Chapitre 38 : Le complot - (1/2)

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De retour dans sa chambre, Deirane s’affala sur le lit et attendit. Ses compagnes étaient absentes. Les cours ne finiraient que dans quelques monsihons. Dursun n’arriva qu’au milieu du mitant. Elle la rejoignit directement dans ses quartiers.

— Alors, demanda-t-elle.

L’index devant la bouche, Deirane lui intima de se taire.

— J’étais fatiguée. Je me suis reposée.

— Et ça va mieux maintenant.

La petite Aclanli lui fit signe qu’elle avait compris.

— J’ai bien envie de prendre l’air. Tu m’accompagnes ?

— Bien sûr. Tu me laisses le temps de me changer ?

Deirane hocha la tête. Son amie disparut dans sa chambre. Elle en profita pour enfiler des vêtements plus adaptés à une promenade à l’extérieur. Un moment, elle envisagea de mettre des atours si excitants qu’un éventuel espion aurait du mal à se concentrer sur sa tâche. Mais elle se dit qu’un tel espion serait certainement une autre concubine ou une domestique. Elle s’habilla donc en fonction de ses goûts, le ventre nu, mais la poitrine, les hanches et les jambes à l’abri des regards dans une jupe longue et un petit haut très court, les deux en soie blanche. Une fois prête, elle songea que son tatouage pouvait exercer la même distraction sur les femmes que sa beauté sur les hommes. Mais il était trop tard, elle ne voulait pas se changer juste pour perturber un éventuel espion.

Par le plus grand des hasards, Dursun avait adopté des vêtements à la coupe identiques, mais en bleu pâle, ce qui amusa l’adolescente.

Dans le jardin, les deux jeunes esclaves choisirent une allée large et déserte, bordée de buissons bas où des espions ne pourraient pas se cacher en restant à portée de voix.

— Pourquoi nous as-tu amenées ici ? demanda d’emblée Dursun.

— Orellide me l’a confirmé. Dans les appartements, on est surveillées. Quand on a des choses à se dire, nous devrons nous rendre dans un endroit isolé.

— Je m’en doutais un peu, même si j’ignore comment ils font. Nous allons devoir trouver vite.

— On va fouiller toutes nos chambres.

— Discrètement. Si on comprend comment ils font sans qu’ils le sachent, on pourra les contrer en leur donnant de fausses informations.

Deirane regarda son amie.

— Ce n’est pas bête. Mais comment faire ?

— Nous devons déjà déterminer si l’espionnage est seulement auditif ou également visuel. S’ils ne peuvent que nous entendre, on pourra échanger des signes tout en parlant d’autre chose. S’ils nous voient, nous devrons prévoir une parade.

— Tu as une idée ?

— Deux femmes qui se caressent devraient certainement trop les distraire pour qu’ils remarquent que les gestes correspondent à des messages.

Deirane regarda son amie d’un air ironique.

— Une telle idée ne pouvait provenir que de toi. Je sais que tu me désires, mais ce genre de chose ne m’intéresse pas. Et puis ça ne marcherait que si c’est un homme qui nous espionne.

— On peut toujours essayer, répondit Dursun penaude.

— Et puis, ça ne pouvait pas fonctionner du tout, continua Deirane. Quand Nëjya se glisse entre tes bras, tu arriverais à te concentrer pour lui faire passer un message ?

Dursun piqua un fard. Elle détourna le regard un instant.

— On est bien d’accord. Tu as une autre idée ?

Dursun répondit sans aucune hésitation.

— Un moment, j’avais envisagé de vous apprendre ma langue, l’aclanli. Mais ça aurait été trop flagrant, sans compter qu’il est possible que quelqu’un la parle ici même. Mais j’ai pensé à autre chose. On pourrait utiliser des codes.

— Des codes ? Comment ?

— En remplaçant des mots par d’autres. Ou par des gestes.

— Des gestes ?

— Je vais t’expliquer.

Dursun s’arrêta brutalement. Deirane éprouva un bref instant de panique. Elles étaient revenues par hasard à l’endroit où Gyvan était morte. Mais la jeune fille, perdue dans ses pensées, ne semblait pas s’en être aperçue.

— C’est très facile en fait, reprit-elle. Par exemple, quand tu es assise sur le lit, si tu replies les jambes à gauche ça veut dire oui, et à droite non. Si tu te tiens debout, tu peux croiser les bras ou poser un objet sur la commode d’une certaine façon.

— Ils ne sauront pas la réponse. Mais ils connaîtront quand même la question.

— Pas si on remplace les mots par d’autres. « Comment se sont passés les cours aujourd’hui » pourrait vouloir dire une chose sans rapport avec les cours. Et cette phrase pourrait avoir un sens différent si je la dis les bras croisés ou non, ou appuyée contre un meuble. Les accessoires que je porte pourraient aussi avoir une signification.

— C’est compliqué.

Elle prit son amie par la main et l’entraîna à l’écart avant qu’elle ait pris conscience de l’endroit. Totalement absorbée par ses explications, cette dernière se laissa docilement tirer.

De retour dans le bâtiment, Dursun s’arrêta. Elle observa attentivement les balcons des étages supérieurs.

— Que regardes-tu ? demanda Deirane.

Dursun jeta un coup d’œil autour d’elles. Personne ne semblait s’occuper de leurs actes. Elle remarqua bien une concubine qui les fixait, mais elle paraissait plus intéressée par le ventre nu de Deirane et les pierres précieuses qui le constellaient plutôt que par leurs paroles. De toute façon, personne ne se trouvait assez proche d’eux pour qu’on les entendît.

