Chapitre 9

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Deux jours se sont écoulés depuis ma première leçon de natation et je n'ai pas reparlé à Eyden depuis pour autre chose qu'échanger des banalités. Je suis censée sortir avec Rose et les filles aujourd'hui mais j'ai encore un peu de temps alors je saisis l'exemplaire de 1984 que j'avais déjà repéré sur la table de chevet dans la ferme intention d'en dévorer les premiers chapitres. Seulement, dès que j'ouvre le roman à la première page, une photo en glisse et échoue sur mes genoux. Je m'en saisis, le livre déjà oublié. 

Je reconnais sans mal Eyden au centre, sans doute plus jeune de cinq ans environ. Sophie, qui se tient juste derrière lui n'a pas pris une ride. Elle est enlacée par un homme qui sourit franchement à l'objectif, le regard débordant d'amour. Mais ce que je remarque le plus est ce jeune garçon autour duquel Eyden a passé ses deux bras pour le retenir contre ce torse. Je ne vois plus que ce regard attendri qu'il adresse à celui que je devine être son petit frère. 

C'est vrai que je ne connais rien à leur famille. J'ai demandé une fois à ma mère où était le père d'Eyden et elle m'avait justement répondu que c'était à lui de me le dire s'il en avait envie. Je devais respecter ses secrets comme je voulais qu'on respecte les miens. J'avais compris à l'époque et je n'avais pas insisté, pas plus intéressée que ça mais là, la curiosité me rongeait. 

C'est l'image d'une famille heureuse que je vois sur cette photographie, qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'il ne reste plus que deux des membres de cette photo et que pour le petit garçon souriant se soit transformé en bad boy renfermé ? Je devine que j'ai sous les yeux le fameux avant dont parlait Rose le premier jour. 

Je suis interrompue dans ma contemplation par le bruit de la sonnette. Je range précipitamment la photo dans la poche arrière de mon short avant de dévaler les escaliers pour aller ouvrir. 

—  C'est pour moi ! je crie à l'intention de Sophie et d'Eyden. 

C'est une Rose avec un grand sourire qui m'attend de l'autre côté de la porte. 

—  Salut Hana ! Tu es prête ? 

Je hoche la tête avant de la suivre à l'extérieur. Nous retrouvons Stephany et Mallaury sur la place publique. Nous passons un après-midi vraiment agréable toutes ensemble, elles m'ont fait découvrir les plus beaux quartiers de la ville et même si je finis par avoir mal aux pieds dans mes claquettes, je suis vraiment satisfaite de cette journée. Mon affinité avec Stephany s'est encore confirmée et j'ai appris à découvrir un peu plus Mallaury. Je reste un peu plus réticente vis-à-vis d'elle comme elle me rappelle parfois mes anciennes amies mais j'ai décidé de lui laisser une chance. Après tout, j'ai décidé de repartir à zéro ici. Je suis mal à l'aise lorsqu'elle propose d'aller en boite de nuit ce soir. Seulement, je me vois mal refuser face à l'enthousiasme général. 

Et comme par hasard, c'est ma chambre qui est investie pour le changement de tenue. Les filles ont décidé de toutes se rejoindre ici après être allées chercher quelques tenues chez elles. Elles ont l'air de faire ça souvent et de passer un bon moment mais je n'ai jamais connu ça alors j'ai du mal à m'intégrer dans leur délire. J'enfile par réflexe ma seule robe, noire bien évidemment, et me fais un chignon lâche avant de me juger prête. Je me tourne vers les autres filles pour constater qu'elles en sont encore au stade du choix de la tenue. 

—  Mais enfin Hana, tu ne vas pas mettre ça ? On va en boite pas à un enterrement. Mets un peu de couleur, tu as toujours des habits si fades !

Je me renferme. Encore un genre de remarque que je dois à mon handicap. 

—  Laisse-la tranquille Mall', rétorque Rose. Je suis sûre qu'on peut illuminer le tout avec un bon maquillage. 

