obligations. Et même s’ils restaient à mon entière disposition, comment les contacterais-je, moi bloquée dans le harem et eux à l’extérieur ?

— Excellente remarque.

— Tu as réclamé Ard ? s’étonna Orellide.

— Oui.

— Faut-il prévoir une visite chez le chirurgien ? s’enquit Brun. Ou est-il déjà eunuque ?

Deirane éprouva un moment de panique. Elle n’avait pas envisagé ce détail en demandant son ami. Elle ne pensait pas qu’il risquait d’être mutilé. Orellide lui sauva la mise.

— Ce n’est qu’un vieil homme. Même moi je suis trop jeune pour céder à ses avances.

— D’ailleurs, je ne crois pas qu’il se souvienne encore comment on fait des avances à une femme ni comment on y répond. Il se présente comme un contemplatif, plus un actif depuis longtemps.

Un contemplatif qui, se rappelait Deirane, n’avait pu résister à l’envie de caresser son corps. Des caresses motivées par la curiosité qu’il ressentait à l’égard de son tatouage, mais pas uniquement. Il y avait une part de désir en lui. Comme il le disait, il n’était pas trop vieux pour éprouver du plaisir à la vue d’une belle jeune femme nue. Et elle ne lui avait pas ménagé ce plaisir.

— Nous n’allons pas infliger cela à un vieil homme. Tout au moins aussi longtemps qu’aucun signe ne montrera qu’il est allé au-delà du contemplatif. Mais tu comprends qu’en tant qu’homme entier, il ne pourra pas dormir dans le harem. Il devra être logé ailleurs. Et s’il est déjà eunuque, il ne pourra plus ressortir.

Le premier sentiment de Deirane fut la déception. Puis elle saisit soudain ce que cela impliquait. Elle se retint pour ne pas trop exhiber sa joie à cette idée, essayant d’afficher un sourire triste. Mais elle avait toujours été d’humeur joyeuse. Elle n’était pas sûre de se montrer crédible. Brun ne s’aperçut de rien. Mais le regard de connivence que lui envoya Orellide lui montra qu’elle aussi avait compris.

— Je récupère Serlen, dit-elle enfin, j’ai des tas de choses à voir avec elle. Elle doit encore beaucoup à apprendre.

— Quand elle a signé, j’ai remarqué qu’elle tenait sa plume avec la mauvaise main, si tu pouvais corriger ce travers aussi, ça serait bien.

— J’y compte bien.

Elle donna une brève étreinte à son fils, elle salua le ministre comme le font deux amis de longue date qui s’apprécient puis elle prit la jeune femme par la main et l’entraîna à sa suite dans le passage secret.

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