Chapitre 21 : le contrat - (1/3)

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Elles avaient mis longtemps pour réconforter Nëjya. Deirane arriva très en retard à son rendez-vous avec Orellide. L’eunuque personnel de la reine présentait un visage impassible comme d’habitude. Jamais elle n’avait pu savoir ce qu’il pensait. Elle ignorait même s’il la trouvait jolie ou pas.

Orellide était assise dans son cabinet privé. Elle ne semblait ni de mauvaise, ni de bonne humeur. Ce n’était pas encourageant. Elle avait l’habitude d’exprimer ses sentiments. Qu’elle se montre aussi opaque ne présageait rien de bon.

— Je vous prie de m’excuser, votre seigneurie très lumineuse, dit-elle en s’inclinant, j’avais un problème très important à régler.

— Approche-toi.

L’Yriani avança de quelques pas.

— Encore.

Elle arriva à moins d’une perche du fauteuil.

— Le front contre le sol.

Elle obéit. Elle trouvait cette posture ridicule avec la tête à terre et les fesses en l’air. Mais elle n’avait pas le choix. Une douleur fulgurante aux reins lui arracha un cri et la fit se retourner. Allongée sur le dos, elle protégeait son ventre découvert de ses bras et de ses jambes. Mais Orellide n’était pas Biluan, elle n’avait aucun instinct sadique en elle. Elle se contenta de ranger sa matraque électrique.

— La prochaine fois que tu te présenteras en retard, ou que tu refuseras d’obéir. La punition sera doublée. Et ainsi de suite.

Elle retourna s’asseoir.

— Il n’existe rien de plus important que ton devoir. Tes amies ne sont rien. Elles sont la propriété de Brun. Il peut les vendre à tout moment. Ou les tuer si ça lui chante.

Elle regarda Deirane pendant qu’elle se relevait.

— Je pourrai cependant faire quelque chose pour cette petite Samborren.

Surprise, Deirane s’arrêta en plein mouvement, encore en appui sur un bras. Elle leva la tête vers la vieille dame.

— Comment savez-vous que j’étais avec elle ?

— Ne fais pas la bêtise de me sous-estimer. Je suis intelligente, et j’ai vu comment elle s’est comportée hier au repas organisé par Brun. Elle appartient à Jevin, c’est pour ça qu’elle est toujours vivante. Le roi s’en serait déjà débarrassé. Et ne rêve pas. Ce n’est pas un moyen de partir d’ici. La méthode qu’il aurait utilisée aurait été pire que ce que lui inflige ce porc.

Deirane ne se doutait pas qu’elle était aussi transparente. Elle devrait apprendre à masquer ses sentiments, sinon ça allait lui jouer un mauvais tour.

— Maintenant, viens avec moi. Nous allons t’habiller. Si l’on peut dire.

En suivant Orellide à travers les pièces de son appartement, elle se demandait quelles étaient ses motivations pour aider une esclave. De la pitié ou la haine qu’elle éprouvait pour le demi-frère du roi.

— Nous n’avons plus le temps de te préparer comme il faudrait pour un tel rendez-vous, nous allons essayer de faire au mieux.

Elle détailla la jeune femme de la tête au pied.

— Au moins, ta domestique sait s’occuper de toi. Il ne me reste pas grand-chose à faire. Les cheveux c’est bon, tu es propre et ton tatouage t’épargne ces pénibles séances d’épilation. Tu n’auras besoin que d’une pointe de maquillage discrète.

— Me préparer pour quoi ?

— Ta rencontre avec ton roi. Il veut te voir en privé.

Deirane sentit la tête lui tourner. Elle savait que cela arriverait un jour. Mais elle refusait d’y penser comme si le fait de le nier pouvait l’éviter indéfiniment. La reine mère dut comprendre les préoccupations de la jeune femme puisqu’elle ajouta :

— Ne t’inquiète pas. Il désire juste te rencontrer pour parler du repas d’hier.

— Parler du repas d’hier ?

— Je te l’ai dit, répondit Orellide d’un ton sec, Brun utilise les esclaves de son harem pour honorer ses hôtes, mais aussi pour les observer. Il veut savoir ce que tu as appris sur eux.

— Donc il ne compte pas me…

La vieille dame éclata de rire.

— Matak, père de toutes choses non ! D’après ce que j’ai pu voir, tu es loin d’être prête dans ce domaine.

— Voir ? Qu’est-ce que vous avez pu voir ? Et comment ?

Mais elle éluda cette question. À la place, elle en posa une autre.

— Toi qui aimes tant l’Helaria, que penses-tu d’une tenue d’été stoltz ?

La digression la prit un peu de court. Mais elle finit par répondre.

— Ça ne va pas énerver le roi ?

— Il suffit de ne pas lui dire. Sa passion pour la couture ne va pas jusqu’à connaître leur origine.

— C’est d’accord.

À sa grande horreur, la reine décrocha un vêtement d’une armoire. Sa vue ôta toute velléité de protestation à la jeune femme. Elle n’allait quand même pas porter que ça ! Une simple bande de tissu enroulé autour de la taille qui descendait jusqu’aux chevilles et maintenu en place par une fibule en argent. Le haut de son corps restait exposé aux regards. Orellide lui avait présenté Brun comme étant un homme de goût, la tenue qu’elle avait devant elle cadrait peu avec cette image. Elle dut deviner les pensées de la jeune femme puisqu’elle expliqua.

