Chapitre 54 : la diversion - (3/3)

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La seconde chorégraphie s’avéra plus douce. Elle jouait plus sur la beauté du geste que sur la vigueur. Elle n’en paraissait que plus magnifique. Pourtant, malgré sa quasi-nudité, elle gardait une sorte d’innocence. Ses pas n’évoquaient rien de sensuel. C’était juste de l’art. La Samborren comprit comment les pentarques pouvaient se donner en spectacle dans les fêtes sans que leur autorité fût remise en cause, comment la timide Vespef pouvait se produire devant toute une assemblée avec juste quelques minuscules morceaux de tissu sur le corps sans éprouver de honte.

Au loin, une cloche sonna. Elle retint un bref instant, l’attention de Cali. Mais aucun des gardes ne la remarqua. Elle put réaliser quelques chorégraphies encore. Mais lorsqu’elle se positionna une fois de plus, on put sentir une certaine impatience parmi l’assistance. L’air buté qu’elle arbora montrait qu’elle avait pris sa décision. Le jeu allait changer de nature. Les hommes allaient être si affolés qu’ils allaient oublier leur mission.

Elle se mit à danser dès la première note, imposant un rythme langoureux à la musicienne. Maintenant, une sensualité torride se dégageait d’elle. Les mains glissaient le long de son corps comme pour inviter les spectateurs à venir participer. Elle les chauffait. La bave ne coulait pas aux lèvres des gardes tel que le racontait la grand-mère de Nëjya, ils n’avaient pas perdu tout contrôle, mais ils étaient excités.

La danseuse détacha la fixation qui maintenait son corsage en place. La petite bande de tissu ne tenait plus que par le bras qu’elle avait mis en travers de sa poitrine. Lentement, elle la fit glisser jusqu’à ’ôter. Ils attendaient avec impatience qu’elle se révélât totalement. Au lieu de retirer son bras, comme ils le désiraient, elle le décala. Sa main se posa aussitôt sur son sein libre avant qu’ils aient pu le voir. Elle prit l’autre sein dans sa deuxième main. Elle joua avec un moment. Ses gestes retinrent toute l’attention des spectateurs. Même Nëjya y réagissait. Elle n’avait aucun mal à imaginer ses propres mains à la place de celles de la danseuse, oubliant parfois quelques notes. Heureusement que Sarin restait concentrée sur sa tâche. Cali cessa son manège et continua sa prestation.

Quand la musique s’arrêta, le silence s’installa. Les deux femmes se tenaient maintenant quasiment nues face aux quatre soldats. Cali ne portait qu’une culotte dorée qui ne lui couvrait guère plus que l’entrejambe. Sarin avait toujours sa cape, mais rejetée dans le dos elle ne la cachait pas aux regards. Seule Nëjya était habillée. Machinalement, la petite Samborren détailla ses compagnes. Cali avait le corps bien fait, mince et musclé par l’exercice. Son visage était trop allongé et son nez un peu fort pour être qualifiée de belle, mais elle avait sa place dans ce harem. Elle disposait d’une peau parfaite, exempte de rides, à l’exception de quelques-unes au coin des yeux. Sarin était d’une taille similaire et presque aussi fine que la danseuse, mais moins habituée à effectuer d’efforts, sa silhouette n’était pas aussi athlétique et elle paraissait moins sèche.

Elles devaient y aller. Les gardes avaient commencé à s’approcher. La prestation de Cali leur avait permis de gagner presque un demi-monsihon, mais elles ne pouvaient accomplir plus. Sarin jeta son dévolu sur le sergent. C’était le plus âgé. Il pourrait être son père. Elle estima qu’il devait être le plus attentionné. En tout cas, il la rassurait. À l’inverse, Cali préféra le plus jeune. C’était encore un gamin à peine sorti de l’enfance. A posteriori, Nëjya trouva son choix excellent ; avec son expérience, elle allait pouvoir s’en tirer en donnant le minimum d’elle-même. Mais les deux autres ? Nëjya se recula, essayant de se faire oublier. Avec un peu de chance, elle échapperait à cette épreuve.

