Chapitre 57 : Le message - (1/3)

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Deirane et ses deux compagnes étaient arrivées devant le pont qui menait à petite baie encaissée ou les concubines allaient se baigner. Du monde traînait encore sur la plage. Dursun examina les lieux autour d’elle.

— Cache le corps là, suggéra-t-elle en désignant une série de buissons qui bordaient un chemin. Dans la nuit, on ne le verra pas.

— Et nous, demanda Naim.

— Nous ? On est des concubines, on peut aller où on veut.

— Sauf sur la plage, de nuit, remarqua Deirane.

Laissant ses deux compagnes discuter, Naim déposa le linceul derrière les plantes. Dursun avait raison, avec la faible lumière que dégageait la seule lune présente dans le ciel, il passerait inaperçu.

— Où est passée Nëjya ? demanda soudain Dursun.

— Elle ne nous suit pas ?

Imitant son amie, elle regarda autour d’elle. Puis elle scruta la nuit en direction du palais, sans plus de succès.

— Elle a dû rester avec Cali et Sarin, conclut Dursun.

— Ce doit être ça. On va la chercher.

— Attends !

Dursun retint Deirane par la main.

— C’est trop tard. Le temps qu’on vienne ici, elle s’est mise en route. Maintenant quoiqu’il advienne, on ne peut plus l’empêcher.

Deirane hésita, mais elle dut se rendre à l’évidence. Nëjya ne pouvait plus être rattrapée.

— Très bien, capitula-t-elle, mais quand tout sera fini, je vais l’écorcher vive.

— Tu ne la toucheras pas, riposta Dursun.

Deirane sourit en pensant aux sentiments qui unissaient les deux femmes.

— Tu la protèges, hein !

— Pas du tout ! Je vais m’en occuper moi-même.

La dureté des paroles de l’adolescente montrait à quel point elle était furieuse. Et inquiète aussi.

— Les filles, intervint Naim. Des gens approchent, vous devriez leur offrir une raison plausible pour votre présence ici.

Deirane hocha la tête. Elle laissa Dursun l’entraîner.

En bordure de la falaise se trouvait une terrasse. C’était là que les deux concubines s’étaient installées. Elles s’étaient allongées sur des banquettes disposées en cet endroit. Dursun se blottissait contre Deirane. Elle avait glissé une main dans le corsage de la belle Yriani, comme si cette dernière avait fini par céder aux avances de l’adolescente. Sauf que ni l’une ni l’autre ne le ressentaient comme tel. Naim s’installa à proximité, comme une mère poule veillant sur ses poussins.

Enfin, une cloche sonna. Elle annonçait la fermeture prochaine des différentes issues du harem privé incitant celles qui traînaient encore dehors à le rejoindre au plus vite. En quelques instants, la plage allait se vider.

Naim s’adossa à la rambarde et regarda en bas. Ça commençait à bouger, mais elles ne se pressaient pas. Pourquoi l’auraient-elles fait ? Elles disposaient deux calsihons. Grimper en haut du chemin prenait à peine quelques stersihons de ce temps.

Enfin, elles se mirent en route. Naim prévint ses deux compagnes d’un signe de la main. Dursun s’allongea sur Deirane et commença à jouer avec son corsage.

— Ça fera plus réaliste, expliqua-t-elle.

— N’en profite pas.

— Je vais me gêner.

Habituée au corps lourd des hommes qu’elle avait fréquenté, la petite Aclanli lui semblait bien légère. Et bien que malgré sa menace, Dursun obéît à la demande de Deirane, elle ne ressentit pas ses caresses comme une agression. Ça ressemblait plutôt à sa jeune sœur quand elle venait la rejoindre dans son lit pour bavarder de sujet concernant les sœurs.

Naim alla reprendre sa place sur sa couche. Des bruits de discussion montaient de l’escalier. Moins d’un stersihon plus tard, un petit groupe de femmes en émergea. Aussitôt, Deirane noua ses bras autour du cou de son amie et l’embrassa. Surprise, Dursun ne pense pas à répondre au baiser. Les trois arrivantes les regardèrent un instant puis s’éloignèrent.

Au moment où Dursun allait réagir, Deirane s’écarta.

— Maintenant, tout le monde croira que tu as réussi à m’avoir.

— Oui, gémit Dursun.

— Tu veux bien me libérer.

À regret, Dursun se leva. Le corps de son amie s’avérait bien confortable pourtant. Elle serait bien restée un peu plus. Mais elle savait aussi que les délais étaient justes.

Naim alla ramasser la dépouille de Biluan. Ensemble, elles empruntèrent l’escalier qui menait à la crique. Le pont basculant était toujours en place. Ce ne serait pas avant la seconde cloche qu’il serait déverrouillé pour la nuit. Ce qui leur laissait peu de temps, descendre jusqu’à la plage, effectuer leur mission, puis remonter, tout cela en moins de deux calsihons. Si Cali et Nëjya n’arrivaient pas à détourner l’attention des gardes pour une durée suffisante, elles allaient rester bloquées en bas. Et le lendemain, la patrouille du matin les découvrirait.

— Moi je ne risque rien, remarqua Deirane, mais vous deux, si on vous surprend au-delà des portes, ça sera considéré comme une tentative d’évasion.

