Chapitre 31 : Le spectacle - (1/3)

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Dovaren n’était pas aussi naïve qu’elle le paraissait et ce que Dursun avait confié à Deirane, elle l’avait déduit elle-même. Aucune information ne filtrait à l’intérieur du harem. Elle ne savait pas si ses frères avaient pu s’enfuir où s’ils avaient été capturés. Et personne ne pouvait leur apporter des nouvelles sur ce qui se produisait à l’extérieur. Elle alternait donc entre exaltation et neurasthénie, ce qui tapait sur les nerfs de ses amies. Deirane elle-même devait se forcer à rester en sa compagnie. Quant à Dursun, elle avait fui dans sa chambre. Nëjya, qui avait ses quartiers à un autre étage, ne descendait que pour passer du temps avec Dursun.

L’arrivée du spectacle fut la bienvenue. Ni le roi ni l’eunuque n’avait donné sa nature : théâtre, opéra, concert. Vint le moment de s’habiller. Elles seraient visibles en public en compagnie de Brun. Il n’était pas question de se contenter de tenues toutes prêtes. Les jours précédents, les deux chanceuses avaient subi des séances d’ajustage. Elles devaient être magnifiques, mais décentes. Leur beauté devait être mise en valeur, mais pas exhibée. Deirane disposait maintenant d’une robe en soie, longue, fendue sur le côté et largement décolletée. Sa blancheur éblouissante était agrémentée de broderies en fils d’or et d’argent et de pierres précieuses qui n’étaient pas sans rappeler le motif incrusté dans sa peau. Enfant, elle avait toujours souhaité en posséder une semblable. Finalement, son rêve se réalisait, mais il ressemblait plutôt à un cauchemar.

Dovaren la rejoignit dans sa chambre. Les couturiers lui avaient confectionné une robe verte qui lui laissait la taille nue. Et naturellement, elle portait des bijoux. Bracelets, bagues, colliers et boucles d’oreille. Elle avait même, à la ceinture, une chaîne en or qui s’avérait du plus bel effet sur sa peau noire. Elle avait pris avec elle un manteau de coton blanc décoré d’un simple liseré doré qu’elle étala sur le lit. Elle s’assit sans prononcer le moindre mot. Elle se trouvait dans une période dépressive. Deirane s’installa à côté d’elle et lui posa une main sur la cuisse.

— Je suis sûre qu’ils ont pu s’enfuir, la rassura-t-elle.

— Le pire est de ne pas savoir. Je prie les dieux tous les jours, mais je n’ai reçu aucune réponse.

— Tu sauras bientôt. Quand Naim viendra, elle nous dira tout.

— C’est vrai, s’écria Dovaren, j’avais oublié Naim. Elle pourra me dire si mes frères sont en prison.

En une fraction de tösihon, elle était devenue exaltée. Elle se leva et parcourut la chambre de long en large.

— Sais-tu quand elle rentre ?

— Entrer et sortir de l’Helaria n’est pas facile.

— Je pensais qu’on pouvait y voyager librement.

— Pas quand on vient d’Orvbel. Elle doit prendre des précautions pour faire croire qu’elle arrive d’ailleurs. Et c’est pareil pour repartir si elle veut y retourner un jour. Cela peut s’avérer long.

— Tu as raison. Mais ça fait plusieurs mois qu’elle est en mission. Je suis sûre qu’elle va bientôt revenir.

Elle alla s’asseoir sur le lit. Mais elle se releva aussitôt.

Chenlow vint délivrer Deirane de son calvaire. Mais un Chenlow comme elle ne l’avait jamais vu. Il avait toujours été soigné de sa personne. Mais ce jour-là, il était éblouissant. Il portait un pantalon et un gilet verts brodés d’or qui laissait apercevoir une poitrine glabre et un ventre musclés. La plupart des eunuques prenaient du poids en vieillissant, mais ce fléau paraissait l’avoir épargné. Et pourtant, il n’était pas jeune. Il avait presque l’âge du père de Deirane.

— Vous êtes prêtes ? demanda-t-il.

— Oui, répondit Deirane.

— Alors, enfilez un manteau et suivez-moi.

Pendant que Deirane fouillait dans l’armoire, Chenlow l’examina attentivement.

— Il semblerait que les leçons de la reine mère aient porté leurs fruits, constata-t-il.

Dovaren sortit dans le couloir. Mais il retint Deirane par le bras.

