Chapitre 24 : L'affrontement

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Jevin s’engouffra dans les appartements d’Orellide en coup de vent. Il avait tambouriné un long moment à la porte avant que celle-ci s’ouvrît. Les concubines, intriguées, avaient jeté un bref coup d’œil pour savoir ce qui se passait, pour retourner se barricader affolées dans leur chambre. Quand il disparut dans la suite de la reine, tout le monde fut rassuré.

Orellide, brutalement réveillée, n’avait qu’eu le temps de revêtir un peignoir de soie sur son déshabillé. Quand elle vit qui s’était introduit en force chez elle, elle éprouva un profond déplaisir.

— Que me vaut ta présence écœurante ? demanda-t-elle.

— Où est Nëjya ? cria-t-il, elle m’appartient.

— Calme-toi !

— Si je veux. Où as-tu caché Nëjya ?

— Bon. Mets-le dehors, ordonna-t-elle à son garde en repartant vers sa chambre.

L’eunuque sortit son arme de son fourreau : un poignard métallique, à la lame légèrement recourbée et au tranchant effilé. Jevin, qui connaissait la réputation de cet homme, se retint. Malgré son âge, il n’était pas sûr d’avoir le dessus en cas d’affrontement. Quand il était enfant, il lui avait donné quelques raclées dont son postérieur se souvenait encore.

— C’est bon, dit-il, je suis calmé.

— Parfait.

Elle revint face à l’intrus.

— Je supporte ta présence uniquement parce que tu es le demi-frère de mon fils et que jusqu’à présent tu l’as efficacement protégé. Mais ne pousse pas ma patience à bout.

— Brun m’a dit que tu détenais Nëjya. Elle est à moi.

— Cette petite intrigante s’est montrée insolente avec moi. J’ai dû sévir.

— De quel droit ? Elle m’appartient. Je me charge de punir moi-même mes esclaves.

— Comment ? En les battant et les violant ?

— Je ne l’ai pas violée.

Un sourire ironique se dessina sur les lèvres de l’ancienne reine.

— Elle t’a échappé ! Un grand gaillard comme toi n’a pas réussi à forcer une femme aussi menue qu’elle. La réputation du Sambor n’est pas usurpée. Rien que pour cet exploit, j’ai presque envie de la libérer de sa sanction.

— Alors, fais-le.

— Presque envie. Elle vit au harem. C’est moi qui commande. Si j’ai décidé qu’elle devait être punie, elle l’est. Si Larein n’avait pas eu l’intention de lui faire la peau, j’en donnerais l’ordre immédiatement. Mais je ne veux pas d’une guerre entre concubines. Maintenant, si cela ne te convient pas, tu peux la sortir d’ici. Tu as seulement à louer une maison où la loger et engager des gardes pour l’empêcher de s’enfuir ainsi que le domestique auquel elle est habituée.

Jevin montra les dents à la vieille femme. Elle savait bien qu’il ne pouvait se permettre une telle dépense. Même s’il avait accès au trésor royal, Brun n’accepterait jamais de payer l’entretien d’une concubine en ville. Et son pécule n’y suffirait pas.

— Tu n’as pas le droit de disposer de mon esclave quand je suis là.

— Alors, assure-toi qu’elle est bien éduquée. La prochaine fois qu’elle me redira ce qu’elle m’a dit, je la ferai fouetter. La prochaine fois qu’elle recommencera ce qu’elle a infligé à Larein, je l’enferme dans un cachot sans nourriture. D’ici à ce qu’elle revienne, sers-toi de ta main droite. Ou va te payer une pute en ville. Des nouvelles sont arrivées en ville. Brun a pu reconstituer une partie du cheptel.

Jevin serrait les poings d’exaspération. Mais il ne pouvait frapper la vieille femme. Son domestique ne le laisserait pas faire. Et Brun ne tolérerait jamais cela. D’ailleurs, sa tranquillité montrait bien qu’elle se savait en sécurité, malgré la colère de son interlocuteur.

— Ça ne va pas se passer comme ça, lâcha-t-il.

— Ça se passe exactement comme ça, remarqua-t-elle ironiquement.

Jevin leva la main pour frapper la vieille femme. Le couteau glissa de quelques doigts hors de son fourreau. Le poing se rabaissa lentement.

— Nous nous reverrons, la menaça-t-il.

— Le plus tard possible, répondit Orellide.

Il quitta l’appartement.

Dans le couloir, il commença à diriger ses pas vers la sortie du harem. Il éprouva un moment d’hésitation, la main sur la poignée. Puis il prit sa décision et se tourna vers le quartier des novices.

Les cris tirèrent Deirane de son sommeil. Des hurlements de panique. Les événements de la journée l’avaient bien perturbée si elle faisait de tels rêves. Elle se redressa dans son lit. Et les cris continuaient. Ils étaient bien réels. Quelque chose terrorisait une jeune femme. Elle se leva, prenant la première robe de chambre qu’elle trouva dans le placard. Loumäi aussi s’était réveillée. Elle se préparait à la suivre.