— Je ne suis pas une esclave ni une concubine, répliqua Naim. C’est l’accord que j’ai conclu avec Brun. Je peux sortir quand je veux.

— Ne sois pas stupide, ajouta Dursun, sans moi, tu seras incapable de bouger le corps.

Elles arrivèrent en bas sur le sable.

— Vous avez encore besoin de moi ? s’enquit Naim.

— Dursun et moi, on peut se débrouiller. Vas-y.

— D’accord.

Elles regardèrent un moment la géante remonter le chemin qui escaladait la falaise.

— Tu crois que ça va marcher ? demanda Dursun.

— Le corps de Biluan disparu et sa tombe rebouchée. Qui pourrait imaginer qu’il n’y repose pas ?

— Heureusement qu’elle est là, nous aurions mis des heures pour pelleter toute la terre.

— À nous maintenant. On n’a pas beaucoup de temps.

Deirane ôta ses chaussures. Le sable fin s’insinua entre ses orteils. La sensation était agréable. Elle la savoura un instant avant d’enlever le reste de ses vêtements. Elle déposa ses affaires, soigneusement pliées, sur un rocher sec. Elle ne garda en main qu’un couteau et un objet que Dursun ne pouvait voir, mais il était petit et vivement coloré. Elle se déshabilla à son tour.

Deirane s’accroupit devant le corps. Elle découpa le linceul sur toute sa longueur. À l’intérieur, Biluan devint visible. Dans les romans, les cadavres préparés par les embaumeurs semblaient toujours paisibles. Mais ce n’était pas le cas de celui-là. Accusés d’un crime de lèse-majesté, les bourreaux ne s’étaient pas montrés tendres avec lui. Heureusement que les cachots étaient assez éloignés du harem pour que les bruits arrivassent jusqu’à lui atténués par la distance et les murs. Malgré cela, elle avait entendu ses hurlements.

Elle souleva le bras, les fers avaient mis la chair à vif par les fers. Elle éprouva un haut-le-cœur en découvrant que ses doigts avaient disparu. Elle fixa l’objet multicolore sur le poignet. Dursun le reconnut. C’était un bracelet d’identité helarieal. Celui qu’elles avaient conçu ensemble, quelques douzains plus tôt seulement. Deirane l’agrafa. Puis elle reposa le bras.

— Et maintenant ? demanda Dursun.

— Nous devons l’amener jusqu’aux récifs.

Dursun regarda les rochers acérés qui fermaient la petite crique.

— Là-bas, mais c’est loin.

— On peut y arriver. Surtout que dans son état, le corps va bien flotter.

— Lui oui, mais moi, je nage comme un caillou.

— Tu nages très bien, je t’ai vue.

À elles deux, elles glissèrent le cadavre jusqu’à l’eau. Deirane avait raison, il flottait. Elles n’éprouvèrent aucune difficulté à le remorquer derrière elles. C’était juste la distance qui était élevée. Deirane avait tiré les leçons de son voyage en bateau. Ses piètres performances à la nage, inexcusable pour une personne ayant passé tant de temps dans l’ambassade d’Helaria, lui avaient gâché une occasion de s’enfuir. Elle s’était assurée que cela n’arriverait plus. Elle n’avait pas encore atteint son objectif, mais cela suffirait pour ce soir. Quant à Dursun, elle était plus fine que son amie, elle flottait moins bien. Mais elle n’avait pas grandi dans une région contaminée par les pluies de feu. Les lacs et les rivières de son pays natal étaient sains. Elle s’exerçait à la nage avant même de savoir marcher. Et elle s’y montrait excellente. S’il n’y avait pas eu le corps a traîné, cela n’aurait représenté pour elle qu’une simple promenade.

Cela ne leur prit que quelques stersihons pour atteindre la ligne de récifs. De près, leur nature artificielle devenait plus qu’évidence. Ce n’était que de gros blocs de béton, lisses, sans aucune aspérité où s’accrocher, avec des angles bien vifs. Ils étaient trop rapprochés pour qu’un bateau pût passer. En fait, avec la houle particulièrement forte en cet endroit, toute embarcation qui tenterait de les traverser serait aussitôt réduite en miettes. En plus, ils étaient trop haut pour qu’un naufragé pût trouver refuge dessus. L’un d’eux était toutefois brisé, ce qui permit à Deirane d’y grimper. Dursun maintint le mort en place le temps qu’elle le hissât le corps près d’elle. Puis elle aida l’adolescente à la rejoindre.

— Et maintenant ? demanda Dursun.

Au lieu de répondre, Deirane se tourna vers le large. Elle scrutait la surface de l’océan. Mais avec le faible éclairage que dispensait la petite lune, elle ne pouvait pas voir grand-chose. Au loin, vers le sud-ouest, elle remarqua une vague lueur. Elle se demanda un instant si c’était l’Helaria qui l’émettait. Mais même l’île la plus orientale de l’archipel se trouvait au-delà de l’horizon. Il devait plutôt s’agir d’animaux lumineux. Ard lui en avait parlé autrefois, il y a un siècle, quand ils descendaient l’Unster ensemble, à une époque où elle avait encore l’espoir de retrouver son fils.

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