Chapitre 6.2: Obéissance

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Je m’éveillai d’un coup dans la noirceur de ma chambre. Instinctivement, je palpais ma peau là où la balle l’avait transpercée. Etais-je mort ? Sous mes doigts, ma peau était lisse, seules quelques cicatrices rompaient l’harmonie. Pourtant, à chaque toucher, une vive douleur élançait ma poitrine, m’empêchant de respirer. J’ouvris les yeux et inspirai profondément tentant de calmer le cheval de course qui avait pris possession de mon cœur. Je transpirais à grosses gouttes. Je me rallongeai, et massai mes tempes. « T’es foutu mon pauvre vieux », ricana ma conscience. Refusant de céder au stress de ma vision mortelle, je m’assis, tournant la tête vers mes volets toujours fermés. Combien de temps avais-je dormi ? Difficile à dire. Je secouai la tête et sortis du lit, me dirigeant vers la cuisine. Je traversais le couloir, et émergeais dans mon salon baigné de lumière. Un grand ciel bleu se dessinait derrière les fenêtres. L’antiquité qui nous servait d’horloge indiquait 14 heures. J’ignorais pourquoi ma mère avait tant insisté pour garder cette chose après le divorce. L’objet était en métal rouillé par le temps, les aiguilles faisaient un vacarme d’enfer et pourtant ma mère s’émerveillait à chaque carillon. Silencieux, j’entrais dans la cuisine, où Amina, habillée de sa robe surmontée de mon pull, préparait un petit-déjeuner de compétition. Ma table d’ordinaire si vide, était recouverte de bacons, d’œufs brouillés, et de pancakes chauds. Une odeur de jus de fruits flottait dans l’air. Je me sentais comme un Américain. Quand était-elle allée faire les courses ? Malgré ce buffet et la faim qui me tiraillait, l’avoir en face de moi me ramena à mon cauchemar. Son regard se posa sur moi.

—Tu vas bien ? On dirait que tu as vu un fantôme, s’enquit-t-elle.

Incapable de répondre, je déglutis et touchai à nouveau l’impact de la balle. Je regardai ma main, elle était ensanglantée. Paniqué, je fermai les yeux et lorsque je les rouvris le sang avait disparu. J’étais désarmé par mon propre désarroi. Paniqué, je pris la fuite. Le retour à la réalité était compliqué.

— Je vais à la douche, je reviens.

L’eau sur mon corps m’ancra dans le présent. Je refusai de perdre pied à cause d’un cauchemar, mon propre subconscient se jouait de ma culpabilité. C’était un avertissement rien de plus. Je me ressaisis et m’extirpai à contre-cœur de la douche. J’observais mon reflet quelques instants dans le miroir. Décidément, j’avais une sale tête. Pour une fois, ce n’était pas dû à mes balafres mais plutôt aux deux fossés bleus-violets qui parcouraient mes joues.

Vêtu d’un jean délavé et d’un tee-shirt blanc, je rejoignis Amina. Elle posa une assiette remplie d’œufs et de bacons dès que mes fesses touchèrent le siège. Me versant un verre de jus d’orange, elle me redemanda si j’allais bien.

— Oui, j’ai juste fait un mauvais rêve, admis-je.

— Tu veux me raconter ?

Je levai les yeux et répondit ironiquement :

— Ton copain me tirait une balle dans la poitrine.

— Et pourquoi ferait-il ça ?

Le regard noir que je lui lançai suffit car elle ajouta :

— Oh…

Gênée, elle picora son assiette en silence. Je ne commettrai pas la même erreur qu’Alex.

— Ecoute Amina…commençai-je, hasardeux.

—Victor, j’ai saisi. J’étais ivre hier soir, j’ai outrepassé les limites. Je suis désolée. Je suis la copine de ton boss, cette relation ne pourra que nous faire tuer tous les deux, récita-t-elle.

C’était plus facile que prévu.

— Ce qui s’est passé entre nous fut fort sympathique mais c’est fini, affirmai-je. Nous ne pouvons pas, et même si nous pouvions, ma loyauté revient à Grégoire. Et puis, ne le prend pas mal mais tu n’es vraiment pas mon type.

La fin de ma phrase sonnait si faux, j’étais un enfoiré de première. Cependant Alex avait raison, nous appartenions au patron. Un jour je trouverai un moyen de m’enfuir, et peut-être qu’elle viendra avec moi. Enfin, si j’arrive à lui parler sans l’énerver ou la faire pleurer. D’ici là, je resterai à ma place. Je l’examinais, ses yeux humides trahissaient sa douleur et sa colère. Sa mâchoire était crispée. Elle s’apprêtait à m’insulter lorsque mon téléphona vibra.