— Orellide m’a donné ceci pour vous, dit-il en lui tendant quelque chose.

C’était une petite boîte en bois de deux doigts de large environ et un d’épaisseur. Sa surface était incrustée de plaques de mica, soulignées d’un entrelacs de lignes qui ne représentaient rien de particulier. Le couvercle était articulé d’une charnière en cuir et maintenu fermé par une ficelle qui s’enroulait autour de deux bitoniaux. Elle l’ouvrit. Le cœur du bois avait été creusé pour ménager une cavité qui contenait plusieurs pilules, gravées sur le côté de quelques caractères dans l’alphabet feytha.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

— Du diazépam.

Elle avait entendu parler de cette substance. Les anciens tyrans la synthétisaient pour contrôler leurs esclaves. Mais avec leur disparition, il n’était plus fabriqué. Enfin, c’est ce qu’elle croyait.

— Où prépare-t-on ce genre de produit ? En Helaria ?

Chenlow éclata de rire.

— L’Helaria serait bien incapable de générer cette sorte de comprimé, même s’il ne contenait que du sucre. Il est fabriqué là où il l’a toujours été, par les machines que les feythas ont laissées dans leur forteresse à Sernos.

— Je croyais que ces machines avaient été détruites pendant la guerre.

— Les combats n’ont que peu endommagé le palais. Sinon les rois d’Yrian n’en auraient pas fait leur résidence.

— Et elles ne fabriquent pas que du diazépam ?

— Non. Toutes sortes de médicaments.

— Comment se fait-il que ces médicaments ne soient pas répandus dans la population ?

— Pourquoi les nobles yrianis partageraient-ils leurs richesses avec les paysans alors qu’il y en a juste assez pour eux ?

Deirane referma la boîte et la glissa dans une poche de son manteau. Elle était pensive.

— L’épidémie de peste qui a touché les enfants stoltzt, il y a quelques années, avaient-ils les moyens de la combattre ? demanda-t-elle.

— Oui, ils l’avaient.

— Et ils n’ont rien fait ?

— Croyais-tu ton pays plus civilisé qu’il ne l’est réellement ?

Deirane lui lança un regard froid.

— Il n’y a pas d’esclaves en Yrian.

— Il est bien d’autres manières d’asservir les gens.

Il prit Deirane par le bras et l’entraîna vers la porte.

— Au fait, demanda-t-elle, pourquoi m’avez-vous donné ça ?

— Tu ne devrais pas avoir de mal à lui trouver un usage.

Dans le couloir, Dovaren attendait patiemment que ses compagnons la rejoignissent. Chenlow les emmena hors du harem. C’était la troisième fois en moins d’un mois que Deirane en sortait. Par contre, Dovaren découvrait la cour bordée d’arcades qui les séparaient du reste du palais. L’endroit aurait pu former une promenade agréable lors des fortes chaleurs, mais sa position en faisait une zone interdite sauf pendant les pluies de feu où il constituait le seul lieu qui permettait de prendre l’air au sein du harem. Et naturellement, seules les concubines en titre pouvaient alors y accéder.

L’eunuque les conduisit jusqu’à un petit salon d’attente, juste à côté de la porte principale. Brun s’y trouvait déjà. Il était confortablement assis dans un fauteuil en tissu richement brodé. Dayan avait choisi le canapé. Sa compagne, aussi éblouissante que les deux jeunes novices, malgré son âge plus avancé d’une bonne dizaine d’années, s’était blottie contre lui. Mais elle n’était pas seule. Il y avait trois concubines en titre dans le salon. Mais aucun visage ne lui était familier bien qu’elle les ait déjà croisées à l’occasion dans les jardins et que leur identité lui fût connue.

En gentleman, Brun se leva. Il saisit la main de Deirane et lui déposa un baiser.

— Chère Serlen, l’accueillit-il, plus le temps passe, plus j’ai l’impression que votre beauté augmente. Chaque jour, je me félicite de vous avoir acheté.

Deirane, prise de court, ne sut que répondre. La seule idée qui lui venait à la tête était qu’elle ne lui avait pas trop coûté vu qu’il l’avait volée, ce qui aurait manqué de diplomatie.

— Dovaren, continua-t-il avec son amie, la Nayt recèle bien des trésors. Je suis heureux de posséder l’un des plus précieux.

— Le corps n’est qu’une enveloppe et la beauté se fane. Le bien le plus précieux de mon pays c’est la foi.