— L’épaisseur de la dalle, expliqua-t-elle à voix basse. On ne peut pas caser un tunnel dans les plafonds.

La petite Aclanli avait raison. Si espionnage il y avait, il n’y avait aucune chance qu’il se fît par là.

— Sans compter qu’on aurait entendu du bruit, si quelqu’un avait rampé au-dessus de nous, ajouta-t-elle.

Elle entraîna son amie dans le quartier des novices, compara la hauteur au-dessus de la porte de part et d’autre de l’entrée. Il restait à étudier les murs.

— Les murs du couloir me semblent trop fins, constata Deirane toujours sur le ton de la confidence.

— Mais ceux entre les chambres ?

Dursun pénétra dans son propre logement. Elle regarda un instant l’espace qui séparait la porte du mur mitoyen. Intimant à Deirane de se taire, elle examina soigneusement tous les murs, soulevant les tapisseries. L’armoire était impossible à déplacer, mais elle était plaquée contre la paroi ; si elles étaient surveillées, ce n’était pas par là.

— Je n’ai trouvé aucun trou qui permettrait à un espion de nous voir ni aucune bouche qui conduirait le son. Il ne reste que l’éventualité d’une cavité dans l’épaisseur du mur suffisamment large pour que quelqu’un puisse s’y introduire pour nous écouter.

— Sans instrument de mesure, on n’arrivera jamais à estimer cette épaisseur, remarqua Deirane.

— On n’a pas besoin d’une règle graduée en perches, mains, longes et ongles. N’importe quelle unité conviendrait à condition de disposer d’un étalon.

— Un étalon ? Un cheval ? Ou un…

Deirane rougit. Dursun lança un regard espiègle à son amie.

— Non, rien de tout ça, répondit Dursun. Je parle d’un objet de référence. N’importe quoi fait l’affaire. À condition que ce ne soit pas trop petit.

— Tu as une idée derrière la tête. Tu as trouvé ton unité ?

— On va procéder comme nos ancêtres, on va utiliser nos pieds.

Dursun se plaça dos au mur et avança lentement jusqu’à la porte, posant à chaque pas le talon contre la pointe du pied précédent.

— Quinze pieds, annonça-t-elle.

— J’ai compté seize, objecta Deirane.

— On recommence.

Dursun répéta l’opération, avec le même résultat divergent. Une troisième fois, Dursun s’exécuta. Ce coup-ci, elle compta à voix haute.

— Tu as raison, seize, annonça-t-elle enfin.

— Maintenant, j’ai quinze.

Deirane soupira.

— Bon, le pied c’est trop petit, en conclut Dursun, on se trompe facilement. J’ai besoin d’autre chose de plus grand.

— Quoi donc ?

— Je pensais à l’unité Deirane.

— À quoi ?

Dursun alla prendre un crayon gras dans son nécessaire de maquillage.

— Allonge-toi, les talons contre le mur de séparation.

Un peu intriguée, Deirane obéit. Dursun se mit à quatre pattes pour tracer un trait sur le sol au sommet de son crâne.

— Recule maintenant.

— J’ai l’air ridicule.

— Qui peut te voir ? Je veux bien admettre qu’on puisse nous entendre. Mais pour nous voir, il faudrait qu’il existe quelque part des trous bien placés. On les aurait déjà trouvés.

Deirane s’exécuta. Elle avait compris. Elle n’avait jamais pensé à se servir son corps comme unité de longueur. Mais le nom de celles utilisées par les Helariaseny, dont l’Yrian et l’Orvbel avaient hérité, indiquait qu’une telle pratique était naturelle, même si depuis les ingénieurs les avaient normalisées. Quand Deirane arriva au niveau de la porte, Dursun traça la dernière marque sur la jeune femme elle-même.

— Le mur mesure trois Deirane et une jambe, annonça-t-elle sur un ton humoristique.

— Et ensuite ?

— On va à côté et on recommence.

La chambre en question était l’ancienne de Dovaren. Elle logeait maintenant ses deux nièces. Elles procédèrent de la même manière. Nëjya et Ard survinrent quand elles achevaient de calculer l’espacement entre les deux portes dans le couloir.

— Que faites-vous ? s’étonna l’érudit.

— On détermine la largeur des murs, répondit Deirane.

— Il suffit de frapper contre la cloison pour se rendre compte qu’elle est construite en briques.

— C’est un peu plus épais, corrigea Dursun, mais pas assez pour y ménager un passage.

— Tu es sûre ? demanda Deirane.

— Il mesure à peine plus de la moitié de ton mollet.

— C’est tout juste assez pour une seule couche de brique, remarqua Ard. Il ne peut y avoir ni espions ni conduit dans ces murs si c’est à cela que tu penses.

Dursun hocha la tête.

— Nous ne savons toujours pas comment ils nous espionnaient, ajouta-t-elle. En tout cas, je doute que ce soit dans nos chambres.

Le fait qu’elle se soit remise à parler à voix haute montrait bien qu’elle ne se sentait pas surveillée.

— C’est donc bien Sarin qui nous a trahies. Elle se tenait parmi nous lors de nos discussions, elle leur a tout raconté, lâcha Deirane.

— Pas forcément, rétorqua Dursun, cela signifie juste que ce n’est pas dans nos chambres qu’ils nous espionnent. Je pense plutôt à certaines parties communes comme la salle des tempêtes.

— Comment peux-tu en être sûre à ce point ?

— Parce que Chenlow vient trop vite quand ses eunuques ont besoin de lui.

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