Chapitre 21

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J'ai décidé de profiter de ce samedi matin pour aller me promener le long de la côte. Le vent me fait doucement frissonner alors que je ne suis vêtue que d'un short et d'un tee-shirt style marinière, le tout uniquement noir évidemment. J'aime me dire que les gens me perçoivent de la même façon que je vois le monde. Face à moi, ils sont confrontés à une vision en noir et blanc. Cette pensée me donne une idée. Je sors mon smartphone de ma poche et photographie la mer agitée dont les vagues se fracassent sur les rochers. L'on aperçoit en arrière-plan le paysage vallonné qui ajoute à l'effet carte postale.

J'envoie ensuite l'image à ma mère. C'est un petit jeu entre nous : quand je trouve quelque chose beau, je lui envoie en photo et elle se charge de rajouter des couleurs pour moi. C'est bête, une photographie est censée sauvegarder la vision des choses de celui qui la prend, mais les miennes ne collent jamais avec ce que je vois réellement. Je ne peux que figer l'instant, pas immortaliser sa beauté réelle. C'est donc ma mère qui se charge du reste alors que je peins dans ma tête ce cliché en noir et blanc pour en apercevoir l'essence. Mon imagination est tout ce qu'il me reste pour sortir de ce monde monochrome aux allures mélancoliques. Je ne peux que chérir mon souvenir des couleurs.

En attendant d'obtenir une réponse, je laisse mes pas me conduire de nouveau jusqu'au centre-ville. Mes discussions avec Eyden ont réveillé mes envies de lecture et je me retrouve bientôt à chercher une nouvelle librairie, puisqu'il est hors de question que je remette les pieds dans celle de Noah !

J'en trouve finalement une autre dans la rue principale, ce qui n'est pas étonnant vu l'attrait touristique de la ville. La librairie est plus grande, moins conviviale, mais a l'avantage de proposer plus de choix.

Trop de choix, réalisé-je vingt minutes plus tard après avoir lu plusieurs résumés qui me donnent envie.

Ma mine perdue doit se voir puisqu'une fille à peine plus jeune que moi apparaît soudainement à mes côtés.

— Hey, tu as besoin de conseils ?

Je prends le temps de la détailler un instant. Je suppose que ses longs cheveux sont blonds, puisque la teinte de gris que je distingue est relativement claire. Elle porte une robe aux manches mi-longues, simple mais féminine, et un pendentif autour du cou. Un coup d'œil me permet de voir qu'elle appartient elle aussi à la catégorie des adeptes aux Converse. De son écouteur qui pend, je reconnais la voix de The Weeknd qui chante « Montréal », et je ne peux que valider ses goûts. Je perçois en elle une bonté mêlée de simplicité, et c'est ce côté naturel qui me pousse à lui répondre avec une réelle sympathie.

— Je ne serais pas contre, je suis un peu dépassée, j'admets.

— J'ai cru voir ça, me dit-elle en me rendant mon sourire. Viens, je vais te présenter les incontournables !

Elle me prend l'exemplaire d'After que je tenais entre les mains pour le reposer d'un geste anodin. Il ne fait visiblement pas partie des incontournables. Je me fais entraîner quelques allées plus loin alors que la fille se faufile au travers les étagères avec assurance, comme si elle était la maîtresse des lieux. Sans hésitation, elle s'arrête devant la section « jeunes adultes » et repère l'ouvrage qu'elle cherche.

— Cette saga est une pépite, il faut absolument que tu la lises !

Quelques secondes plus tard, je me retrouve avec un nouveau livre entre les mains, U4 : Stéphane de Vincent Villeminot. Nul besoin de lire le résumé, je me retrouve embarquée dans l'exposition des points forts de la série qui font qu'elle mérite d'être lue. L'écouter parler avec tant de passion de cette œuvre qui lui tient tant à cœur ne tarde pas à éveiller la mienne, et je me laisse convaincre avec joie et choisis d'ajouter à mes achats un autre tome. Lorsqu'elle me parle d'un autre de ses coups de cœur, Faites attention à moi d'Alyssa Sheinmel, je ne peux m'empêcher de faire une dernière concession en l'entendant me promettre une lecture qui ouvre les yeux sur le monde et sur la vie. C'est totalement le genre de lecture qui m'amène à me repenser moi-même toute entière.

