Chapitre 5

7 minutes de lecture

Lorsque je descends le lendemain matin, je constate que Sophie est encore en train de dormir pour récupérer de sa longue garde. Je me prépare un grand bol de céréales que je vais manger sur la terrasse. Rien de tel qu'un petit déjeuner au soleil !

Je suis rejointe quelques minutes plus tard par un ours en pyjama n'ayant pas l'air tout à fait réveillé.

— Bonjour.

— Café.

C'est la seule réponse que j'obtiens alors qu'il se traine jusqu'à la cafetière. Un vrai ours répondant à ses besoins primaires. Bon, au moins il n'a pas été vulgaire, il y a du mieux. Dès que j'ai fini mon bol, je me dépêche d'aller me préparer. Rose doit passer me chercher dans trente minutes et je ne tiens pas à être en retard pour cette première sortie entre filles depuis longtemps.

J'enfile un short noir avec un top blanc. Ce sont les deux seules "couleurs" que j'arrive à distinguer et elles vont plutôt bien ensemble alors pour éviter les critiques, je ne porte plus que des vêtements dans ces deux teintes là depuis mon accident.

Je ne me maquille pas - à quoi bon encore une fois ? - alors je ne suis pas de ces filles qui monopolisent la salle de bain pendant des heures. Après un rapide lavage de dents, je me noue les cheveux en une longue tresse que je laisse retomber sur mon épaule.

Je retourne dans ma chambre préparer un sac avec quelques affaires juste comme la sonnerie de la porte d'entrée retentie. Je me précipite pour aller ouvrir mais Eyden m'a déjà pris de vitesse.

— Rose ? Qu'est-ce que tu fous là ?

— Je suppose que tu voulais dire "Bonjour Rose, c'est sympa de te voir ? Qu'est-ce que tu fais ici ? "

Elle le salut sans perdre nullement sa bonne humeur que je sens déjà contagieuse comme un sourire atteint mes lèvres alors que l'ours levait les yeux au ciel.

— Bonjour Rose, qu'est-ce que tu veux ?

Il se corrige tout de même de mauvaise grâce. Je pense que Rose est l'une des rares personnes avec qui il consent à faire des efforts.

— Tu vois quand tu veux. À la prochaine étape, je t'apprendrai à me demander comment je me porte mais je suppose que ça fait déjà beaucoup pour aujourd'hui. Je viens chercher ta colocataire.

Elle me désigne par-dessus son épaule et il me fusille du regard en me voyant rire de lui à son insu. Rose vient m'attraper par le bras pour m'attirer dehors à sa suite.

— À plus Eyden !

J'ai le temps de voir le regard suspicieux de mon colocataire avant qu'il ne referme la porte. Nul doute qu'il doit se demander comment nous sommes devenues proches si rapidement. Je me pose la même question à vrai dire mais j'apprécie de plus en plus la personnalité de Rose qui est une personne franche, directe et fidèle. C'est la première fois que je rencontre quelqu'un comme elle et j'ai envie de lui laisser une chance.

Une fois arrivées en ville, Rose m'entraîne dans un magasin qu'elle connait visiblement comme sa poche. Je ne dis rien mais en réalité, ça fait très longtemps que je ne me suis pas amusée à faire les boutiques, me contentant souvent du H&M du coin.

— J'ai besoin d'une robe pour le mariage de ma sœur dans deux semaines, il faut absolument que tu m'aides !

Je ne suis sans doute pas la mieux placée pour ça mais je n'ose pas casser son enthousiasme. Je finis même par me prendre au jeu. Je la soupçonne d'avoir remarqué mon malaise puisqu'elle essaie des tenues plus loufoques les unes que les autres avec un sérieux qui me fait éclater de rire. Quand elle voit que je commence à me détendre, elle part sérieusement à la recherche d'une robe pour son événement. Elle en sélectionne plusieurs tandis que je me contente de la suivre à travers les rayons, ne me sentant toujours pas vraiment à ma place.

Cependant, alors que Rose est occupée à trancher entre deux choix, mon regard croise une robe qui me tape tout de suite dans l'œil. C'est une robe en mousseline, légère pour l'été. Je me mords la lèvre avec envie, sa forme me plait vraiment. Mais comment savoir s'il en est de même pour la couleur ? Depuis que j'ai arrêté de percevoir les couleurs, j'ai cessé d'essayer de me faire belle. Je n'en vois plus l'intérêt et la notion de beauté a perdu de son éclat pour moi. Parfois, voir tout en noir et blanc est vraiment décrivant comme la vie manque de couleur et de pétillant.

Je me détourne de la robe et vois que Rose m'observe.

