Chapitre 12 : Des nouvelles d’Elvangor

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La mission de Naim était terminée. Elle était rentrée en Orvbel et elle attendait que Brun et Dayan la reçussent. Nul doute qu’il allait se montrer très intéressé par ce qu’elle avait découvert. Et certainement furieux. En fait, elle était pressée de délivrer son rapport pour voir sa réaction. Ses précédentes expériences lui suggéraient qu’il risquait de devenir violent. Mais quelques hypothétiques coups ne représentaient rien en comparaison du plaisir qu’elle éprouverait en constatant sa déconvenue.

Pour le moment, elle attendait dans une antichambre. Un domestique muet et sûrement illettré l’y avait introduite, il ne pourrait raconter à personne ce qu’il savait, sauf peut-être à un télépathe, mais aucun ne résidait dans ce pays. C’est dans ce souci de discrétion que Naim et sa sœur logeaient dans la partie privée du harem. Nul ne devait établir de lien entre la Naytaine et l’Orvbel. Elle se doutait qu’un jour le secret serait éventé, que quelqu’un découvrirait qui était son véritable employeur. Mais plus longtemps il durerait, mieux ça serait. Ce qui expliquait pourquoi elle était rentrée de nuit en Orvbel, qu’elle avait gagné le palais en passant par la caserne des gardes rouges, puis s’était rendue directement dans une chambre isolée de l’aile des ministres en utilisant le passage que lui avait indiqué Dayan. Elle était impatiente de revoir sa sœur, mais Brun s’était montré intransigeant : elle ne devait parler à personne tant qu’elle ne l’aurait pas rencontré. Le matin, le domestique muet l’avait conduite au cabinet de travail du roi en empruntant uniquement ces mêmes couloirs.

Elle avait troqué sa cuirasse de guerrière contre une tenue plus confortable qui mettait sa féminité en valeur. Paradoxalement, cela exposait davantage sa musculature impressionnante. Elle avait pu constater qu’au lieu d’exciter Brun, cela le refroidissait. Il préférait des femmes plus menues, voire petites. Lui rappeler qu’elle était bien plus forte que lui lui garantissait des nuits tranquilles. En tant que pensionnaire du harem, aucun garde ne se serait risqué à porter la main sur elle. Sa situation paraissait finalement bien meilleure qu’auparavant. Même quand elle était libre, elle était moins bien lotie.

Enfin, la porte s’ouvrit. Dayan l’invita à entrer. Le roi était assis à son bureau. Elle remarqua aussitôt la netteté de la pièce. Tout était méticuleusement rangé. Aucun papier ne traînait sur le sous-main en cuir. Dans un coin, un panier contenait les dossiers qu’il venait d’étudier à destination de l’archiviste, un autre ceux qu’il n’avait pas fini de traiter. Devant lui, une plume soigneusement nettoyée était posée juste à côté d’un encrier. Jamais la Naytaine n’aurait imaginé qu’il se montrait si méticuleux. Elle avait toujours pensé qu’il n’était qu’un fantoche et que c’est Dayan qui dirigeait le pays. Mais de toute évidence, le ministre n’était rien de plus que ce qu’il paraissait être, un conseiller. La situation avait bien changé depuis l’ancien roi.

De la main, Brun désigna un siège confortable en face de son bureau. Naim s’y installa en croisant les jambes.

— Alors ? demanda Brun.

— Je reviens d’Elvangor.

— C’est moi qui t’y ai envoyée, répliqua-t-il d’un ton peu amène, ce qui m’intéresse c’est ce que tu y as appris.

— Tu as pu déterminer le prix du nouveau khan ? intervint Dayan.

— Il ne se fait pas appeler khan, mais archonte, répondit Naim.

— Archonte ? C’est étrange qu’un dictateur prenne un tel titre, remarqua le roi, dans tous les pays où on en rencontre, ce sont des postes électifs.

— Et j’ai bien peur qu’on ne puisse pas l’acheter, continua la Naytaine.

— Tout le monde a un prix, répondit le ministre. Personne n’est incorruptible.

— Celui-là, si.

— Et qu’est-ce qui te fait penser ça ?

— Parce qu’à Elvangor il est archonte, mais qu’en dehors d’Elvangor il est autre chose.

— Et qu’est-il ?

— Pentarque. Plus exactement pentarque quarte.

La révélation de la jeune femme jeta un froid dans l’assistance. Les deux hommes forts du royaume se dévisagèrent un instant. Dayan, qui connaissait son roi depuis sa naissance put déceler sur son visage les signes de la colère sur le point d’exploser, mais qu’il parvenait à contenir. Pour se calmer, Brun prit sa plume et en lissa les barbes déjà bien alignées.

