Chapitre 3 : Au sein du harem - (1/2)

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Chenlow tint sa promesse. Le lendemain de sa visite, le gardien vint apporter le plateau-repas du matin comme d’habitude. Mais en repartant, il ne verrouilla pas la porte. Deirane se dépêcha de manger. Elle avait hâte de découvrir son nouveau domaine. Elle ne voulait pas se faire enfermer à nouveau. Aussi se força-t-elle à tout finir, n’en laissant pas une seule miette afin de ne pas s’exposer à des représailles. Cela ne fut pas très dur, le cuisinier connaissait son métier. Elle se demanda s’il était un esclave. Elle n’en était pas sûre, les plats qu’il concoctait étaient trop délicieux pour qu’il les préparât sous la contrainte. Il était peut-être heureux de travailler là comme l’eunuque semblait le suggérer.

Il faisait chaud dehors. Elle enfila une tenue légère constituée d’un pantalon en soie et d’un corsage bouffant. Il lui couvrait suffisamment la poitrine et les hanches pour préserver sa pudeur tout en laissant la taille assez nue pour satisfaire Biluan lui-même. Elle espérait que cela conviendrait à ses geôliers. D’un autre côté, ces vêtements étaient pendus dans son armoire. S’ils avaient voulu qu’elle s’habillât moins, ils ne l’y auraient pas mis.

Sa chambre donnait dans un couloir fermé aux extrémités par deux grands panneaux sculptés dans des bois de teinte différente. De chaque côté, plusieurs portes s’ouvraient sur d’autres pièces. Elle en compta seize, la sienne incluse. Elle trouva cela surprenant, elle croyait le harem de Brun bien plus considérable. Sans compter que seules quatre d’entre elles portaient une inscription en caractères orvbelians, ce qui suggérait que quatre concubines occupaient l’endroit. Elle apprit plus tard que sur l’ensemble, quatre d’entre elles correspondaient aux commodités, toilettes et salles de bains, ce qui ne constituait que douze chambres au total, pas de quoi pavoiser. Les lieux étaient luxueux. Des tapis couvraient le sol, des lustres en cristal pendaient du plafond et quelques banquettes aux coussins rebondis attendaient que quelqu’un s’assît. Cependant, elle ne vit aucun des bibelots, tableaux aux murs ou bas-reliefs que les aèdes ne manquaient pas de décrire quand ils racontaient leurs histoires.

Quand Deirane était arrivée, elle était hystérique. Brun venait de lui annoncer que son fils était peut-être mort et que son amie Saalyn avait été assassinée. Deux gardes qui avaient du mal à la maîtriser tant elle était furieuse l’avaient transportée jusqu’ici. Elle n’avait que de vagues souvenirs de ce moment. Mais il lui semblait être entré par la porte taillée dans un luxueux bois rouge située à sa gauche. Elle décida de commencer ses explorations par le côté opposé.

Elle découvrit une salle de grande taille. Elle était de toute évidence consacrée au repos, comme en témoignait la profusion de banquettes, de divans et de coussins où il devait faire bon de s’allonger. À proximité de chacun, on avait installé une table basse. La jeune femme imaginait facilement une armée de domestique posant là le nécessaire à thé ou des plats remplis de mets délicats. Et de fait, par endroits, des coupes débordaient de fruits. Le centre était occupé par un bassin assez vaste pour y nager. Le côté qui lui faisait face comportait quelques alcôves. Certaines abritaient une banquette confortable et une profusion de coussins aussi grands que des oreillers qui foisonnaient jusque sur le sol. Le satin bleu était brodé aux armes de l’Orvbel en fil doré. D’autres étaient équipées d’une table et de quelques chaises, comme dans une salle d’étude. Là également, le symbole du pays en bois pâle était incrusté dans le plateau sombre. Voilà qui cadrait bien peu avec l’image qu’elle se faisait d’un harem. De grandes fenêtres qui donnaient sur le jardin éclairaient l’endroit, mais elle remarqua sur les colonnes torsadées qui soutenaient le plafond uni, des globes clairs qui lui rappelaient les sphères lumineuses helarieal, mais sans le tuyau d’alimentation en eau sucrée ni la molette de réglage. Aucun tapis ne couvrait le carrelage qui dessinait un motif du même granite rouge des colonnes sur un fond de marbre blanc. Il était poli au point d’en paraître brillant, sauf autour de la piscine, certainement pour éviter de se blesser en glissant.