Un des deux soldats restants la remarqua et se dirigea vers elle. Il paraissait à peine plus jeune que le sergent. Heureusement, il était attentionné. Ou timide. Il enlaça la concubine sans brusquerie. Étant habillée, elle estimait qu’elle pourrait supporter le contact. Mais il ne pouvait pas se contenter de cela. Il entreprit de défaire les bretelles qui retenaient sa salopette et de remonter la tunique qu’elle portait en dessous. Sur le moment, elle paniqua. Mais il n’alla pas jusqu’au bout de son geste. Il se limita à dégager le buste pour le couvrir de baisers. Les caresses qu’il lui donnait ressemblaient à celle que Dursun partageait avec elle. Mais les grosses paumes calleuses du soldat ne rappelaient en rien celles petites et douces de sa maîtresse. Elle ne pouvait pas fermer les yeux et s’imaginer entre d’autres bras. Une deuxième sentinelle l’étreignit, elle se retrouva à demi nue entre deux mâles, heureusement habillés. Elle sentit une main se glisser entre ses jambes.

Elle se concentra sur ses compagnes. Ces dernières se débrouillaient mieux qu’elle. Cali était enlacée par le plus jeune des gardes, mais elle avait gardé sa culotte, parvenant à limiter ses explorations au haut de son corps. Elle avait une longue expérience avec les hommes, alors que Nëjya, que se préférences orientait vers les femmes, ne savait pas comment elle allait pouvoir échapper au sort qu’elle redoutait. Mais elle s’en sortait mieux que Sarin qui bien que n’ayant été choisie que par un seul soldat, n’avait pas réussi à refréner ses ardeurs et n’allait pas tarder à se donner totalement à lui.

En sentant une main s’insinuer entre ses cuisses, Nëjya essaya de repousser son partenaire. Mais il était trop lourd. Elle était sur le point de pleurer.

Brusquement, le soldat qui la bloquait s’écarta.

— La cloche, s’écria-t-il, on a oublié la cloche.

Les gardes s’immobilisèrent aussitôt.

— Je ne l’ai pas entendue sonner, s’affola le sergent.

Ils se précipitèrent à l’étage, laissant leurs visiteuses seules. Le risque d’encourir une sanction exemplaire leur avait totalement fait abandonner les trois femmes.

Cali rassembla ses vêtements sur le sol. Nëjya n’eut qu’à rajuster sa tenue. Mais Sarin ne bougea pas.

— On s’esquive, les enjoignit Cali, on ne peut rien faire de plus.

Sarin ne répondit pas. Elle semblait en état de choc. Nëjya la secoua.

— Eh ! On part.

— Oui.

Comme hypnotisée, elle ramassa sa cape et commença à l’attacher.

— Pas le temps, l’interrompit Cali, ils vont revenir.

Elle entraîna ses compagnes hors de la pièce en direction des souterrains. Elle voulait sortir de là avant que la garde ne réagît.

Une fois à l’abri dans le couloir obscur, elle s’arrêta.

— Ça va bien ? demanda Cali.

— J’ai échappé au pire, assura Nëjya.

— Sarin ?

— Ça peut aller, répondit cette dernière.

Le ton de sa voix était ferme. Elle s’était reprise.

— Habille-toi, lui ordonna la danseuse, il fait froid ici.

— J’ai perdu ma cape.

— Tu l’as laissé là-bas ?

— Non, je l’avais en quittant le poste de garde.

— Dans le noir, on ne va pas s’amuser à la rechercher, remarqua Nëjya

— Si tu penses pouvoir parcourir une demi-longe par une telle température.

— Je n’ai pas le choix.

