Chapitre 8 : Pour une poignée de drirjety - (2/2)

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La maîtresse des lieux s’essuya les mains sur son tablier avant de guider sa cliente à l’étage. La pièce se situait juste en haut de l’escalier. Pas très grande, mais propre. Autrefois, la fenêtre avait été équipée de vitre, mais on avait remplacé plusieurs carreaux par une planchette. La serrure de la porte était cassée, une barre de bois qui ne pouvait être actionnée que de l’intérieur permettait de la bloquer.

— C’est bon, répondit Naim, je la prends.

Elle donna une grosse pièce en os à son hôtesse qui la fit disparaître dans son tablier.

— Je peux changer quelques cels ?

La jeune femme hocha la tête. La Naytaine lui passa une grosse pièce en cuivre d’un cel. L’Elvangorienne la prit. Elle fouilla dans sa poche et en tira divers petits cylindres de roche polie gravés sur une extrémité du symbole de la corporation des marchands. Elle en sélectionna quelques-uns en quartz et en silex qu’elle tendit à sa cliente. Le compte semblait bon. Elle allait sortir quand la Naytaine la retint.

— On dirait que quelque chose a changé en ville, remarqua-t-elle.

— Le khan est mort, répondit la jeune femme.

— Et alors, un ancien disparaît, un nouveau prend sa place, rien ne bouge.

— Là si. Les choses sont différentes avec lui. Il traite les habitants comme ses sujets, pas comme des esclaves.

La façon dont elle dit ça montrait le respect qu’elle éprouvait pour le nouveau maître de la ville. Du respect, pas de la crainte. Cela semblait mal engagé pour que des relations reprissent avec l’Orvbel.

— Comment s’appelle ce khan ?

— Ce n’est pas un khan. C’est un archonte.

Archonte, le terme qui désignait les dirigeants élus des corporations helarieal. Ou les rois de l’État du Fraker, élus également. Un mot qui en disait long sur les méthodes de ce nouveau seigneur. Elle doutait cependant qu’il remît un jour son poste en jeu.

— Et quel est son nom ?

— Je ne sais pas. Je l’appelle l’archonte.

— Il n’a pas donné son nom ?

— Si. Je ne m’en souviens plus.

La réponse était plus que surprenante. Selon Naim, si sa vie avait été changée par un tel libérateur, jamais elle n’aurait oublié son nom. Soit sa tenancière était une vraie tête de linotte, soit il y avait autre chose là-dessous.

La jeune femme quitta la pièce, laissant la Naytaine seule. Elle posa son sac à dos. Puis elle examina l’armoire. Son équipement comprenait un cadenas de conception helarieal. L’ensemble ne résisterait pas à un voleur déterminé, mais il suffirait à ses besoins. Elle y rangea ses affaires, y compris son épée. Mais elle garda sur elle un couteau en bronze au manche en ivoire, très décoratif, que sa formation en Orvbel lui avait appris à rendre mortel avec une efficacité raisonnable. Puis elle quitta la chambre pour faire un tour.

Elle avait remarqué en arrivant que beaucoup de bâtiments étaient en cours de rénovation. Elle découvrit que les défenses de la ville étaient également en travaux. Les remparts étaient déjà en bon état. Mais les tours se préparaient à accueillir des balistes. D’ici quelques mois, une petite troupe serait suffisante pour résister à un siège prolongé. Ce n’était pas le seul changement. Des milices de police patrouillaient dans les rues. Elle soupçonnait qu’elles étaient recrutées parmi la population, ce qui mettait théoriquement cette dernière à l’abri des exactions similaires à celles commises par les hommes de main de Dakan, le précédent khan.

Elle porta ensuite ses pas vers le palais de l’archonte. Elle supposait qu’il avait repris l’ancienne résidence de Dakan, qui lui-même logeait dans celle du comte d’Elvangor. Il était facile à reconnaître. Le pays était originellement peuplé de gems. Quand ils ne dépendaient d’aucun haut gems, ils avaient un comportement assez proche des stoltzt. Cela avait permis à une importante communauté edoriane de s’y installer et Elvangor était uniquement habitée par ces derniers. Mais les dirigeants de la ville restaient gems. Tiens, elle n’avait pas demandé à quel peuple appartenait l’archonte. S’il était de ce peuple, il n’était pas étonnant que les citoyens y aient vu un heureux présage. Du temps où les gems l’administraient, avant que le chaos ait emporté le pays, la ville était prospère. Elle était même la deuxième cité edoriane du monde avec plus de quarante-cinq mille résidants.

Les gardes qui surveillaient les portes du palais n’appartenaient pas à la milice. Ils portaient une cuirasse, un bouclier et leur lance avait droit à une pointe en bronze. En s’approchant, elle constata qu’ils étaient équipés d’un glaive du même métal dans un fourreau passé à la ceinture. Naim avait devant elle des soldats, qui avaient suivi un entraînement militaire. Beaucoup de pays formaient des guerriers. Mais seuls six disposaient de vrais soldats. La pâleur de leur peau excluait la Nayt. N’étant pas stoltz, le Mustul aussi était exclu. Il restait l’Yrian, l’Helaria, ainsi que deux États en Shacand que leur ethnie permettait d’écarter.

En montant les marches, elle constata quelque chose. Leur poignet gauche était marqué d’une bande plus claire. C’était à peine visible, mais quelque chose avait empêché la peau de bronzer. Quelque chose qu’ils avaient retiré depuis assez longtemps pour que le contraste s’atténuât, mais trop récemment pour qu’il disparût. Un bracelet d’identité, ces gardes sortaient des casernes de l’Helaria. Et depuis peu. Elle commençait à comprendre ce qui était arrivé dans cette ville.

Quand elle grimpa les escaliers, les deux gardes croisèrent leur lance. Des hommes de main n’auraient jamais procédé avec un tel décorum. Cela confirmait qu’elle avait affaire à des soldats de métier. Ils barraient le passage, mais n’avaient pas prononcé le moindre mot.

— Je peux entrer ? demanda-t-elle.

— Pour quelle raison ? répondit l’un d’eux.

— Je cherche du travail.

— Tu n’en trouveras pas ici.

— Vous n’allez pas me faire croire que vous n’avez pas besoin de combattants expérimentés.

— Si tu veux t’enrôler, il y a des règles.

— Je suis prête à respecter toutes les règles que vous m’imposerez, si elles sont raisonnables.

— Seuls les adultes originaires de la ville ou dont un parent est originaire de la ville peuvent s’engager. Es-tu dans ce cas ?

La Naytaine ne s’attendait pas à une telle exigence. Elle pouvait difficilement y répondre positivement en restant crédible. Elvangor était une cité edoriane, mais quelques humains y vivaient. Ceux-ci étaient proches du type ethnique yriani alors qu’elle avait la peau sombre comme la nuit et les cheveux crépus.

Tant pis, puisqu’elle ne pouvait pas entrer par la grande porte, elle utiliserait par la petite. Cette nuit, quand il ferait noir, elle tenterait de pénétrer dans ce bâtiment pour en savoir plus.

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