Cette salle était vide. Mais vu le beau temps qui régnait à l’extérieur, cela n’avait rien d’anormal. Les occupantes habituelles des lieux devaient sans doute se promener dehors ou se dorer au soleil. Elle chercha une sortie, mais n’en trouva aucune. Elle rebroussa chemin pour découvrir sur quoi s’ouvrait l’autre extrémité du couloir. Toutefois, cette absence de porte la gênait. Avec le rôle de la pièce et sa position proche des jardins, elle jugeait logique d’en mettre une. Elle estima qu’elle avait été dissimulée pour des raisons esthétiques et qu’elle ne l’avait pas remarquée. Elle décida de fouiller plus avant de partir.

Elle commença par les alcôves. Elle trouva ce qu’elle cherchait dans celle du milieu, un accès décoré pour se fondre avec la cloison. Elle tourna la poignée. Elle n’était pas verrouillée. Elle entra. Elle se retrouva dans ce qui ne pouvait constituer qu’un sas, une taille minuscule et deux portes. Mais elle échoua dans toutes ses tentatives d’ouvrir la seconde. Elle n’identifia même pas la serrure. Elle se rabattit sur les fenêtres. Par celle à sa droite, elle voyait au second plan les jardins du harem. Mais il était séparé d’un parc situé au premier plan par un haut mur en pierres blanches.

L’autre côté se révéla plus intéressant. Il donnait sur un étroit espace entre les bâtiments. Elle découvrit qu’il existait un peu plus loin une deuxième aile similaire à celle qu’elle habitait. Et en comptant les ouvertures, elle arriva à quatre étages. En levant la tête, elle vérifia qu’il en était de même pour l’endroit qu’elle occupait. Son univers venait brutalement de s’étendre. Le harem se révélait plus grand que sa première estimation.

Elle continua son exploration de la salle de repos. Elle trouva finalement le passage vers les jardins, mais elle se montra incapable de l’ouvrir. Après plusieurs tentatives, elle renonça.

Elle retourna dans le couloir par lequel elle était arrivée et le traversa dans toute sa longueur. Il débouchait sur un hall de taille respectable. À sa droite, elle vit l’entrée, monumentale, du harem, à sa gauche, plusieurs baies vitrées donnant accès à l’extérieur et devant elle, un couloir similaire à celui qu’elle venait de quitter. Tout autour de la pièce, une abondance de petites portes abritait, elle le découvrit plus tard, les différents services disponibles pour les concubines : salon de massage, tailleurs, coiffeurs, et bien d’autres. En levant la tête, elle ne vit pas de plafond. Le toit la laissa sans voix. Il était constitué d’une immense verrière qui permettait au soleil d’entrer à profusion. Elle n’avait jamais vu autant de vitres de sa vie. Les vitraux colorés sur les fenêtres ne représentaient rien d’extraordinaire. Ce médiocre verre teinté, produit principalement en Helaria, ne coûtait pas cher malgré sa beauté. Son père avait pu en équiper toutes les ouvertures de la maison pour une somme modique. Mais ce qu’elle avait sous les yeux était stupéfiant. Le paysan devait économiser pendant deux ans pour acheter les vitres de qualité nécessaires pour les purificateurs d’eau. Sa première estimation lui donna l’équivalent de deux vies de travail. Non, elle s’était trompée, ces vitres étaient plus grandes que celles de sa ferme natale. Trois vies. Elle avait le vertige devant un tel étalage de richesse, elle mit du temps pour s’en arracher et continuer l’examen du reste de la salle.

