Chapitre 30 : L'interrogatoire - (1/2)

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Le lendemain, en se réveillant, Dursun fut surprise de découvrir ses amies toujours là. En se rendant à la salle de bain commune pour procéder à sa toilette, elle croisa Loumäi dans le couloir. La domestique n’avait pas son air enjoué, habituel depuis qu’elle était au service personnel de Deirane. Mais elle ne semblait pas abattue non plus. À tout hasard, la petite Aclanli alla voir dans la chambre de Deirane. Les fuyardes se trouvaient là, endormies toutes les trois, blotties les unes contre les autres. Elles n’avaient pas enlevé leurs vêtements pour enfiler une chemise de nuit, sauf Dovaren qui était totalement nue. Même Nëjya avait préféré rester dans cette aile des novices, avec ses amies, plutôt que de retourner dans sa luxueuse suite deux étages plus haut.

C’est de cette dernière qu’elle s’approcha. Elle la réveilla doucement en lui secouant l’épaule.

— Que se passe-t-il ? demanda la Samborren d’une voie endormie.

— C’est le matin, il faut se lever.

Nëjya souleva la tête. Elle jeta un coup d’œil circulaire sur le lit, semblant découvrir les deux autres femmes allongées près d’elle. Avec Dovaren, elles avaient recherché le contact de Deirane qui disparaissait presque complètement entre leurs deux corps. Elle réveilla à son tour la petite Yriani, elle aimait bien paresser quand elle pouvait, mais cela restait rare. Sa jeunesse à la ferme l’avait habituée à se lever tôt. Toutefois, elle n’avait pas envie de quitter le coin douillet que lui ménageaient les deux concubines. Elle vit Dursun et lui adressa un sourire triste.

— Bonjour, lui dit-elle simplement.

— Bonjour ? On ne dirait pas si j’en juge ta tête.

Deirane détourna le regard.

— Qu’est-il arrivé hier soir, vous auriez dû vous retrouver loin d’ici et je vous découvre endormies comme s’il ne s’était rien passé.

— Ça ne s’est pas déroulé comme prévu.

— Raconte-moi.

Et Deirane relata toute l’histoire, depuis leur sortie dans les jardins jusqu’à leur retour à la chambre. Pendant son récit, Dovaren s’était réveillée. Elle avait l’air la plus abattue des trois. Ça se comprenait, avoir approché si près de la liberté.

— Ce n’est pas de chance, conclut Dursun.

— Que va-t-on faire, maintenant ? demanda Deirane.

— Comme d’habitude. On va se présenter en cours, faire comme si rien ne s’était passé. Ils vont certainement nous surveiller. Et toi Dovaren, tu vas devoir trouver une explication à ta présence hier soir dans les jardins.

— J’ai parfaitement le droit de m’y promener à tout moment, protesta cette dernière.

— Une Naytaine, nue, à l’extérieur.

L’objection était recevable. Jamais une femme de son peuple ne se comporterait ainsi dans son pays. Pas si elle ne voulait pas mourir prématurément empoisonnée par les poussières de feu.

— En attendant, puisque tu es déjà nue, tu devrais aller te préparer.

— Tu as raison.

La beauté noire se leva et quitta la chambre. Son départ laissa un côté de Deirane exposé au froid. Elle la regretta.

Dursun se mit à marcher de long en large. Ses amies la regardèrent un instant. Elles savaient qu’elle se comportait ainsi quand elle réfléchissait. Mais Deirane trouva rapidement cela agaçant. L’adolescente s’immobilisa soudain.

— Je suis assez pessimiste pour cette histoire, dit-elle.

— Pourquoi ? demanda Deirane.

— N’estimes-tu pas étrange la présence des gardes dans les jardins hier soir ? Ils n’ont jamais mis les pieds dans le harem depuis que j’y suis. Nëjya ?

— Je suis arrivée un an avant vous, ils ne sont jamais entrés non plus.

— Tu vois ce que je veux dire. Ils changent leurs habitudes juste le jour où les frères de Dovaren viennent vous chercher.

— Tu penses qu’ils savaient ? demanda Deirane.

— En fait, j’en suis sûre, il est évident qu’ils savaient.

— Mais comment ?

— J’envisage au moins trois solutions.

Elle énuméra sur ses doigts tout en les énonçant.

— Ça peut être la faute à pas de chance. Ils ont été surpris pendant leurs préparatifs.

— Tu n’y crois pas.

— Pas trop. Mais c’est possible.

— Et puis.

— La fuite viendrait de nous. Soit on a été espionnées. Soit on a été trahies.

— Trahies, mais par qui ?

Dursun leva les bras en signe d’ignorance.

— Ton idée ne colle pas, remarqua Nëjya, s’ils étaient au courant, pourquoi ne les ont-ils pas attendus à l’extérieur du harem ?

— Exactement, pourquoi ne les ont-ils pas attendus à l’extérieur ? énonça-t-elle d’un air didactique.

Le silence de Deirane l’incita à tourner la tête vers elle. La petite femme semblait déprimée.

— Oh ! fit la Samborren, vous pensez qu’ils les y attendaient aussi ?

— Ça serait logique, répondit Deirane, la garnison de la ville compte assez de gardes pour surveiller les deux côtés du mur.

— Et à cette heure-ci, les frères de Dovaren sont soit morts soit prisonniers.

— C’est pour ça que tu l’as éloignée avant de nous faire part de ton idée.

Dursun hocha la tête.

— Quand elle le saura, elle risque de mal le prendre, remarqua Deirane.

— Comment l’apprendrait-elle ? Qui le lui raconterait ? Nous ? Le roi ? Les gardes ? On ne nous racontera jamais ce qui s’est passé et elle ignorera à jamais ce que sont devenus ses frères. Si personne ne lui dit rien, elle pourra croire qu’ils ont pu s’enfuir et qu’ils se trouvent en sécurité chez eux pour préparer un nouveau coup.

— Tu as raison, on ne doit rien lui dire. Si elle pensait sa famille sur le point de mourir, je ne sais pas si elle pourrait s’en remettre.

— Hey ! s’écria Nëjya. Ce n’est qu’une hypothèse, ils ne sont pas encore morts.

Dursun baissa les yeux, comme prise en faute.

— Tu as certainement raison, céda-t-elle.

— Pas certainement ! j’ai raison ! Deirane, tu veux bien sortir, je dois faire comprendre quelque chose à Dursun et je préférerais que cela se fasse discrètement.

— Bien sûr.

Elle se leva, ramassa ses affaires de toilettes que Loumäi avait préparées sur la table et quitta la pièce. Avant de refermer la porte, elle put voir que Dursun avait laissé glisser la serviette qui l’enveloppait et qu’elle était en train de s’accroupir sur le lit au-dessus de la Samborren. Une attitude bien mature qui contrastait avec son visage qui gardait encore trace des rondeurs enfantines. En voilà deux au moins qui trouveraient du réconfort.

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