CHAPITRE XX : LARS - MON BEAU MIROIR... (2/2)

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Lars reporta son attention sur Aldiem en chassant le sourire niais sur son visage. Le cortégien ne disait toujours rien, mais vu sa tête renfrognée, il avait sûrement deviné à quoi Lars venait tout juste de penser. Enterrer la hache de guerre ne sera vraiment pas simple...



— Et sinon, pour ta gouverne, si je m'apprête autant pour ce dîner, c'est avant tout pour moi. Parce que j'aime me faire beau. Est-ce que tu comprends ? Ou as-tu encore besoin que je te fasse un long exposé sur ma bonne foi ?



Toujours aucune réponse de la part de son interlocuteur qui se contenta de lever lourdement les yeux au ciel. Il lâcha ensuite un imperceptible soupir en décroisant les bras.



— Votre tenue est magnifique, elle vous met parfaitement en valeur, finit-il par dire de très mauvaise grâce. Le Seigneur Leïv va beaucoup apprécier... Vous êtes splendide.



Les derniers mots furent prononcés dans un murmure teinté d'amertume. Mais qu'est-ce qu'il était horripilant à faire son dramaking !



— Ah ! S'il te plait, arrête de faire cette tête, veux-tu ? s'impatienta Lars en agitant une main irritée dans sa direction. Puisque je te dis que je n'ai pas l'intention de...



— Vous ne comprenez pas ! coupa l'autre en le fusillant à nouveau du regard. Mais ce n'était plus vraiment de l'hostilité qui y brillait, juste... une profonde tristesse. Vous ne comprenez absolument rien, répéta-t-il d'une petite voix.



— Alors explique-moi ! Parle-moi franchement ! De quoi as-tu si peur, Aldiem ?



— De ne pas le supporter !



Et tout à coup, Lars comprit. C'était pourtant si évident ! Ce très cher Aldiem nourrissait des sentiments à l'égard de son dieu ! Il était jaloux.



— Vous... vous n'êtes qu'un inconnu, un touriste de passage ! Moi, je suis son Cortégien, son tout premier  Cortégien ! Et bien plus encore ! Ça fait presque trois millénaires que je veille sur lui, que je le protège des tourments de la solitude ! J'ai été son premier confident... son premier ami... son premier...



Il s'interrompit, comme si sa voix s'étranglait dans sa gorge. Le pauvre souffrait clairement de toute cette situation, mais Lars n'éprouva aucune empathie à son égard. Il venait quand même de le traiter de "touriste de passage" !



— Ici, nous avons un protocole qu'il nous faut inévitablement suivre. Dans un maximum de 200 ans avant le millième anniversaire de notre maître, nous devons nous préparer à reprendre nos relations à zéro. Amour, amitié, tout. J'ai choisi de le faire il y a bientôt deux décennies parce que je sais... j'ai toujours su que je ne m'en remettrais pas de le perdre cette fois-ci... Il est bien trop merveilleux... Le meilleur lui ayant jamais existé.



"Le meilleur lui"... Lars ne comprenait absolument rien de ce qu'il était en train de raconter. Et cette histoire de protocole ! Aldiem ne lui laissa cependant pas le temps de s'appesantir là-dessus. Il continuait de blablater encore et encore. Et encore.



— À chaque fois qu'il me regarde... qu'il me sourit... ça fait mal, parce que je m'oblige à limiter ce genre de contact, tout en faisant en sorte qu'il ne se doute de rien... Parfois je craque, parfois je tiens bon... Et vous... vous débarquez, et vous l'envoûtez, et vous vous pavanez devant moi comme si... comme si vous étiez le seul dans sa vie !



Lars serra les poings, sans même s'en rendre compte. Il n'aimait pas du tout ce mot. Non non non, il n'était plus comme ça ! Cette malédiction qu'il avait traînée comme un boulet pendant des siècles appartenait au passé. Elle ne pouvait pas être revenue ! Leïv ne pouvait pas être "envoûté". C'était un dieu bon sang ! C'était son monde, il était censé être tout puissant, non ? Se pourrait-il que... ? Impossible !



— Arrête de dire n'importe quoi ! Je n'ai envoûté personne ! Ton maître est un grand garçon, il veut juste s'amuser un peu, c'est tout. J'imagine que pour lui qui est prisonnier de ce monde depuis des siècles, je ne suis qu'une curiosité de passage...