Nous continuons à échanger nos avis tout en marchant jusqu'aux caisses, et c'est seulement à ce moment que je prête attention aux ouvrages qu'elle tient entre ses mains. Je découvre qu'il s'agit uniquement de bandes dessinées. Je reconnais le premier tome d'Umbrella academy, adapté de la série, ainsi qu'un tome de la saga Lou ! J'arrive tout juste à lire le titre de la troisième sur la côte : Corto Maltesse de Hugo Pratt. Sa culture artistique a l'air impressionnante !

C'est naturellement que je la laisse payer avant moi, et elle a la gentillesse de m'attendre pour sortir. Une fois à l'extérieur, je la vois ouvrir son sac pour ranger ses derniers achats, et je m'empresse de rattraper au vol l'exemplaire de Hunger gale corné par de nombreuses lectures qui s'en échappe. Je m'empresse de remettre le marque-page qui s'est enlevé en place et fronce légèrement les sourcils en voyant le titre de l'œuvre qu'il représente. Rock'n Purple.

— Oh, merci beaucoup ! s'exclame-t-elle. C'est mon livre et mon marque-page les plus précieux. J'ai lu ce bouquin de dizaines de fois, et ce marque-page représente une histoire très chère à mon cœur...

Je hausse les épaules en constatant que je ne connais pas cette histoire non plus, avant de rendre son précieux bien à sa propriétaire. Un doux sourire illumine son visage.

— C'était un plaisir de te rencontrer...

— Hana, je lui apprends. Et tout le plaisir était pour moi. Merci encore pour toutes tes recommandations, tu m'as bien aidée !

— Moi, c'est Lina. Je te souhaite de très bonnes lectures, Hana. A la prochaine !

Je la salue en retour avant de prendre le chemin de la maison, un air satisfait accroché au visage. Je sais à quoi je vais occuper mon après-midi.

Cependant, une fois à quelques mètres de ma destination, j'entends des cris venant de la rue. Ce n'est qu'en tournant au coin de la rue que je reconnais les voix d'Eyden et de Shun en les voyant. Je décide alors de ne pas me faire voir et de rester en retrait.

— Tu n'as pas à t'en mêler, Shun !

— ça me regarde à partir du moment où tu risques encore de blesser quelqu'un !

Franchement, aucun voisin ne va venir râler après ce vacarme ? Et qui Eyden a-t-il bien pu blesser par le passé ? Le grognement désormais familier de mon ours coupe court à mes investigations.

— Peu importe, tu ferais mieux de me laisser tranquille avec Hana !

Un frissonnement soudain me parcourt au ton presque possessif qu'il a employé, et j'oscille entre satisfaction et colère. Pourquoi se montrer possessif alors qu'il m'imagine à la place d'une autre ?

— Pas tant que tu ne lui auras rien dis. Elle n'est pas au courant, n'est-ce pas ? Ce n'est pas juste, comment peux-tu laisser quelqu'un s'attacher à toi en le tenant ignorant de ton cas ? On sait tous ce que ça donne quand tu lâches tes démons au contact des autres.

Je suis à deux doigts de bondir de ma cachette et d'exiger des explications quand la réponse d'Eyden me coupe dans mon élan.

— Je...j'essaie de faire les choses bien pour une fois, d'accord ? Je sais que je finis toujours par tout gâcher, mais je te promets que cette fois je fais de vrais efforts.

Je suis déstabilisée par la fragilité de la voix d'Eyden. Jamais il ne m'a paru aussi incertain, et je comprends que son instabilité dans notre relation lui vient d'un passé marqué au fer rouge en lui. C'est comme s'il était prisonnier de fers qui le retenait à une époque douloureuse et qui l'empêchaient d'avancer. Mais je sentais bien qu'il tirait de toutes ses forces sur ses liens pour se tendre un maximum vers un futur meilleur. Je sais dès lors que j'ai pardonné à Eyden. Quoi qu'il ait fait ce soir-là, cela venait d'une part de lui qui lui échappe.

J'attends quelques minutes dans ma cachette après que les voix se soient tues pour être sûre que la voie est libre avant de regagner l'intérieur de la maison. Ce midi, pour la première fois depuis plus d'une semaine, je me présente à table. Et je me promets de ne plus me dérober jusqu'à ce que j'aie mis le doigt sur ce qui torture tant Eyden. Au fond, je crois que j'ai besoin de sortir de ma coquille et de me confronter aux autres pour avancer moi-même. J'ai envie de laisser Eyden donner une nouvelle couleur à mon monde.

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