Chapitre 13 : Les leçons du harem (2/2)

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La reine logeait dans une suite. La pièce où elles étaient entrées était un couloir qui la traversait dans toute sa longueur. L’eunuque les invita à les suivre. Orellide les attendait dans un salon luxueux qui donnait sur une terrasse surplombant la mer. Elle était nonchalamment allongée sur un divan couvert de soie écrue. Le luxe de l’endroit dépassait l’imagination de la jeune Yriani.

— Les personnes que vous attendiez, Votre Seigneurie Très Lumineuse, les introduisit l’eunuque en s’inclinant pour saluer sa maîtresse.

— Merci Pers. Tu peux disposer.

D’un geste de la main, elle congédia son garde. Mais Deirane était sûre qu’il n’était pas allé loin, prêt à intervenir en cas de menace envers la vieille femme.

— Alors tu es donc Serlen, commença Orellide.

— C’est le nom que l’on me donne.

Mais au lieu de répondre, la reine mère croisa les bras et attendit. Deirane ne comprenait pas ce qui se passait. Comme elle ne faisait rien, Orellide glissa une main dans sa poche. À la grande horreur de la jeune Yriani, elle en ressortit une matraque électrique. Son corps se couvrit de sueur. Elle se souvenait des souffrances que lui avait infligées cette arme autrefois. Elle se souvenait de son corps qui ne lui obéissait plus, des humiliations qui en résultaient. Et plus que tout, le plaisir que semblait prendre son tortionnaire, Biluan, à les lui administrer. Il trouvait le moindre prétexte pour la punir. La haine qu’elle éprouvait pour cet homme ne s’était pas atténuée. Mais la peur qui lui serrait les entrailles la surpassait.

— Je suis bien Serlen, prononça Deirane d’une voix blanche.

Mais ce n’était de toute évidence pas ce qu’attendait la reine mère. Dovaren intervint alors.

— Je vous prie de l’excuser, Votre Seigneurie Très Lumineuse. Elle est arrivée après les cours de protocole. Elle ne sait pas ce qu’il faut faire quand un roturier rencontre un noble.

Cette réponse sembla la satisfaire.

— J’en parlerai à Chenlow, nous y remédierons. Puis elle s’adressa à Deirane. As-tu compris où tu as fauté ?

— Oui Votre Seigneurie Très Lumineuse.

Le sourire qui éclaira le visage flétri pouvait passer pour un accord.

— Qui es-tu ? demanda-t-elle à Dovaren.

— Je m’appelle Dovaren, Votre Seigneurie…

— Je te cherchais aussi, l’interrompit la reine. Et je suppose que cette jeune personne aux yeux étranges et au teint jaune est Dursun.

— C’est bien moi, Votre Seigneurie Très Lumineuse.

— Êtes-vous toutes comme ça en Aclan, ou es-tu spéciale ?

— Je ne suis pas différente des autres femmes de mon peuple, Votre Seigneurie Très Lumineuse.

Orellide se redressa pour s’asseoir correctement.

— Bien, je vois que tu connais le protocole contrairement à cet oiseau exotique. Ma chère Serlen, nous allons mettre une chose au point. Quand nous serons en public, vous devrez appliquer le protocole à la lettre. En privé, nous allons le simplifier, sinon la communication risque d’être lourde. J’accepterai, lorsque vous êtes ensemble que vous vous contentiez de « Votre Seigneurie » ou « dame Orellide ». Seule, je vous permettrais peut-être, si nous devenons amies, de m’appeler par mon prénom. Cela ne s’est produit qu’une fois en trente ans. Mais en public, ça sera toujours « Votre Seigneurie Très Lumineuse ». Et je veux entendre les majuscules dans votre voix. Compris ?

— J’ai compris, Votre Seigneurie Très Lumineuse, répondit Deirane.

— Bien. Peut-être survivras-tu quelque temps dans ce cloaque.

Inconsciemment, Deirane enregistra un fait. Orellide n’était pas plus satisfaite qu’elle de vivre dans ce harem. Et pourtant, elle dirigeait tout ici.

