Chapitre 43 : Romances - (1/2)

4 minutes de lecture

Le vieil eunuque qui servait Orellide entra dans le patio. Il s’approcha de sa maîtresse. Il se pencha pour lui dire quelque chose à l’oreille. Elle hocha la tête.

— Brun est rentré dans ses appartements. Il se repose. Il serait temps de se préparer.

— Je suis déjà prête, répondit Deirane. Autant que je peux l’être.

— Pas tout à fait non.

Pers déposa la carafe d’eau et le verre qu’il venait d’amener devant la jeune femme.

— Tu dois prendre la drogue que je t’ai donnée tout à l’heure.

Deirane sortit la boîte à secret de sa poche. Elle l’ouvrit et regarda les petites gélules qu’elle contenait. Elle hésitait.

— Cela ne va pas me faire du mal ? demanda-t-elle.

— Si tu en consommais régulièrement, si, répondit Orellide. Mais une seule fois, tu ne risques rien.

— Vous m’avez dit le contraire, il y a quelques jours.

— Fais ce que tu veux. Vas-y sans cette drogue si tu penses le supporter.

Elle en saisit une et la regarda longuement avant de l’avaler. Elle la fit passer avec un verre d’eau. Pers avait pris soin de la parfumer avec un peu de jus de citron. Elle s’attacha à ce détail.

— Tu peux en prendre une deuxième, conseilla Orellide. Pas plus, parce que tu es menue, ça pourrait faire trop.

Deirane était menue en effet. Elle remarqua que la plupart des concubines étaient comme elle. Une préférence de Brun ? Non, elle se trompait. Elles avaient une corpulence normale. Seules les acquisitions les plus récentes lui ressemblaient : Nëjya, Dursun. Gyvan aussi, mais pas Dovaren. Dovaren était grande et mince. Elle lui rappelait un peu Nëppë la sœur de Dresil, en version noire. Ou mieux encore à Celtis, l’amie qu’elle s’était faite à l’ambassade d’Helaria à Sernos.

Le fait de penser à ses proches mortes – ou disparues – et à Dresil faillit déclencher une crise de larmes. Dursun se méprit sur leur origine. Elle s’assit à côté de la jeune femme et lui caressa délicatement le visage. Deirane la prit dans ses bras et la serra contre elle. Ce geste surprit la petite Aclanli. Mais pas Nëjya. Elle tira sa chaise contre de celle de son amie pour l’enlacer à son tour.

Ainsi blottie entre ses deux amies, elle se sentait bien. Elle essaya de penser à ce qui l’attendait, mais c’était trop déprimant. L’image de Dresil se présenta d’elle-même dans son esprit. Dresil, c’était lui son arme secrète. Si elle se concentrait sur lui, si elle arrivait à substituer son visage à celui de Brun à l’instant fatidique, elle pourrait supporter l’épreuve.

Les trois jeunes femmes restèrent ensemble un long moment dans le jardin. Un bruit de pas éveilla l’attention de Deirane. C’était Orellide qui revenait. Elle ne s’était même pas rendu compte qu’elle était sortie.

— Nous devons y aller, l’avertit-elle.

Deirane allait protester. Réclamer un peu plus de temps avec ses amies. Pas beaucoup, un ou deux stersihons. Presque rien. Mais à sa grande horreur, elle obéit. Son corps avait décidé sans elle. À la demande de la reine mère, elle avait délicatement repoussé les deux novices et s’était levée pour emboîter le pas à celle qui dirigeait le harem.

Dursun et Nëjya, restées seules dans le patio, ne savaient que faire. Elles ne pouvaient pas accompagner leur amie dans son épreuve. Mais Pers, le vieil eunuque, n’était pas venu les chasser. Il ne tarda pas à entrer d’ailleurs. Mais au lieu de leur enjoindre de partir, il apportait un plateau avec une théière et quatre tasses. Il les servit.

— Ma maîtresse vous convie à partager son repas ce soir, proposa-t-il.

Nëjya fut si étonnée de l’invitation qu’elle ne réagit pas. Dursun se montra plus prompte.

— C’est avec plaisir, répondit-elle.

— Y a-t-il une raison à cette invitation ? demanda Nëjya.

— Sa Seigneurie m’a dit qu’elle ne voulait pas dîner seule.

Puis, de façon surprenante, il tira une chaise et s’assit à table. Quand il reprit la parole, il avait abandonné son ton compassé. Il avait l’air plus complice.

— Je crois qu’elle pense que la présence de ses amies à son retour devrait être d’une grande aide à Serlen.

— Serlen risque de ne pas rentrer avant demain matin, remarqua Dursun.

— Nous disposons de quoi vous loger ici. Vous ne dormirez pas sur un divan. D’autant plus qu’un lit suffira pour vous deux.

Instinctivement, Dursun rougit. Elle ne savait pas pourquoi, ce n’était pas un secret qu’elle et Nëjya étaient amantes. Elles ne se cachaient plus. Elle regarda le vieil eunuque verser un nuage de lait dans son thé. Il parlait peu, mais elle le soupçonnait de savoir beaucoup de choses. Elle se demandait depuis combien de temps il servait Orellide. Au moins vingt ans, estima-t-elle. À l’époque, ses parents propres ne se connaissaient même pas.

Pers se leva.

— Profitez de cet endroit. Il n’est ni aussi grand, ni aussi beau que celui du harem. C’est ma dame et moi qui l’entretenons. Je ne suis pas doué comme les jardiniers du palais, hélas ! Mais il est tranquille. On y trouve plein de recoins où se cacher, ajouta-t-il d’un air complice.

Il quitta la terrasse. Les deux jeunes femmes le regardèrent s’éloigner.

— Quand Orellide partira du harem, tu crois que Deirane en héritera ? demanda Nëjya dès qu’il eut refermé la porte derrière lui.

— À mon avis, quand Orellide s’en ira, Pers la suivra. Ils vivent ensemble depuis trop longtemps.

— Dommage, il a l’air efficace.

— Pers et Chenlow. Quand Deirane sera reine, elle commencera avec une équipe neuve.

— Espérons qu’ils se montreront aussi bons.

Dursun resta perdue un instant dans ses pensées. Puis elle se redressa, gonflant la poitrine et jetant des coups d’œil vers les allées du jardin et ses nombreux recoins.

— Ça te dirait de vérifier à quel point ce jardin est tranquille ? demanda-t-elle d’un ton espiègle.

— Quoi ? Maintenant ?

— Tu as quelque chose de mieux à faire ?

— Non.

Son regard suivait les mains de Dursun qui avait commencé à défaire les boutons de son corsage. Mais l’Aclanli avait interrompu son geste au dernier moment, alors qu’il n’en restait plus qu’un pour que la petite pièce de vêtement se détachât.

— Viens avec moi, l’invita-t-elle.

Et elle entraîna la Samborren dans le dédale des allées jusqu’à ce qu’elles repérassent un coin à l’abri des indiscrets.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0