Sans même s'en rendre compte, Lars cracha les derniers mots avec plus de virulence que nécessaire. Mais il décida d'ignorer ce soudain pic d'agacement. Qu'est-ce qu'il en avait à faire, franchement, que Leïv le prenne juste pour un... un plan cul ? Ciel comme l'expression était affreusement obscène... Et pourtant, n'était-ce pas la triste et affligeante vérité ?



— À votre place, je n'en serais pas si sûr... Pas avec la façon qu'il a de vous regarder...



Quoi ? Comment ça ? Mais qu'est-ce que ce type était en train d'inventer pour justifier sa frustration ? Lars n'en pouvait plus de cette Sainte Nitouche et de ses insinuations ridicules.



— Ça suffit maintenant ! Tu divagues complètement, mon pauvre ! Je suis sûr que Leïv te regarde exactement de la même manière !



— Pas comme ça, non... Même pour moi, il n'y a jamais eu une telle lueur dans ses yeux... Vous comptez vraiment me faire avaler que vous ne voulez pas le séduire, alors que c'est déjà trop tard ? Ou bien êtes-vous naïf au point de réellement le croire ?



Lars ouvrit la bouche, mais aucune réplique ne vint. Il ne put que fixer Aldiem, les yeux écarquillés, sans qu'aucun mot n'arrive à franchir ses lèvres. Les propos du cortégien valsaient dans sa tête, lui filaient une migraine terrible. Lars n'avait jamais eu l'intention de séduire qui que ce soit... Tout ce qu'il voulait c'était rentrer chez lui et retrouver...



Et pourtant tu es encore et toujours là, à te faire tout beau pour un dîner galant qui plus est, se moqua méchamment la petite voix dans sa tête. Pour quelqu'un qui est pressé de rentrer, tu passes surtout ton temps à roucouler avec ce très cher Leïvounet...



Maudite soit cette enquiquineuse, songea Lars en l'envoyant rageusement paître par la grande porte. Il se força ensuite à reporter son attention sur Aldiem qui continuait de débiter son charabia d'un air toujours aussi niais. Déprimant.



— Je ne sais pas ce qui est le pire : le voir tomber amoureux de vous... ou vous de lui.



QUOI ?!



— Qu'est-ce que tu racontes ? Personne ne va tomber amoureux de personne ! s'écria aussitôt Lars en roulant des yeux agacés. De un, parce que l'idée est juste ridicule et de deux, parce que...parce que c'est ridicule, voilà !



Mais bon sang, d'où est-ce que ce type sortait des idées pareilles ? Tomber amoureux de Leïv ? Et puis quoi encore ?! Malgré sa longue existence, Lars n'avait pas beaucoup d'expérience en la matière, mais ce genre de chose : l'amour, les sentiments et tout le tralala... ça prenait du temps, non ? Avec Leo, leur relation avait mis tellement d'années à se bâtir ! Quant à Leïv... oui, c'est vrai qu'il y avait ce petit quelque chose de bizarre entre eux... mais c'était juste physique, voilà ! Rien de plus. Aldiem délirait. Tomber amoureux de Leïv... un type qu'il ne connaissait que depuis une semaine ! La bonne blague !



— Bien sûr que si, ça va se terminer comme ça ! répliqua le cortégien en le fixant durement. Comment ne pas aimer un homme aussi merveilleux ? Leï... Le Seigneur Leïv est si doux, attentionné...



Sa voix dégoulinait de mièvrerie tandis qu'il déblatérait à n'en plus finir sur la perfection de son dieu. Mais qu'est-ce qu'il était saoulant ! Même si oui, Lars devait admettre que Leïv était vraiment adorable. Toujours de bonne humeur, toujours aux petits soins... et cette façon qu'il avait de le fixer avec ses grands yeux chocolat ! Tellement, mais tellement adorable... Et toute la passion qu'il mettait dans ses caresses, ses baisers, ses étreintes !



Un signal d'alarme résonna aussitôt dans sa tête. Attention, Lars, attention !



Le jeune homme chassa furieusement ces foutues pensées parasites de son esprit. Elles n'arrêtaient pas de le harceler, à croire que son hôte lui avait jeté un sort. C'était vraiment perturbant. Pour se changer les idées, il se força à se concentrer sur le charabia insensé que continuait de débiter Aldiem. Mais faites-le taire, bon sang !