— Est-il impertinent de poser une question à Sa Seigneurie Très Lumineuse ? demanda Dovaren.

— Absolument pas, répondit la reine, exprime ta demande.

— Pourquoi nous avez-vous convoquées ?

— J’y venais justement. À partir de demain, vous viendrez chez moi toutes les trois après le troisième repas, trois calsihons après le septième monsihon. Vos cours de cette période à l’école du harem sont maintenant annulés, vous ne suivrez que ceux du matin. Serlen viendra les premiers, quatrièmes et septièmes jours de la semaine, Dovaren les deuxièmes, cinquièmes et huitièmes jours et Dursun les troisièmes sixième et neuvième. Quand vous ne serez pas avec moi, vous irez voir Chenlow, sauf Dursun qui en est dispensée. Les trois premiers jours de la semaine, vous viendrez toutes les trois avec moi.

Cette nouvelle consterna Deirane. Cette activité se situait pendant ses cours d’Usfilevi. Elle espérait pouvoir les décaler.

— Votre Seigneurie pourrait-elle nous dire la raison de ces rendez-vous ? demanda Deirane.

— Et pourquoi suis-je dispensée de rendez-vous avec Chenlow, Votre Seigneurie Très Lumineuse ? ajouta Dursun.

— Toi, c’est évident, répondit Orellide, tu es vierge, contrairement à ces deux-là. Quant à pourquoi vous êtes là, devant moi, c’est pour vous former.

— Nous former à quoi ? demanda Deirane.

— Sommes-nous seules toutes les deux pour que tu te permettes des familiarités ?

— Je prie Sa Seigneurie de m’excuser. Je n’ai pas l’habitude de m’adresser aux personnes importantes de ce monde.

— Que mon chat ne se montre pas capable d’apprendre le protocole est pardonnable. Il ne dispose que d’un petit cerveau. Mais ce n’est pas ton cas. Alors je te conseille de t’habituer vite.

De toute évidence, Orellide était de celle qui estimait que les châtiments constituaient le meilleur moyen d’obtenir un résultat.

— Pour répondre à la question de cette Naytaine, vous êtes ici pour que je fasse de vous de futures maîtresses du roi.

Cette nouvelle atterra Deirane. Un moment, elle songea qu’elle aurait préféré encore subir la brûlure de la matraque. Ses premiers douzains dans le harem – jusqu’à la mort de Gyvan en tout cas – ressemblaient tant à une colonie de vacances qu’elle avait oubliée la raison pour laquelle on l’avait enlevée et conduite ici.

— Je me permets de demander à Votre Seigneurie, ce que vous allez nous apprendre et ce que Chenlow doit nous apporter.

— Une de vos tâches sera de donner du plaisir au roi au lit. Chenlow se chargera de la formation pratique. Il vous enseignera les meilleurs moyens de donner du plaisir à un homme. Il vous montrera, mais vous devrez vous débrouiller toutes seules pour expérimenter. Je vous conseille de vous trouver un eunuque pour vous entraîner discrètement. Et toi, étrange femme au teint jaune, tu en es dispensée parce que tu es vierge. Brun se chargera personnellement de ton éducation. Tu ne recevras donc que la formation théorique avec moi. Bien que je te conseille de t’exercer sur tes amies pour ne pas le décevoir quand ton tour viendra.

À l’annonce du futur sort qui l’attendait, Dursun jeta un regard de panique à ses compagnes.

— Et Votre Seigneurie, en quoi consistent les cours théoriques ? continua Dovaren.

— Je vais vous apprendre à vous habiller, vous maquiller. Je vais vous instruire dans l’art de la séduction. Je vais vous enseigner tout ce que vous aurez à savoir en fonction des amants que vous aurez.

— Des amants ?

— Brun est votre maître, vous devez vous habituer à ça. Vous devrez honorer toute personne qu’il vous désignera. Cela pourra être un diplomate en visite, un ami, un subordonné qu’il veut récompenser. Toi Serlen, avec ton côté unique, tu vas certainement connaître très intimement la moitié des ambassadeurs de ce monde. Il pourra aussi vous donner à un autre homme, ou une femme et se contenter de regarder.