— On peut dire que tu sais ménager tes effets, laissa enfin tomber Dayan.

— Tu veux donc dire que l’Helaria a repris le contrôle de la ville.

Le ton extrêmement doux avec lequel Brun avait prononcé ces paroles témoignait des efforts qu’il fournissait pour garder son calme.

— Depuis quand ?

— Depuis quelques mois, je dirais. Peut-être deux ou trois ?

— Et pourquoi ne l’ai-je pas su plus tôt ?

— Parce qu’ils mettent tout en œuvre pour que cela ne se voie pas. Quand le pentarque s’absente, c’est uniquement de nuit. Les soldats de la garnison ne sont pas habillés d’un uniforme. Les portes de la ville sont décorées à la façon d’un chef de guerre : avec les têtes de l’équipe dirigeante précédente. Mais on arrive à déceler les signes. Les gardes, malgré leur allure débraillée, présentent la raideur typique que donne un entraînement militaire. Et les habitants ont le sourire facile, ce qui n’est pas courant au Lumensten.

— Comment as-tu découvert tout ça ? demanda Dayan.

— C’est très simple en fait. Comme dans tous les pays du monde, après le travail les gens se détendent dans une taverne. Et quand ils boivent, ils parlent. Il suffit de trouver la bonne personne à qui payer un verre.

— En général, ceux que l’on peut acheter de cette façon savent peu de choses intéressantes.

— Je pense que ce que je vous ramène est très intéressant au contraire.

— Tu as une idée des forces helarieal présentes en ville ? demanda Brun.

— Je dirais à vue de nez, une légion complète, répondit Naim, uniquement de l’infanterie. Pas d’archet. Mais les Helariaseny entraînent une partie des habitants pour créer une milice. Et j’ai l’impression qu’ils forment aussi des soldats pour constituer un manipule.

— Autrement dit, ce n’est pas assez pour reprendre le contrôle du Lumensten, mais trop pour qu’un autre khan puisse les déloger, remarqua Brun.

— Une coalition de tous les chefs de guerre pourrait peut-être obtenir quelque chose, observa Dayan. À condition que la légion basée à La Tour n’intervienne pas.

— C’est peu probable, conclut le roi, ça reste quand même intéressant. Une légion complète, cela représente un bon dixième de leurs forces terrestres. Ils ont dû dégarnir un autre endroit pour l’envoyer à Elvangor. On pourrait peut-être y exercer une pression pour les obliger à rapatrier leurs troupes.

— Trois légions sont basées à Caltrixsilary. Pensez-vous réellement que nous pourrions y exercer une pression ?

— Caltrixsilary ? demanda Naim.

— Le port de guerre de l’Helaria. Il y a en permanence une flotte stationnée là-bas et une importante force militaire.

— J’avais oublié celles-là, remarqua Brun.

— De combien de légions dispose l’Helaria ? demanda Naim.

— Dix, répondit Dayan. Trois à Caltrixsilary, trois à Kushan, deux en Ystreka et deux au Lumensten. Plus de mille sept cents fantassins chacune, auxquelles s’ajoutent une cinquantaine de cavaliers et presque deux cent cinquante archers. Sans compter les garnisons qui protègent les grandes villes ainsi que les milices civiles.

— L’Helaria n’est pas si peuplée que ça, c’est énorme. Comment font-ils pour maintenir une telle armée ?

— Ils sont très riches. Mais ce n’est pas tant que ça en fait. L’Yrian dispose de forces bien plus importantes, et l’Ocarian davantage encore. Mais comme l’Ocarian n’arrive pas à s’unir, l’Yrian le grignote petit à petit. Il a conquis la dernière principauté capable de lui tenir tête il y a une dizaine d’années.

Naim connaissait l’histoire. La résistance de la population avait tellement énervé le roi Falcon II que quand il l’avait finalement vaincue, il avait déclenché un massacre atroce, tuant l’élite du pays et dispersant le reste des habitants dans l’ensemble de l’Yrian. Qu’un pays aussi civilisé pût commettre une pareille horreur avait créé un choc dans le monde entier.

Brun l’interrompit dans ses réflexions.

— Disposes-tu d’éléments à ajouter à ton rapport ? demanda-t-il.

— Non, il est complet.

— Alors, tu peux te retirer. Je dois conférer avec le seigneur de la marche supérieure.

— À vos ordres.

Elle se leva, salua rapidement de la tête, de politesse, pas d’allégeance, et sortit. Brun tiqua en la voyant les quitter ainsi, mais il ne dit rien.

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