— Certes, mais cela n’interdit pas d’apprécier la beauté quand on la rencontre.

Il s’écarta des nouvelles venues.

— Profitez bien du spectacle. Peu de concubines ont eu la possibilité d’y assister. Encore moins des chanceuses.

Puis il désigna les trois inconnues.

— Étant toujours novices, vous ne devez certainement pas connaître trois des principales perles de mon palais. Mericia, Larein et Lætitia, les présenta-t-il tour à tour ?

— Nous nous sommes croisées à l’occasion, confirma Deirane.

Il retourna ensuite s’asseoir sur son fauteuil.

Pour la première fois, Deirane pouvait voir de près les chefs des trois factions majeures qui se partageaient l’influence du harem. Sur ce plan, elle était désavantagée face à ses compagnes qui avaient déjà été abordées par l’une d’elles au moins. Lorsque Chenlow lui avait montré Mericia, elle était nue et allongée, mais son visage était tourné du mauvais côté. Et maintenant qu’elle le voyait, celui-ci était à l’égal de son corps, magnifique. Son ascendance yriani sautait aux yeux. Une compatriote, contrairement aux deux autres. La dénommée Lætitia venait de toute évidence de la Nayt comme Dovaren. Elle ressemblait d’ailleurs beaucoup à cette dernière, si ce n’est qu’elle avait les cheveux lisses et les lèvres plus charnues. En revanche, elle ne put trouver l’origine de Larein. Celle-ci avait la peau très pâle, constellée d’éphélides, des yeux verts et une crinière d’un roux flamboyant. Avant d’intégrer le harem, elle ne connaissait cette couleur qu’à travers les textes des aèdes qui visitaient régulièrement son village. Elle avait toujours cru à une licence poétique. Ces aèdes, se souvenait-elle, étaient surpris par la teinte de leurs propres cheveux, à elle et sa jeune sœur, fréquente chez les stoltzt ou les edorians, mais rare au sein des humains. Et en ce lieu, elle avait compté pas moins de trois femmes rousses comme Larein, et quelques-unes avec les mêmes cheveux blonds qu’elle.

Les trois concubines s’étaient disposées chacune dans un coin de la pièce et elles semblaient s’ignorer mutuellement. En revanche, toutes les trois, elles observaient Deirane qui préféra rester à proximité de Cali en compagnie de Dovaren. Elle ne pouvait deviner quels sentiments elles éprouvaient. Malgré son regard calculateur, Mericia ne lui paraissait pas hostile. Elle devait sans doute chercher comment intégrer la jeune femme à sa cour. Enfin, c’est ce qu’elle pensait. Peut-être était-elle seulement comme tout le monde, curieuse de ce tatouage exotique. Larein en revanche donnait l’impression de la détester. Mais elle semblait éprouver ce sentiment avec tout son entourage. Deirane n’était qu’une adversaire de plus. Lætitia ? Elle ne pouvait rien en dire si ce n’est qu’elle aurait pu être la sœur aînée de Dovaren.

Soudain, Larein se leva. Elle traversa la pièce pour rejoindre Deirane et s’assit à côté d’elle.

— Puisque tu es amie avec cette pétasse de Samborren, tu vas lui transmettre un avertissement. Ce sera le seul.

« Pétasse de Samborren ? » Deirane estima qu’elle devait parler de Nëjya.

— Si elle pose encore une seule fois la main sur ma sœur, je la défonce.

Tout le corps de la jeune femme transpirait la haine. Elle ne chercha même pas à atténuer ses propose d’une ébauche de sourire. Son message transmis, elle se leva et rejoignit sa place. En tout cas, Nëjya n’avait pas raconté à Deirane les détails de la vengeance qu’elle avait mené contre la concubine. Mais elle commençait à en avoir une petite idée. Et d’ailleurs, n’avait-elle pas parlé de faire l’amour plutôt que la guerre ? De toute évidence, la Samborren avait trouvé la faille dans la cuirasse de Larein.

Elle jeta un coup d’œil vers Brun. Ce dernier ne paraissait pas énervé par la scène. En fait, son sourire amusé semblait indiquer qu’elle le réjouissait. Un regard circulaire autour de la salle lui montra que les autres concubines aussi prenaient du plaisir à la colère de Larein. De toute évidence, elle avait perdu des points dans la lutte qui opposait les factions. Mais au profit de qui ?

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