Deirane et Dovaren échangèrent un regard. Les deux femmes constatèrent qu’elles étaient aussi atterrées l’une que l’autre. En fait, à l’annonce de la vie qui l’attendait, la jeune Yriani était au bord des larmes. Fébrilement, Dovaren prit la main de la jeune femme et la serra presque à lui faire mal.

— Une de mes tâches est de trouver quelqu’un à même de me succéder. Pour le moment, les concubines qui vous ont précédé ont déçu mes espoirs. Bien peu sont à la hauteur. Mericia aurait pu. Elle est intelligente, mais elle s’estime trop à mon goût. Larein est trop perverse et Lætitia trop passive. La seule qui aurait convenu était cette Samborren, Nëjya. Malheureusement, elle n’appartient pas à Brun, mais à son demi-frère.

La façon dont elle avait craché ces deux derniers mots, tout en insistant sur le demi, comme pour se dégager tout lien avec lui, exprimait la profondeur de la haine qu’elle éprouvait pour cet homme.

— Mais même s’il disparaissait maintenant, il a réussi à la briser. Elle ne peut plus convenir. C’est sur vos épaules que repose donc l’avenir de l’Orvbel. L’une de vous trois deviendra très certainement reine d’Orvbel et portera l’héritier du trône. Ne me décevez pas.

— Est-il possible de requérir Sa Seigneurie sur quoi les autres concubines l’ont déçue ? demanda Dovaren.

— Bien sûr. Ce sont des égoïstes, imbues d’elle-même. Elles ne pensent qu’à elles sans chercher à s’améliorer. Elles ne comptent que sur leur réseau pour progresser ou se mettent à la traîne d’une plus populaire qu’elle pour bénéficier de sa protection. Seule cette Nëjya a essayé de s’améliorer en augmentant ses connaissances. Et je sais de source sûre que si on s’en prend à vous, vous n’aurez pas besoin de vous réfugier dans les jupes d’un eunuque pour vous défendre.

— Vous… commença Dovaren.

— Votre entraînement au fond du jardin, l’interrompit la vieille femme. Bien sûr que je suis au courant. Et j’approuve.

— Et je suppose que nous n’aurons pas le droit de porter d’armes face à notre roi, Votre Seigneurie Très Lumineuse.

— Et vous supposez mal. Quand un roi meurt sans héritier, ce qui est actuellement le cas de mon fils, son successeur élimine tout danger potentiel. Il commence par exécuter tous ses fidèles. Son harem passe parmi les premiers. Je pense que ceci devrait vous motiver à faire en sorte qu’il reste en vie.

— Mais nous n’avons pas d’armes. Et ne disposons d’aucun entraînement avec.

— Et c’est tant mieux. Face à un assassin professionnel, vous n’auriez aucune chance. Alors que s’il vous croit inoffensives, vous pourrez le surprendre.

Elle chassa ses paroles d’un geste négligent de la main.

— Pour les détails, vous verrez avec Chenlow. Il vous attribuera un maître pour achever votre entraînement, ainsi qu’un lieu discret.

— Sa Seigneurie veut dire que l’on continue à s’entraîner ? demanda Deirane.

— Tu n’as pas compris mes explications, répliqua Orellide. Peux-tu me dire en quoi elles te paraissent obscures ?

— En rien, Votre Seigneurie Très Lumineuse.

— Bien, la séance d’aujourd’hui est terminée. Vous pouvez disposer.

Elle congédia les trois jeunes femmes. L’eunuque qui assurait sa protection surgit aussitôt, preuve qu’il écoutait tout ce qui se disait dans la salle. Il les reconduisit jusqu’à la porte de l’appartement. En suivant leur guide, Deirane examinait les lieux d’un œil neuf. Un jour, selon Orellide, l’une d’elles trois y logerait. Elle se demanda d’ici combien de temps la reine mère laisserait son rôle à Dovaren. Parce que d’elles trois, malgré sa profession de foi au bord de la piscine, seule la belle Naytaine possédait le caractère pour décrocher un tel honneur.

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