— Allo ?

— Victor, j’ai besoin de toi, prononça la voix de Grégoire. Nous avons un arrivage de marchandises au port. Tous les gars doivent être sur le site dans deux heures.

— Okay j‘arrive.

Je raccrochai, Amina me scrutait.

— Je sais, le devoir t’appelle, soupira-t-elle, visiblement calmée.

— J’ai le temps de manger, je pars dans une heure.

Je mangeai de bon cœur, savourant ce repas. Nous discutâmes, évitant les sujets à hauts risques de dérapages. Ensuite, elle prit ses affaires et repartit chez elle, résignée. Mon cœur se serra lorsque la porte claqua. Ces dernières vingt-quatre heures s’étaient déroulées dans une réalité parallèle, j’étais revenu à ma vie, celle d’un soldat de l’ombre devant gérer ses propres problèmes. Je partis en avance pour la banque, déposant mon salaire sur mon compte en banque, et effectuai depuis mon téléphone, le virement pour la clinique. J’en profitais pour les appeler m’enquérant de l’état de ma mère. Ils me la passèrent directement. A peine avais-je ouvert la bouche qu’elle m’assaillit de questions.

—Coucou mon chéri. Comment tu te débrouilles à la maison ? Tu manges bien ? Et le lycée ? Tout se passe bien ? Tu me manques tu sais.

Sa voix était enjouée, l’émotion me submergeait. Elle semblait aller mieux.

- Salut maman. Tout va bien à la maison, je continue de l’entretenir en t’attendant. Je mange correctement et je fais du sport. Sinon, les cours m’ennuient mais j‘y assiste. Tu me manques aussi tu sais. Comment ça se passe pour toi ? répondis-je du tac au tac.

Elle me parla longuement de son médecin, et de son infirmière. Ils l’aidaient à se sevrer, à découvrir de nouvelles passions, l’écriture en était une. Elle me raconta qu’elle avait commencé à écrire un roman pour adolescents mais refusa d’aborder le thème. En dehors de cette activité, elle avait essayé le yoga, et s’était remise au sport. Elle reprenait petit à petit sa vie en main. Elle m’expliqua qu’elle s’était fait des amis et qu’elle avait hâte de me les présenter dans quelques semaines. En effet, elle aurait bientôt le droit aux visites, ils attendaient d’être sûrs qu’elle soit stable. L’appel s’acheva, ma mère devait aller se promener. Cela me faisait chaud au cœur qu’elle guérisse. La conversation téléphonique que nous venions d’avoir était la plus longue discussion depuis des années. Je souris, soulagé, ma mère allait s’en sortir. Je vérifiais ma montre. Et zut ! J’allais devoir griller quelques feux, et priorités pour arriver à l’heure. Ce fut exactement ce je fis, longeant les quais de Seine en un temps record.

J’arrivai devant l’entrepôt de la veille. Tula m’attendait, les bras croisés sur sa poitrine. Lucas, à côté de lui, paraissait tout petit. Il essayait de reproduire l’air sérieux de son ainé, sans pouvoir y parvenir. Enlevant mon casque, je le taquinai :

—T’es pas censé être à l’école toi ?

— Très drôle, réplica Lucas. Membre depuis moins de 24 heures et tu fais déjà le malin, que penserait Grégoire ?

— Il s’en ficherait, maintenant venez les deux plaisantins, nous coupa Tula.

Lucas soupira, visiblement déçu. Lucas avait l’air aussi fatigué que moi, décidemment vive la gueule de bois. Nous suivîmes Tula à l’intérieur. Retraçant mes pas, je revisitais ce hangar bien gardé. Grégoire se tenait devant la serre et aboyait des ordres aux prospects. Lucien leur distribuait des feuilles de tâches. Ils envoyaient les nouvelles recrues livrer les commandes. Comment Grégoire réussissait-il à recruter aussi vite ? Le bridage de prospects se composait de 10 jeunes hommes âgés de 14 à 18 ans, d’origine très différente. Où les avait-il trouvés ? En regardant les paquets passés de main en main, je songeais à Julia. Elle attendait surement sa nouvelle livraison. Elle, qui s’impatientait de revoir son Alex adoré, verrait arriver un petit nouveau fraichement débusqué. Qu’allait-elle penser ? Son petit chéri se trouvait derrière le chef, le visage fermé sur son fauteuil roulant. Tous semblaient avoir récupéré de la soirée d’hier. Même Val paraissait frais vu la quantité de drogues qu’il avait sniffée.