— Pour une soirée privée avec ton roi, tu mettrais autre chose. Le rôle de ceci est différent. Enfile-la ? Ensuite, je m’occuperai de tes yeux.

— Elles portent vraiment ça en Helaria.

— Ça arrive. Et pas qu’en Helaria. Tu trouveras des hommes et des femmes habillées comme ça également en Mustul, en Aclan et quelques autres contrées situées principalement au Shacand. En fait, il s’agit d’une tenue décontractée, un simple tissu que tu t’enroules autour des reins quand tu es à la plage. Tout ce qui leur tombe sous la main fait l’affaire. Nos stylistes ont revu pour en faire un vêtement moins improvisé.

Rouge de honte, Deirane enleva sa robe pour mettre la tenue que lui tendait son aînée. Mais quand elle se regarda, elle fut un peu rassurée. Même si elle était quasiment nue, les différentes parties de son corps n’étaient pas exposées comme lors du repas de la veille et en fin de compte elle s’avérait beaucoup moins provocante. Au passage, elle en profita pour s’examiner d’un œil critique – elle ne disposait pas de miroir en pied dans sa chambre – sa silhouette avait encore évolué depuis qu’elle était arrivée ici. Les derniers vestiges de son enfance avaient disparu. Ses hanches s’étaient un peu élargies et sa poitrine avait atteint un volume qu’elle estimait satisfaisant. Elle était maintenant une jeune femme. Mentalement, elle se compara à ses amies. Elle élimina Dursun qui entrait tout juste dans la puberté. Elle n’était pas aussi belle que Dovaren, mais peu de concubines l’étaient, sauf peut-être Mericia qu’elle croisait quelquefois dans les jardins. Mais vis-à-vis de Nëjya, elle se trouva plus jolie. Chose extraordinaire, le drow avait réussi à anticiper sa croissance ; les dessins sur son corps s’accordaient encore mieux avec ses formes actuelles que lorsqu’il l’avait capturée.

Orellide tenait une chaîne en or portant un saphir qu’elle aurait attaché lâchement autour de la taille fine de la jeune femme. Elle hésita un moment avant de le reposer. Deirane n’avait pas besoin de bijou supplémentaire. Mais elle devait être maquillée.

— Viens par ici, intervint-elle, je vais m’occuper de ton visage.

La reine mère lui souligna légèrement les yeux d’une pointe de noir, rien de plus. Alors qu’elle ne s’y attendait pas, la jeune femme sentit quelque chose se refermer autour de sa cheville. Elle regarda le bracelet en filigrane de cuivre.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ton titre de propriété.

Évidemment. Un bien, c’est tout ce qu’elle était en fait. Elle appartenait à Brun. Ce petit morceau de métal en constituait la preuve ultime. Elle aurait donné n’importe quoi pour s’en débarrasser avec tout ce qu’il signifiait, même à ôter le peu de tissu qui restait sur elle. C’est rouge d’humiliation qu’elle suivit Orellide pour sa rencontre avec son roi.

Brun, fils de Brun, Seigneur Lumineux, mille fois béni des dieux, attendait Deirane dans son cabinet de travail. Pour l’atteindre, elle devait quitter le harem, ce qui l’excitait prodigieusement. Mais les deux femmes n’empruntèrent pas les passages publics. La reine mère souleva une tenture qui masquait une porte dérobée, si basse que si l’yriani n’eut pas à se baisser, ce n’était que grâce à sa taille minuscule. Le couloir était étroit et sombre, éclairé seulement par des petites fentes au ras du plafond.

Ainsi, un passage secret reliait directement le bureau de Brun à l’appartement d’Orellide. Le moment aurait pu être intéressant, si la jeune femme ne s’était pas sentie si oppressée. Habituée à la vie au grand air, elle n’aimait pas les endroits fermés comme celui-ci. Elle avait la chair de poule, en partie à cause de sa peur, mais aussi parce qu’il y faisait froid et qu’elle était à demi nue. C’est tout juste si elle remarqua quelques rares embranchements qui menaient à divers emplacements dans le palais. Heureusement, le trajet fut rapide. Orellide, qui éprouvait les mêmes sentiments, avait pressé le pas pour en finir au plus vite.

Chez Brun, le passage débouchait dans un cabinet de travail, derrière un immense tableau qui pivotait. Il y avait une marche assez haute à enjamber. D’un coup d’œil, elle examina les lieux. Huit fauteuils confortables en cuir, une table basse marquetée, une petite console de service à l’usage des domestiques. Et rien d’autre, pas de bureau, pas de placard, ni d’étagères bourrées de livres. À cela se rajoutaient les décorations habituelles : un buste en marbre, quelques vases précieux sur leur présentoir, des tableaux sur les murs. Elle vit même une statue qui semblait très ancienne. Elle représentait une femme nue, mince et belle, mais les bras avaient disparu depuis bien longtemps. L’endroit avait été conçu pour recevoir des dignitaires dans un cadre non formel, néanmoins luxueux.

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