Elle reporta son attention sur les étages, elle en compta deux, chacun était ceint d’un balcon qui entourait le hall, mais elle ne vit pas d’escalier pour y accéder. Et il y en avait de chaque côté de la pièce. Elle révisa encore son jugement sur la taille du harem. Son village de naissance au complet pouvait largement loger dans ce seul bâtiment.

Du monde bougeait autour d’elle, des femmes principalement. Une douzaine étaient réparties en petits groupes de deux ou trois. La plupart paraissaient plus âgées qu’elle, mais elle en remarqua une au seuil de la puberté. Toutes étaient belles. Leur toilette était variée, certaines étaient très couvertes – ce qui ne les empêchait pas de mettre leurs atouts en valeur –, tandis que d’autres se promenaient quasiment nues. Cela rassura Deirane, elle avait peur de porter une tenue inadaptée, mais apparemment une grande liberté vestimentaire régnait en ce lieu. Elle se demanda si Biluan, lors de son enlèvement, l’avait forcée à s’habiller d’une manière qui mettait sa pudeur à rude épreuve par nécessité ou par perversité. Connaissant le bonhomme, elle penchait pour la deuxième solution, mais elle savait également son avis déformé par la haine qu’elle ressentait pour ce… salopard ?

Elle essaya de voir si un groupe accepterait de l’intégrer, mais elles l’ignorèrent ostensiblement. Tout au plus, une ou deux la détaillèrent. Mais ce n’était pas elle qui les intéressait, c’était son tatouage si particulier. De plus, quand elle tentait de s’approcher, elles se détournaient, lui signifiant clairement qu’elles ne l’accueillaient pas en leur sein. Enfin, l’une d’elles, une des plus belles, à la chevelure flamboyante, avait un air franchement hostile. Malgré cette couleur si unique qu’elle voyait pour la première fois, elle préféra renoncer. D’autant plus que son attitude altière avec les mains sur les hanches et sa poitrine qu’elle bombait n’incitait pas à l’aborder.

Elle n’avait rien à attendre de ce côté-là. Tout en relevant la tête pour admirer le plafond de verre, elle se dirigea vers le jardin. Deux gardes, vêtus d’une tenue identique à celle de Chenlow sans le pendentif à l’effigie du soleil, surveillaient son accès. Ils portaient à la ceinture un sabre court, à la lame bien affûtée. Ils avaient l’air effrayants et Deirane se demanda si elle avait réellement le droit d’aller dehors. Elle ralentit, hésitant à continuer.

Les deux hommes devaient avoir l’habitude de ces atermoiements chez les nouvelles venues, parce que l’un d’eux lui ouvrit la porte pour la laisser passer. Elle se faufila, les remerciant au passage. Aucun mouvement de leur part ne trahit leur intérêt à son encontre.

À l’extérieur, elle se retrouva sur une terrasse assez grande, sur laquelle étaient disposées diverses banquettes. C’est là que se tenaient la plupart des occupantes du harem. Et elles étaient nombreuses. Elle en compta une trentaine, allongées un peu partout autour d’elle. Se trouvaient rassemblées en ce lieu la plupart des ethnies d’Uv Polin. Une bonne part provenait d’Yrian ou de Nayt. Ces dernières l’attiraient particulièrement, il y a peu encore elle ignorait leur existence. Et elle découvrait qu’elles étaient aussi belles que les femmes de son pays. Mais elle aperçut d’autres types qu’elle n’avait rencontrés que dans les cours d’Ard et pour certaines d’entre elles, elle n’arrivait pas à situer leur origine. Elle aurait passé des heures à les observer si elle n’avait pas eu peur de déclencher leur hostilité. Elle préféra les passer rapidement en revue pour voir comment elles s’occupaient. Une bonne partie était nue, s’exposant aux rayons du soleil pour se brunir la peau. D’autres, au contraire, avaient choisi de s’abriter sous un auvent de toile pour garder un teint pâle. Enfin, quelques groupes, peu nombreux, étaient invariablement assemblés autour d’une femme divinement belle. De toute évidence, des concubines de rang inférieur essayaient de s’attirer les grâces de compagnes plus élevées. C’est ainsi en tout cas que Deirane l’interpréta.

