Chapitre 14 : Retour en Helaria - (2/2)

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— Si vous gardez vos armes sur vous, vous ne pourrez aller qu’à Jimip et Tesej. Pour vous rendre à Imoteiv, vous devrez les remettre à la garde.

— Et si je désire me rendre au port pour prendre un bateau. Mon épée a beaucoup trop de valeur pour que je m’en sépare.

— Quand vous quitterez Imoteiv, nous vous les restituons. Si vous repartez par la mer, nous les transporterons à bord.

— Je devrais donc me déplacer désarmée, sans pouvoir me protéger contre une attaque ?

— Vos agresseurs aussi seront désarmés, remarqua-t-il. Maintenant, si ça ne vous plaît pas, vous pouvez toujours tenter votre chance ailleurs.

Il était temps d’interrompre la discussion. Le garde commençait à être agacé. Naim changea de sujet.

— Je désire passer la nuit à Jimip, comment puis-je m’y rendre ?

— Ça dépend. Comme vous êtes humaine, ça sera avec un hofec ou bateau.

L’Helariasen était revenu à de meilleures dispositions. Visiblement, il était fier de son pays et aimait le faire découvrir.

— Les non-humains bénéficieraient donc d’autres moyens ? demanda-t-elle.

— Nous autres stoltzt n’hésiterions pas à traverser à la nage. En fait, après des mois sur la terre ferme, ça serait la voie que nous privilégierions. Mais la distance est trop longue pour les nouveaux peuples, même en prenant appui sur le fond du gué pour vous reposer.

— Et que me conseilleriez-vous ?

— Le hofec. Si vous n’en avez jamais chevauché, c’est une expérience inoubliable, très différente des chevaux.

— Je croyais qu’ils ne supportaient pas de se faire monter par des humains.

— Une légende propagée par des veules.

— Et sinon, le moyen le plus rapide ?

— Le bateau. Une navette qui fait l’aller-retour avec Jimip part du port deux fois par jour.

— Je pense que je vais prendre ce moyen-là. Les hofecy ont une mâchoire trop puissante pour ma tranquillité d’esprit.

— Comme vous voulez.

— Que la noirceur imprègne votre cœur.

Le garde connaissait les Naytains. Il reconnut la phrase pour ce qu’elle était : une bénédiction pour un individu à la peau noire. Il lui rendit ses salutations. Naim put enfin entrer dans la ville.

Une fois la porte passée, la guerrière révisa son jugement. L’endroit se révélait finalement capable de soutenir l’assaut d’une armée. Le rempart qu’elle avait vu en arrivant n’était qu’une enceinte extérieure. Elle entourait la vraie muraille à une distance d’une vingtaine de perche. Cette seconde, légèrement plus haute, permettait de prendre le chemin de ronde de la première sous le feu des archers et des arbalètes au cas où l’ennemi l’aurait investie. Elle portait aussi les armes lourdes, principalement des balistes et des catapultes. Entre les deux enceintes, un fossé était garni de pieux en bois durcis à la flamme. Le pont-levis qui les reliait pouvait se relever, non pas contre les murs, mais sur les côtés de façon à faire basculer les assaillants dans le vide. Quant à la herse métallique qui fermait le passage, ses barreaux étaient munis de pointes tranchantes pour qu’on ne puisse pas les manipuler à la main ou les escalader. Des déversoirs, destinés à lâcher de l’eau bouillante ou de la poix, étaient conçus pour disperser leur jet au maximum afin que personne ne puisse se mettre à l’abri. Et pour autant qu’elle puisse en juger, les deux murailles semblaient suffisamment épaisses pour résister longtemps aux bombardements.

Autre avantage stratégique, la ville, adossée à l’océan, ne pouvait pas être encerclée. Cette dernière n’était pas assez profonde pour donner le passage à un navire de guerre, tout en l’étant trop pour que des fantassins puissent arriver par là. Surtout que, ne disposant pas d’un vrai port, les fortifications du front de mer longeaient le rivage.

Comme beaucoup de villes à rôle défensif, les rues étaient étroites et tortueuses. Jamais une armée ne pourrait y progresser en ordre. En revanche, les toits plats reliés par des passerelles amovibles permettaient aux défenseurs de se rendre partout et d’avoir l’ennemi dans leur visée en s’exposant très peu. Malgré tout, Naim arrivait sans peine à s’orienter dans cette ville labyrinthique. Conformément à leurs habitudes, les Helariaseny avaient posé des panneaux qui indiquaient la direction des principales destinations. Ils étaient notés en alphabet traditionnel helarieal, à base de perles colorées. En l’occurrence, ils avaient utilisé des carreaux de couleur et de forme variées plutôt que des perles. Naim ne savait pas les lire, mais elle avait mémorisé la suite de symboles qui désignait le port. Comme il existait une correspondance exacte entre les trois alphabets helarieal, elle avait ainsi appris quelques lettres, moins d’une dizaine sur la trentaine qui les composait.