— Elle t'irait bien, tu devrais l'essayer si tu l'aimes.

Je hausse les épaules avec un faux air détaché.

— Alors, tu as trouvé la tenue de tes rêves ?

Je change clairement de sujet mais elle n'insiste pas, respectant mon silence et je ne lui en suis que plus reconnaissante. Je me retrouve ensuite à attendre sur un petit tabouret devant la cabine pendant qu'elle les essaie toute, sortant à chaque essayage pour me montrer. Je l'aide parfois à remonter une fermeture Eclair dans son dos ou à nouer un nœud et pour la première fois depuis très longtemps, je me sens comme n'importe quelle fille de mon âge.

J'attends pendant qu'elle essaie sa dernière tenue quand elle m'interpelle depuis la cabine.

— Hana ! Tu peux aller me chercher la même robe que je suis en train d'essayer en rose s'il te plait ? J'hésite entre elle et la blanche alors je voudrais l'essayer aussi. Prends-moi du 38 !

Je déglutis en me levant lentement, fébrile. Les nuances de gris dans mon champ de vision m'indiquent que le modèle propose cinq couleurs différentes. Et merde ! J'arrive facilement à éliminer la blanche. Pour le reste, je suis plutôt embarrassée. Je pourrais me guider avec les teintes de gris mais elle n'a pas précisé si c'était du rose clair ou foncé. Je décide de trancher en prenant la gamme du milieu.

Une fois devant la cabine, je tape pour signaler ma présence et lui tends le vêtement d'un geste qui se veut assuré. Elle me dévisage d'un drôle d'air qui ne peut que signifier que je me suis trompée.

— Heu Hana... C'est du vert ça.

Je détourne la tête, embarrassée. Ce n'est que notre deuxième sortie et je gâche déjà tout avec ma différence. Je lui annonce que je l'attends dehors le temps qu'elle termine avant de prendre la fuite.

Je m'assois sur un banc devant le magasin et contemple le ciel. Je pensais pouvoir cacher ma différence mais je finis par croire qu'elle me rattrapera toujours. On ne peut pas fuir ce qu'on est après tout. Et moi je suis enfermée dans un monde où tout est soit noir ou soit blanc, soit bien ou soit mal. Je sais qu'il existe d'autres couleurs pourtant, que ce ciel que je suis en train d'admirer est bleu. Mais je n'ai plus rien de concret pour le constater et il ne me reste plus que mon imagination et mes vieux souvenirs.

Je baisse la tête comme on me tapote l'épaule et mon regard croise celui gêné de Rose. Elle me tend un sac avec l'emblème du magasin.

—Pour me faire pardonner de ma maladresse.

—Oh… Tu n'avais pas besoin de faire ça.

— Je sais mais ça me fait plaisir. Et je persiste à dire que cette robe t'irait très bien.

— Merci Rose, c'est vraiment adorable.

Je suis embarrassée mais une chaleur se propage en moi en même temps. L'amitié. L'acceptation. Cela faisait bien longtemps...

Elle me raccompagne en silence jusqu'à chez moi.

— On va à la plage demain avec quelques amies, ça me ferait plaisir que tu te joignes à nous.

J'hésite un instant. J'ai accepté de faire confiance à Rose mais je ne suis pas sûre d'y arriver si rapidement avec d'autres gens. Néanmoins, son regard suppliant me fait plier.

— C'est d'accord.

— Génial ! Je viens te chercher à treize heures trente demain alors.

Juste comme elle allait faire demi-tour, je lâche :

— Je suis achromate.

Elle se retourne vers moi, me détaille une seconde avant de répondre :

— Pour moi ça ne change rien, tu es toujours la même Hana. À demain.

Aussi simplement que cela. Un immense sentiment de gratitude grandit en moi. Rose a encore su trouver les mots les plus justes pour me faire me sentir bien. Je rentre alors dans la maison et croise Eyden dans les escaliers.

— Vous avez fait du shopping alors ? Fais-moi voir ça.

Il me prend le sac des mains et en sors la robe que Rose m'a offerte.

— Mouais, pas mal. Le rouge devrait bien t'aller comme tu as les cheveux châtains.

Il me fourre le vêtement dans le sac sans le replier et me le lance.

— Rouge hein…, je répète pour moi-même dans un murmure.

Je secoue la tête d'un air amusé.

— Merci Eyden.

— Pour ?

— Rien, juste merci.

Il me regarde sans comprendre avant de se détourner en marmonnant quelque chose à propos du caractère incompréhensible des filles. Un petit rire s'échappe de mes lèvres, pour une fois que c'est lui qui ne comprend pas.

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