L’une d’elles tout particulièrement, attira l’attention de Deirane. Elle paraissait vieille, quarante ans au moins. La jeune femme ne comprenait pas la présence de cette dernière. Elle avait l’âge d’être la mère de toutes les autres. Pourtant elle était très entourée, six personnes. Elle disposait donc une place élevée dans la hiérarchie locale. En dehors d’elle, une seule occupante des lieux disposait d’une telle suite, une courtisane bien plus jeune et d’une beauté à couper le souffle. Elle s’était relevée sur les avant-bras pour observer Deirane. Elle devait avoir trois ou quatre ans de plus qu’elle, elle possédait une peau lisse et sans défauts, le teint mat et les cheveux brun très foncé. Son visage ovale, mais juste assez carré pour lui donner du caractère, au nez droit et aux lèvres charnues, mais sans excès, était exceptionnel. Et sa silhouette était remarquable : un peu plus grande que Deirane, ce qui était le cas de presque toutes les femmes en ce monde, elle avait la taille fine, le ventre plat, ses jambes, ses fesses et ses seins dessinaient un galbe que lui jalousait l’adolescente. Elle n’était pas sans lui rappeler Calen. Aussi incroyable que cela pût paraître, elle semblait même plus belle que cette dernière.

Instinctivement, elle chercha le bracelet d’identité helarieal, mais elle n’en portait pas. Comme si seul ce pays pouvait produire de belles femmes. Mais celle-là hésitait entre l’Yriani et le Naytain. Une métisse certainement.

Là encore, aucune n’invita Deirane à la rejoindre. Mais elle ne ressentit pas cette froideur hostile qui l’avait poussée à fuir le hall du harem. C’était plutôt une indifférence égoïste, elles étaient centrées sur leur plaisir et ne se préoccupaient pas de ce qui se passait au-delà de leur propre personne. Il était possible que certaines l’eussent accueillie chaleureusement si elle avait osé les aborder. Mais comment les reconnaître ?

Elle traversa la terrasse jusqu’à l’escalier pour descendre dans le jardin. C’est là qu’elle croisa Chenlow. Il n’était pas seul. Une femme marchait à ses côtés tout en bavardant. Elle était surprenante à plus d’un égard. Loin des standards de beauté en vigueur dans le harem, son nez un peu fort et sa bouche trop grande l’empêchaient d’être considérée comme jolie. Sa chevelure noire, au lieu de couler librement sur ses épaules, était rassemblée dans un chignon strict. Sa tenue aussi, un justaucorps blanc qui la moulait étroitement et un collant de la même couleur mettaient sa silhouette élancée en valeur. Elle n’était pas sans rappeler Saalyn, en moins voluptueuse, mais en plus souple.

En voyant Deirane se diriger vers eux, elle salua l’eunuque et les laissa seuls. L’Yriani eut le temps d’apercevoir une bourse changer de main, que l’inconnue fit disparaître dans le sac qu’elle portait à l’épaule.

— Enfin, tu te décides à sortir, remarqua-t-il.

— Je visite les lieux, puisque si j’ai bien compris, je vais rester ici jusqu’à la fin de ma vie.

L’eunuque sourit.

— Nul ne peut prévoir l’avenir, mais c’est très vraisemblable en effet.

— Qui était-ce ? demanda-t-elle en désignant la jeune femme qui montait l’escalier.

— C’est Cali. La maîtresse de Dayan.

— Dayan ? Je croyais que ce harem appartenait à Brun.

— Tous les nobles qui vivent au palais y logent normalement leurs concubines. Mais Cali n’en est pas une, c’est la compagne de Dayan. Elle ne fait qu’habiter ici. Et si tu veux un conseil, laisse-la tranquille. Ne lui fais aucun tort.

— Sinon, ce Dayan pourrait me faire du mal.

— Uniquement s’il se montre plus rapide que moi à te mettre la main dessus.

La menace était claire. Chenlow au moins, et d’autres peut-être, appréciait cette Cali.

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