— Reste ici, lui ordonna Deirane.

— C’est peut-être dangereux, remarqua-t-elle.

— C’est pour ça que je ne veux pas que tu m’accompagnes.

Une fois dans le couloir, elle repéra rapidement l’origine des cris. Ils provenaient de la chambre d’Elya. Elle entendit aussi une voix d’homme, plus grave, plus sourde. Elle s’y précipita.

Dovaren la rejoignit devant la porte.

— C’est pas un peu dangereux, tu risques de prendre un mauvais coup.

— Douloureux, tout au plus.

— C’est vrai.

Elle entra.

Dans la pièce, elle vit Elya. Elle s’était réfugiée dans un coin de la chambre, les bras croisés sur son corps dénudé tentant en vain de se protéger. Elle hurlait de terreur. Jevin se tenait face à elle, les lambeaux d’un pyjama d’enfant dans la main. Tout à son occupation, il n’entendit pas Deirane entrer.

— Ça suffit ! ordonna-t-elle. Laisse-la et sors d’ici !

Il remarqua alors sa présence.

— Ne te mêle pas de ça, répondit-il.

— Elle a quatre ans, espèce de pervers.

Elle attrapa la main de l’homme pour le tirer hors de la chambre. Il se retourna et la gifla, la projetant sur le lit. Elle vit que Dovaren et Dursun étaient entrées à sa suite.

— Ne vous approchez pas, ordonna-t-elle. Il ne peut rien me faire. Mais à vous, si.

Elle se releva et rejoignit Jevin.

— Maintenant, sors d’ici ! Tout de suite !

— Fous le camp. Il ne fallait pas me retirer mon esclave.

Cela signifiait-il qu’Orellide avait tenu sa promesse et avait réussi à mettre Nëjya à l’abri ? Elle n’avait pas dû prévoir cette réaction.

— Si Nëjya est partie, tu es le seul responsable. Mais tu pourrais encore subir pire.

— Quoi donc ?

— Brun a donné sa parole qu’il n’arriverait rien à cette fille. Veux-tu le placer en situation de ne pas la respecter ?

Le fou furieux hésita.

— C’est mon frère, il ne fera rien contre moi.

— Serais-tu prêt à parier ton avenir là-dessus ? C’est le roi et il ne doit perdre la face sous aucun prétexte sinon son trône est en danger. Je ne pense pas que son amour pour toi aille jusque-là.

Il ne voulait pas le reconnaître, mais elle avait raison. Il pouvait mettre Brun en colère sans trop de conséquences. Mais saper son pouvoir pouvait s’avérer dangereux.

— Je m’occuperai de toi un jour, la menaça-t-il.

Puis il quitta la pièce. Deirane était surprise que ça ait si bien marché. Elle ne pensait pas qu’elle avait assez d’autorité pour stopper un fou furieux en pleine crise. Elle se retourna pour le suivre des yeux et remarqua alors les deux gardes du harem qui étaient entrés pendant leur altercation. Autant pour son pouvoir. C’était plutôt la menace des sabres bien affûtés qui l’avaient calmé.

Dursun se précipita vers Elya pour l’aider à se relever. Elle guida la fillette en larme vers son lit.

— Prends-la avec toi cette nuit, lui conseilla Deirane, et enfile-lui quelque chose sur le dos.

L’Aclanli hocha la tête d’acceptation. La jeune femme sentit que quelqu’un l’empoignait par les épaules pour la forcer à se retourner, sans violence. Elle se laissa faire. Elle se retrouva face à Dovaren qui la regarda dans les yeux un moment avant de l’enlacer.

— C’est la première fois que je décèle la colère contenue en toi, dit-elle.

Il était vrai que jusqu’à présent, Deirane s’était montrée calme, presque effacée. Ses rares actes de rébellion n’avaient jamais été très violents. Personne ne se doutait qu’elle pouvait devenir aussi furieuse.

— Je n’avais encore jamais eu de raison de l’exprimer, répondit Deirane.

Avant de sortir, guidée par Dursun, Elya lança un regard éperdu de reconnaissance vers la jeune femme. Elle venait de se faire une amie pour la vie. Elle espérait juste que cette vie ne se terminerait pas d’ici quelques jours.

Elle vit alors Orellide qui s’infiltrait entre les deux gardes pour entrer dans la pièce. Elle ne dit rien, mais le signe qu’elle envoya à Deirane montrait qu’elle était satisfaite. Pas heureuse, ni fière, satisfaite. Ce qui devait être accompli l’avait été.

— Il faudra le neutraliser, remarqua simplement Deirane, sinon il recommencera.

— Demain matin, j’en parle au roi, répondit Orellide.

Deirane lui retourna le même sourire que la reine mère lui avait adressé en entrant. Puis elle sortit rejoindre ses amies.

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