Le port n’était destiné qu’à accueillir les barques à fond plat qui faisaient la navette avec Ystreka. Il n’était constitué que d’une jetée située en face de la porte de la mer. L’île était peu peuplée et la majeure partie de son trafic s’effectuait via Imoteiv et Neiso. Aussi, ces embarcations étaient peu nombreuses et relativement petites. En fait, deux seulement se contentaient de faire l’aller-retour, elles se croisaient au niveau de l’îlot qui marquait le centre approximatif du gué. À la grande surprise de Naim, quand elle voulut prendre un ticket, elle découvrit que le passage était gratuit pour les nouveaux peuples. Les humains ne disposaient pas des moyens physiques de traverser, contrairement aux stoltzt. La Pentarchie avait compensé ce handicap en les transportant sans rien payer.

La navette n’allait pas tarder à arriver. Elle la voyait qui se détachait à l’horizon, même si elle se trouvait encore trop loin pour distinguer les détails. La guerrière estima le temps restant à son retour à un peu moins d’un monsihon. En l’attendant, elle retourna en ville.

Elle trouva une taverne non loin du port. Elle s’installa à une table tranquille dans un coin et observa. L’endroit ressemblait à n’importe quel établissement similaire dans le monde, où les soldats braillards et avinés venaient dépenser leur solde. C’est quand un garçon vint prendre sa commande qu’elle remarqua la différence avec les autres pays. Un homme, cela aurait été inconcevable en Nayt. Aucun tavernier n’en aurait engagé pour servir sa clientèle. Les femmes coûtaient beaucoup moins cher, et on pouvait exhiber leurs charmes pour attirer le chaland. Mais ici, et certainement dans toute la Pentarchie, le personnel était mixte. Cette mixité se retrouvait jusque dans les soldats constitués pour la moitié de femmes. C’était la grande différence entre l’Helaria et le reste du monde, il n’était pas dans la mentalité locale de distinguer entre les sexes en dehors des activités sociales. Et si les serveuses se montraient légèrement plus fréquentes que les serveurs, cela était plutôt dû au déséquilibre entre les immigrants. Les femmes, attirées par la liberté et les possibilités que l’Helaria leur offrait, étaient plus nombreuses à se présenter aux frontières. Parfois, des arrivants de fraîche date tentaient d’importer les mœurs de leur pays d’origine, souvent machistes. Mais les idées ne prenaient pas — comment auraient-elles pu quand la langue ne permettait pas de les exprimer facilement ? Le personnel ne restait pas et les habitants ne fréquentaient pas ce genre d’endroit. Et dans une ville comme Ruvyin, il était impossible de ne vivre qu’avec les voyageurs de passage.

Naim se fit aborder trois fois, dont une femme. C’était une autre particularité de la Pentarchie. Partout ailleurs, une telle proposition aurait été répréhensible. Et si on savait que les individus attirés par ceux du même sexe existaient, on tentait de nier le problème, voire de le diaboliser. Dans une théocratie comme la Nayt, cela pouvait conduire tout droit au bûcher. Mais en Helaria, c’était considéré comme naturel. En fait, les habitants ne comprenaient pas que l’on puisse accorder de l’importance à cela. C’était du domaine du privé et cela ne concernait personne.

Toutefois, ce n’était pas le cas de Naim. Pendant toute son enfance, on lui avait dit qu’un tel comportement constituait un péché. Et la proposition, loin de la laisser indifférente, l’écœura. Elle préféra finir son verre d’hydromel et sortir.

La navette n’était plus qu’à une centaine de perches. Elle pouvait mieux la voir maintenant. Elle n’était conçue que pour le transport des passagers avec peu de bagages. C’était une barque non pontée avec une coque longue à fond plat, un mât unique situé à l’avant portant une voile aurique. Elle était équilibrée par des balanciers qui l’empêchaient de se retourner.

Une stoltzin sortit de la ville pour aider à l’accostage. Elle attrapa l’aussière que lui lança le pilote et tira dessus pour approcher le bateau du quai puis l’amarra à une bitte sur le ponton. La manœuvre, parfaitement rodée, n’avait pris que quelques vinsihons. Les passagers débarquèrent, Naim n’y porta aucune attention. Puis quand le capitaine leur fit signe, elle monta à bord.

Les trois voyageurs se partagèrent les quatre bancs. La guerrière s’en attribua un. Avant de s’asseoir, elle jeta un bref coup d’œil à ses compagnons. C’étaient certainement des pèlerins qui se rendaient à Tesej, pour se recueillir dans l’un des multiples temples de la ville. Généralement, ce genre d’individu se répartissait en deux types, les prosélytes et les tranquilles. Elle espérait qu’ils appartenaient au second groupe, elle n’était pas disposée à parler religion pendant six monsihons.

Le pilote, installé à l’arrière, déborda et mit le cap sur Ystreka.

Ils n’avaient parcouru que quelques perches, lorsque le huitième peuple helarieal les rejoignit. Une nuée de dauphins accompagnait la navette dans son voyage. Aucun doute, elle était bien arrivée en Helaria.

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