Chapitre 10 : Le prince bâtard

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Le groupe de cavaliers sortit de la forêt, au nord de la ville. Une escouade de Sangärens escortait cinq humains. Derrière eux, une dizaine de personnes, des esclaves certainement, les suivaient, attachés les uns aux autres par une corde bien épaisse. Les sabots claquaient sur les pavés des rues comme un avertissement. Les badauds s’écartaient de leur passage sans protester. Les farouches guerriers étaient connus pour leur agressivité.

Ils atteignirent la grande place au centre de la ville, bordée à l’est par le palais royal et à l’ouest par la bourse aux esclaves. Le groupe se scinda alors en deux. Quelques nomades escortèrent les prisonniers vers la bourse. Mais le gros de la troupe se dirigea vers le palais.

Au pied des marches, les cinq étrangers démontèrent.

— Tu as promis une bonne récompense, rappela le chef sangären.

— Tu recevras ce que tu as mérité, répondit Jevin.

— Fais attention ! Si tu ne tiens pas ta parole, je saurais te retrouver.

— Le paiement arrive. Attends ici.

Jevin grimpa lestement l’escalier et entra dans le palais. Au passage, le garde le salua d’un :

— Soyez le bienvenu, seigneur.

Jevin lui rendit son salut. Mais son escorte resta bloquée.

— Ils m’accompagnent, dit-il.

Les hallebardes s’écartèrent, livrant le passage aux survivants de l’ancienne bande de hors-la-loi. À l’intérieur, un intendant faisait le pied de grue.

— Bienvenue, seigneur Jevin.

— Salut Poltek,

— Mon seigneur a fait bon voyage.

— J’ai connu pire. Dehors il y a huit Sangärens et quatre autres à la bourse avec dix esclaves. Ils m’ont escorté jusqu’ici. Ils connaissent mon identité.

— C’est entendu. Nous allons nous occuper d’eux comme il se doit.

— Bien, Brun est-il là ?

— Le seigneur lumineux travaille dans son cabinet.

— J’irai le voir tout à l’heure. Dans l’immédiat, je veux une bonne douche et un bon repas. Ces sauvages ne se nourrissent que de viande séchée.

— Les ordres ont été donnés de faire chauffer l’eau dès votre arrivée en ville. Dois-je convoquer votre esclave ?

— Pour le moment non. Mais plus tard quand j’aurai parlé à Brun. La petite Samborren que j’avais repérée la dernière fois est-elle disponible ?

— Brun a donné des ordres. Elle vous appartient maintenant.

— Excellente nouvelle.

Jevin s’engagea dans le couloir qui conduisait dans ses appartements privés, commodément situés à proximité du harem dans l’un des étages libres entre ceux d’Orellide et de Brun. Des gardes escortèrent ses compagnons vers leurs chambres dans la zone réservée aux invités.

Un monsihon plus tard, lavé, nourri, habillé de neuf, Jevin se rendit au cabinet de travail du roi Brun. Une personne l’ayant vu en baroudeur sur les routes de l’Ectrasyc ne l’aurait pas reconnu, ainsi vêtu d’une robe de soie anthracite brodée de motifs en or.

Il frappa à la porte et entra sans attendre son autorisation. Il découvrit le roi en train d’étudier des dossiers avec son ministre.

— Salut, Brun, le salua-t-il.

Pour Dayan, il se contenta d’un simple hochement de tête.

— Jevin, s’écria Brun avec joie, je t’attendais avec impatience.

— Bienvenue à vous, seigneur Jevin, fils de Brun, le salua Dayan avec plus de retenue.

— Pourquoi as-tu mis si longtemps pour rentrer ? Ça fait des mois que je n’ai pas de nouvelles.

— J’ai croisé un imprévu.

Les deux hommes s’échangèrent une accolade, comme deux amis qui se retrouvent après une longue séparation. Ou comme deux frères.

— Alors, dis-moi. Elle a crié quand tu l’as tuée ? Elle a supplié ?