— Et vous... ! Comment pourrais-je en vouloir au Seigneur Leïv de vous désirer ainsi ? Il a toujours été sensible à la beauté, et la vôtre est incroyable, irréelle... inhumaine !



Il s'interrompit, sans cesser de le dévisager avec intensité. Son regard reflétait une myriade d'émotions : colère, frustration, douleur... ce type était réellement transi d'amour ! S'il ne le trouvait pas aussi horripilant, Lars aurait presque eu de la peine pour lui.



— J'en viendrais à préférer que vos intentions envers lui soient néfastes... De cette manière, il cesserait de vous idolâtrer autant et ne souffrirait pas après votre départ... Mais même si vous me le disiez en face, je ne vous croirais pas, parce vous le regardez exactement de la même façon...



Aaaaah, mais qu'est-ce qu'il racontait encore ?!



— Stop ! Je ne veux plus entendre toutes ces niaiseries ! C'est à vomir !



— C'est vous qui m'avez exhorté à me confier. Je ne vous ai jamais dit que j'étais un grand bavard ? C'est même ce que le Seigneur Leïv préfère chez moi.



— Pitié Aldiem, tais-toi maintenant ! s'impatienta le magicien en tapant des pieds sur le sol.



Il se planta ensuite devant lui, des éclairs plein les yeux. La tournure que prenait cette conversation l'énervait sérieusement. Il n'avait plus envie d'écouter les insinuations de cette espèce de Sainte Nitouche. Pour la simple et bonne raison que c'était juste des foutaises. Les délires d'un type jaloux qui se faisait des films.



— Je vais le répéter une dernière fois, alors écoute bien : entre ton maître et moi, il n'y a rien. Pas de sentiments, pas d'amour. Rien. Je n'ai aucune idée de ce que tu veux dire par "ces regards" entre nous, mais tu fais ton paranoïaque. Et c'est juste affligeant !



Le serviteur le fixa longuement, une lueur indescriptible dans ses iris vairons. Puis il se rapprocha à son tour très lentement, réduisant encore plus la distance entre eux, et lui offrit un grand sourire mesquin avant de déclarer à voix basse :



— Peut-être que je ne le sais pas encore, mais qu'un jour nous serons amis. Et que ce jour-là, je regretterais amèrement ce que je suis sur le point de vous dire. Mais vous savez quoi ? Je n'en ai rien à faire. Que vous continuiez de vous voiler la face ou pas, ça n'a aucune importance, car dès l'instant où il renaîtra, vous et moi partagerons la même douleur. Et la simple idée de cette vision me donne presque envie de souhaiter que ça arrive, parce que ça en vaudra franchement la peine !



Très bien. Il n'était apparemment plus question d'enterrer la hache de guerre. Et puis Lars n'avait plus du tout envie de faire des efforts. Cet idiot venait quand même de relancer les hostilités ! Peu importe que ce soit puéril, il ne comptait pas se laisser faire.



Ils allaient jouer.



— Très cher Aldiem, murmura alors le jeune homme en chassant un grain de poussière imaginaire sur le col de son veston, avec un petit sourire en coin. Ce n'est pas beau d'avoir des pensées aussi vilaines, surtout pour une Sainte Nitouche comme toi.



Il se recula ensuite et fit disparaître le miroir d'un petit geste négligent de la main. Il tourna ensuite les talons, attrapant ses vêtements au passage, puis se dirigea vers la porte.



— En tout cas, merci pour ton aide, lança-t-il par-dessus son épaule. Grâce à toi, Leïv et moi allons passer une journée mémorable demain. Peut-être qu'un jour, je te raconterai tous les détails de ce dîner galant. Tu sais... lorsque nous serons amis. Sur ce, je te souhaite une douce et agréable nuit.



C'est sur ses mots qu'il quitta la pièce d'une démarche arrogante. Il imaginait très bien la tête frustrée de l'autre et cela ne fit qu'accentuer sa toute nouvelle bonne humeur. Bien fait. Cet imbécile n'avait qu'à ne pas le chercher.



Le charabia qu'il venait de lui sortir était d'un ridicule, mais Lars décida de ne pas en tenir compte. Oui, il s'impliquait énormément pour ce dîner, mais uniquement parce qu'il s'agissait de la moindre des politesses envers son hôte. Surtout qu'il était si gentil...



Enfin bref, au lit ! Pas question d'avoir une tête de déterré demain. Lars se devait d'être absolument parfait. Pour lui-même. Mais aussi pour Leïv. 

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