Elles se remirent en route. L’endroit était glacial et humide. Heureusement, il était court. Une fois de retour dans les appartements de Jevin, Sarin cessa de grelotter. En silence pour ne pas se faire repérer, elles le traversèrent. Elles arrivèrent enfin à l’abri dans la suite d’Orellide sans qu’aucun des yeux feythas qui surveillaient les lieux n’aient pu les apercevoir. Cali regardait ses complices d’un air légèrement amusé. La peintre s’était bien réchauffée, mais elle avait croisé les bras sur sa poitrine en un geste de pudeur inattendu entre concubines. Était-ce à cause de l’épreuve qu’elle venait de subir ?

— Je vais devoir vous apprendre des choses pour la prochaine fois, remarqua la danseuse.

— Il n’y aura pas de prochaines fois, répliqua Nëjya.

— J’ai du mal à le croire.

— Deirane n’est pas Mericia. Elle ne voulait pas qu’on te demande ce service. Si Dovaren avait toujours été vivante…

— Je ne suis pas une imbécile. Je vois bien que Deirane et Mericia ne sont pas pareilles. L’idée que ce soit cette pétasse – ou pire, Larein – qui monte sur le trône si ton amie échoue m’a permis de supporter cette soirée. Ce genre d’épreuve se reproduira. Et pour toi, ça restera difficile aussi longtemps que tu considéreras les hommes comme des individus lubriques ne pouvant résister à l’assouvissement de leurs instincts les plus bestiaux. Quant à Sarin, elle a encore moins d’expérience que toi. Je ne l’ai jamais vue avec personne, d’aucun sexe.

— Certains hommes se comportent comme ça, continua Nëjya sur sa pensée.

— Certains. Mais pas tous.

— Et ce soir ?

— C’est dur à dire. Trois femmes nues et magnifiques qui s’offrent à eux c’est tentant. Mais être surpris en train de forniquer avec une concubine est dangereux. Les deux idées se combattaient dans leur tête. Mais je ne saurai pas dire si la deuxième s’est montrée plus forte ou si ces gardes-là étaient meilleurs que leurs congénères.

— Ce sont des soldats. Violents par essence.

— Dayan dirige le royaume en faisant parfois preuve de violence. Mais dans l’intimité, il m’a toujours respectée. L’intérieur et l’extérieur d’une chambre à coucher sont deux mondes différents.

— Alors, tu nous en veux ?

— De quoi ?

— De ce qu’on t’a obligé à faire.

— Vous ne m’avez rien obligé à faire. Le soldat que j’ai choisi était très jeune. Il était encore puceau. Il osait à peine me toucher. Je n’ai eu qu’à lui donner un sein. C’est vous deux qui avez hérité des vieux plus entreprenants.

Sarin laissa prendre un peu d’avance à la danseuse. Cette dernière avait usé de son expérience pour échapper aux parties les plus dégoûtantes de cette épreuve, abandonnant le plus dur à ses compagnes. Nëjya reconnaissait que c’était de bonne guerre, elle regrettait cependant que ce soit elle qui en ait supporté les frais. En tout cas, même si elle n’avait pas les moyens de survivre dans le harem sans protection, elle n’était pas totalement dépourvue de défense.

Les couloirs étaient vides. La plupart des concubines avaient réintégré leur chambre. Mais quelques-unes se promenaient encore dans le jardin, sans compter les eunuques. Cali passa sa cape à Sarin.

— Garde-la, refusa cette dernière.

— Je suis danseuse. Je suis plus habituée que toi au regard des autres.

— Merci.

Sarin la prit. Elle s’enveloppa dedans.

— Maintenant, allons voir si Deirane a réussi, proposa-t-elle.

La nuit n’était pas très lumineuse. La seule lune dans le ciel était violette. Avec précaution pour éviter de trébucher, elles s’engagèrent sur l’un des chemins qui menait à la plage découvrir ce que devenaient le reste de leur bande.

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