Jevin s’installa confortablement, une jambe nonchalamment passée par-dessus un bras du fauteuil.

— Pour gueuler, elle a gueulé, répondit-il, mais je n’y suis pour rien.

— Qui alors ?

— Le grand inquisiteur de Nayt.

— Encore mieux. Raconte.

Le frère aîné du roi chercha bien ses mots avant de continuer.

— En fait, votre plan a marché à la perfection. Nous avons semé des indices discrets vers Karghezo et d’autres plus évidents vers la Nayt. Comme prévu, elle a décelé les premiers et les a suivis. Elle a mis quatre jours pour comprendre que ces indices étaient faux.

— Si on considère qu’il en faut deux pour rejoindre Karghezo, c’est rapide, remarqua Dayan.

— Elle est douée, continua Jevin, mais je l’ai un peu aidée. Un de mes hommes, joli garçon, a lutiné la fille d’un aubergiste avant que nous quittions la ville. Puis, il s’est largement montré après l’opération. Elle n’a pas tardé à le trouver. Quand elle a su qu’il était revenu seul, elle a compris qu’elle s’était fait balader.

— Elle a alors suivi la piste évidente, en conclut Brun.

— Piste qu’elle avait d’abord rejetée, parce trop évidente justement. À partir de là, elle ne s’est trompée nulle part, jusqu’au carrefour où la route des fermes rejoint la Grande Route du Sud.

— L’endroit où on devait lui tendre une embuscade, constata Dayan. Qui a échoué, je suppose ?

— J’ignore ce qui s’est passé, j’ai chevauché à bride abattue pour la devancer et rattraper ma troupe. Mon arbalétrier était bien là, mais il était mort. Poignardé dans le dos par un vulgaire coupeur de bourse.

— Ce n’est pas de chance, remarqua Brun.

— C’était un bon combattant. Les deux autres embuscades aussi ont échoué, mais je n’ai aucune nouvelle de ceux qui les tendaient.

— Ce serpent a une veine incroyable, constata Dayan.

— Plus que tu l’imagines. Mais la petite esclave que tu m’as fait parvenir était parfaite. Saalyn est tombée dans le panneau. Elle a suivi la piste jusqu’au bout. On l’aurait menée jusqu’à Lynn si on avait voulu. En revanche, elle est allée moins vite que prévu. Elle a dû être retardée en route. J’ignore ce qui lui est arrivé, mais son disciple était sérieusement brûlé aux mains en arrivant à Massil.

— Brûlé ? s’étonna Dayan.

— Un bracelet de cloques autour des poignets. Saalyn aussi, mais c’était moins grave, de légères rougeurs au visage, comme si elle avait pris un coup de soleil. Sauf que les stoltzt ne prennent pas de coup de soleil.

Dayan marcha de long en large dans la pièce en réfléchissant.

— Pourquoi un gems s’est-il intéressé à Saalyn ? remarqua-t-il.

— Aucune importance, elle est morte, répondit Brun.

— En fait, pas exactement, précisa Jevin.

— Comment ça ? Comment peut-on être « pas exactement » mort ?

— Nous étions douze, elle allait avec deux compagnons. Plus un bébé. Nous leur sommes tombés dessus en pleine nuit. Nous comptions sur l’engourdissement dû au froid de la nuit pour la vaincre sans perte de notre côté. Nous étions sur le point de réussir, quand une troupe de mercenaires nous a déboulé en plein combat. Ils étaient plus nombreux et mieux armés. Nous n’avons pas pu résister.

— Mais tu m’avais dit qu’elle avait gueulé en mourant.

— Pas en mourant, en prenant son pied. Son compagnon était un baiseur de compète.

— Je vois, dit Brun d’un air maussade. Elle vit toujours. Et après ?

— Les mercenaires nous ont livrés à l’inquisition. Elle nous a jugés et condamnés aux travaux forcés. Pendant le transfert, une bande de Sangärens nous a délivrés et me voilà.