Elle me fait un clin d'œil complice mais je reste un peu nerveuse. Je me sens jugée maintenant et ça me met mal à l'aise d'avoir attiré les regards sur mon apparence. Rose s'approche de moi avec une palette. 

—  Tu me fais confiance ?

Elle attend que je hoche la tête en signe d'accord avant de poursuivre. 

—  Ok ferme les yeux. Voilà parfait. Je vais te mettre du fard à paupières couleur prune pour rehausser ton regard. 

J'esquisse un sourire à ses derniers mots. Je sais pertinemment qu'elle a fait exprès de glisser la couleur dans une phrase tout à fait anodine et le fait qu'elle ait pensé à le faire me fait vraiment très plaisir. Elle m'ajoute en suite du mascara et du rouge à lèvres "rouge framboise" selon ses dires. 

— Wow Hana ça te va super bien, tu devrais te maquiller plus souvent, s'enthousiasme Stephany en claquant des mains. 

— C'est vrai que ça te change bien, avoue Mallaury qui s'est enfin décidée quant à sa robe pendant ce temps.  

C'est d'ailleurs elle qui nous conduit plus tard à cette fameuse boite de nuit. Je n'ai pas osé avouer que je n'étais jamais allée en boite. L'ambiance bat déjà son plein. Une horrible musique martèle mes oreilles et je ne peux retenir une grimace. Les filles s'empressent de rejoindre la piste de danse. Stephany essaie bien de m'y entrainer mais ce n'est pas vraiment mon truc alors je prétexte une soudaine soif pour les laisser y aller sans moi. 

Je déteste déjà l'ambiance, le son, les cris, la danse, les gens, la sueur. Je fronce le nez de dégoût. Je finis tout de même par m'asseoir sur un tabouret près du bar et me masse les tempes en essayant de faire passer la migraine qui commence à poindre. 

—  Vous allez bien mademoiselle ? 

Je lève la tête vers un jeune homme un peu plus âgé que moi. Il m'adresse un sourire charmant qui se reflète sur mon visage. 

—  Je vais bien, je vous remercie. C'est juste...ça là.

J'englobe la salle d'un geste. 

—  Eh bien ce n'est pas vraiment moi. 

Un rire gêné m'échappe. Dire que je me sens mal à l'aise est un euphémisme. 

—  Permettez-moi de vous offrir quelque chose pour vous détendre alors. 

Il hèle le serveur et lui dit des mots qui ne me parviennent pas. Quelques secondes plus tard, une boisson de couleur bleue apparait devant moi. Je la regarde avec suspicion, comme si elle risquait d'exploser à chaque instant. 

—  Je ne bois pas, et encore moins ici mais merci. 

—  On a tous besoin de boire ici, rit-il. Je vous le laisse si vous changez d'avis. Bonne soirée mademoiselle. 

Il s'en va avec son propre verre à la main. 

Le temps défile avec cette même lenteur et malgré l'insistance des filles, je refuse de m'aventurer sur cette piste bondée. Je reste donc seule sur mon tabouret à regarder les gens picoler autour de moi. C'est presque inconsciemment que je finis par me saisir du verre abandonné. Le goût légèrement sucré me surprend et j'enchaine plusieurs gorgées. Ce n'est qu'une fois le verre vide jusqu'aux trois quarts que je le repose. Et c'est là que je sens soudainement cet arrière-goût qui me brûle la gorge. Les larmes me piquent les yeux. Mince, je n'ai jamais bu de ma vie et voilà que je bois un verre d'une traite. C'est quand tout se met à tourner autour de moi cinq minutes plus tard que je comprends que j'ai un sérieux problème. 

Je pose ma main sur le premier appui venu. Grave erreur. Mes yeux s'écarquillent d'effroi lorsque je reconnais la personne. 

—  Comme on se retrouve, princesse. Je n'ai pas vraiment apprécié la façon dont s'est terminée notre dernière entrevue. 

Un frisson me parcourt en entendant la menace sous-jacente dans la voix de Timothy. Et vu comment le monde tangue autour de moi, toute fuite est inutile...

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