Une fois les prospects partis, nous fûmes chargés de surveiller le découpage des commandes pendant que Grégoire vérifiait les comptes avec Tula et Lucien. Nous travaillâmes main dans la main pendant quelques heures, observant les découpeurs, rigolant sur la soirée de la veille. Je pris connaissance des folies nocturnes de mes compagnons. Val s’était réveillé ce matin vers 10 heures dans un appartement qui n’était pas le sien en compagnie de deux jeunes hommes nus. Il n’avait pas retrouvé la mémoire et avait fui avant toutes révélations. Il était temps qu’il réalise qu’il était gay quand même. Lucas était rentré bredouille chez lui, et depuis jurait qu’une malédiction avait été jetée sur sa vie sentimentale. Il semblait persuadé qu’une force supérieure le privait de l’amour des femmes. Ses élucubrations firent rire toute la galerie. Alex avait passé la nuit chez Julia après avoir escaladé sa fenêtre, totalement bourré. Alors que je me demandais commet un mec en fauteuil pouvait faire une chose pareille, il m’avoua secrètement que sa fenêtre était en réalité une porte-fenêtre située au rez-de-chaussée. Et quelques autres mecs n’avaient pas passé la nuit en solitaire. Lorsque mon tour arriva, je jouai de ma réputation et leur fis croire que j’avais partagé le lit de deux déesses de la nuit. Lucas était vert, sa réaction déclencha de multiples fous rires.

22 heures arrivèrent rapidement, Grégoire nous congédia après nous avoir donné notre emploi du temps pour les semaines à venir. Le mien commençait le lendemain, samedi par une séance au stand de tir. Grégoire avait décidé que compte-tenu de la notoriété grandissante du gang, il était temps de parfaire notre formation. Nous allions donc suivre deux cours de boxe par semaine, une heure d’un autre sport de combat au choix, et quatre heures de tir. Il construisait une armée. Cette nuit-là, je ne rêvai pas, me demandant quels dangers pouvaient pousser Grégoire à nous armer.

***

Si je n’avais jamais manié d’arme à feu, j’en avais vu plusieurs. Mon père portait son arme de service à la maison. Je le regardai la nettoyer pendant des heures, caressant la crosse du pistolet. A l’époque, j’aspirai à devenir comme lui, un policier. Je voulais défendre ma patrie, de mourir pour les miens. Le sort en décida autrement. J’étais devenu ce qu’il cherchait à exterminer. « La vermine », voilà comment il appelait les jeunes membres de gang. Nous n’étions que de la chair à canon, coincés dans une guerre que nous ne comprenions pas. Désolé papa, tes oreilles doivent souvent siffler en ce moment.

Le stand de tir se trouvait en dehors de Paris. Chaque citoyen lambda pouvait venir apprendre à se servir d’un pistolet, une combine légale, pour une fois. Grégoire avait réglé la paperasse avec notre bon vieux médecin. Déclarations à la préfecture, justificatifs médicaux, licences à la fédération française de tir avaient été obtenus en quelques heures grâce à des combines monétisées bien rodées. Nous détenions légalement le port d’arme. En deux heures d’entraînement, j’appris à viser la cible, prendre en considération l’environnement, m’habitant au recul de l’arme. Je gagnai vite en aisance, presser la détente devenait comme une seconde nature. La peur laissa place à l’euphorie, un sentiment de puissance m’envahissait lorsque je touchai le pistolet. Cet objet pouvait déterminer des destins, contrôler des vies, et je m’enivrais. J’étais accompagné de Val, qui vu son air, prenait aussi son pied. Il criait victoire à chaque fois que la balle traversait la cible humanoïde. Les autres tireurs nous observaient, intrigués par tant d’effusions de bonheur. Nous sortîmes, rayonnants.

— On recommande quand ? me demanda Val.

— Je reviens mercredi soir d’après mon planning. Et toi ?

— Voyons voir… mardi matin avec Tula, éclata de rire Val.

— Je suis sûr qu’il te tuera avant la fin, le taquinai-je.

— Si je ne lui tire pas une balle entre les deux yeux, plaisanta-t-il.

Cette blague était bien plus qu’une simple vanne. Nous étions invincibles maintenant. Bientôt, notre armée marcherait sur Paris et tous les gangs se plieront à notre loi et je pourrais enfin coller une balle à mon paternel.

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