— Condamné, mais pourquoi ? demanda Dayan.

— Parce que le second compagnon de Saalyn n’était autre que le grand inquisiteur de Nayt. En l’attaquant, nous avons commis un crime.

— L’inquisition naytaine protégeait Saalyn ?

Jevin hocha la tête.

— Je les ai entendus discuter d’un service que l’archiprêtre de la Nayt devait aux pentarques.

Dayan examina les révélations de Jevin. Comme à son habitude, il se caressait la barbe. Jevin remarqua quelques poils gris qui la parsemaient. Dayan était vieux, il conseillait déjà le précédent roi Brun, quatrième du nom.

— Cela implique une alliance entre l’Helaria et la Nayt, voilà qui pourrait poser un problème.

— Pas forcement, opposa Brun, tout au plus une certaine sympathie entre leurs dirigeants.

— L’ancien archiprêtre était farouchement anti-helariasen. Ce n’est plus le cas.

— Il était anti-stoltzt. Mais aujourd’hui, les stoltzt représentent à peine un tiers d’une population de six cent mille individus. En fait, on devrait plutôt parler d’un mixte stoltz/edorian avec des minorités humaines, gems, naines et drow.

— Ce n’est de toute façon pas bon.

Brun s’assit derrière son bureau. Il s’occupait les doigts avec une brindille qu’il réduisait en miettes, signe de sa nervosité intérieure. Il réfléchissait à voix haute :

— Comment peut-on mettre fin à cette alliance ?

— Une amitié, corrigea Jevin.

— Qu’importe.

— Je vais me pencher sur la question, répondit Dayan.

— Et pour Saalyn, que faisons-nous ? Elle est loin d’être une imbécile. Un jour on va la voir débarquer ici pour récupérer son amie.

— Je dirais que cela ne présente pas de caractère de gravité, répondit Dayan. Deirane n’est pas une Helariasen. Jamais l’Helaria ne la suivra dans une opération qui pourrait leur coûter cher. Si elle vient, elle sera seule, ou peut-être accompagnée de quelques fidèles.

Les yeux de Brun pétillèrent.

— On pourrait la rendre aux Helariaseny aux sus de tout le monde, proposa-t-il. Cela pourrait mettre les pentarques dans l’embarras même si elle n’a agi qu’en son nom personnel.

— Tu renoncerais à ta vengeance contre ce serpent ? remarqua Jevin.

— Absolument pas. Mais elle ne mourra pas ici. Je me débrouillerai pour l’atteindre pendant une de ses enquêtes, voire sur le territoire de l’Helaria.

— C’est un peu dangereux, intervint Dayan, souvenez-vous de ce qui s’est passé la dernière fois que nous avons effectué une action sur le sol de la Pentarchie. La promesse de l’ambassadeur n’était même pas formulée en termes diplomatiques.

— Un ambassadeur helarieal est venu ici, les interrompit Jevin, c’est une grande première. Qu’a-t-il raconté ?

— Il comptait nous envoyer une légion, répondit Brun.

— L’ambassade était une gems escortée de deux guerriers drows, histoire de nous rappeler que si l’Helaria est pacifique, les meilleurs combattants du monde travaillent pour elle.

— Vous avez l’air de bien vous amuser quand je ne suis pas là.

Il se leva.

— À propos d’amusement, on m’a dit que tu m’avais mis une esclave de côté ?

— Elle s’appelle Nëjya, elle vient du Sambor. Et elle n’aime que les femmes, elle est donc toujours vierge. Tu ne seras pas déçu.

— Docile ?

— Elle vient du Sambor je t’ai dit.

— Je vais devoir la dresser. Voilà qui ouvre des perspectives intéressantes.

Jevin salua Brun. À l’idée de ce qui allait occuper le reste de sa journée, il fut poli même avec Dayan. Il sortit, laissant les deux maîtres du pays régler les problèmes. En sifflotant, il se dirigea vers le harem.

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