CHAPITRE XVII : LEÏV - BRISER LA GLACE (1/2)

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Le soleil se reflétait dans les iris brunâtres de l'Incarnation du Lion. Au vu de sa position dans le ciel, il ne devait pas être plus de 9h00, 9h30 grand maximum. Quand il ne voulait plus penser à rien, c'était son activité préférée. Regarder le soleil. Plus il s'attardait dessus, plus il distinguait de nuances lumineuses, un spectacle de toute beauté auquel seuls les signes de Feu avaient droit grâce à une immunité très spéciale : leurs yeux ne craignaient pas les brûlures. Aucun type de lumière ne pouvait les aveugler. Ajoutez à cela qu'il était également un signe d'Été, quant à lui insensible à toute forme de chaleur, et vous obtenez la perfection même.

Néanmoins, ce n'était pas pour se lancer des fleurs qu'il s'y adonnait aujourd'hui : Lars l'inquiétait. Plus précisément, ses récents comportements. Il lui avait à peine adressé la parole ces trois derniers jours, et il passait la grande majorité de son temps à s'entraîner au cœur de ce volcan isolé. Plus que ça, en fait, c'était presque... de l'acharnement, une obsession. Leïv a plusieurs fois tenté de lui faire ralentir la cadence, parce qu'il voyait que ça lui faisait plus de mal que de bien, sans résultat. En outre, il l'avait envoyé paître, et par la grande porte. Mais un vrai Lion ne se laisserait pas abattre aussi facilement ! Enfin, question de point de vue...

Lars était un humain... un homme décidément très compliqué. Le temps qu'il parvienne enfin à le comprendre, la 5ème Génération aura déjà pris place ! Ça devait forcément avoir un lien avec ce qu'il s'était passé entre eux. Le regrettait-il ? Peut-être... Au fond, ça l'arrangerait certainement. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher, il n'aimait pas du tout cette situation. Pourquoi ce fichu magicien agissait ainsi ? C'était presque comme s'il s'efforçait de l'éviter !

Le son d'un corps en mouvement sous les draps le poussa soudain à cesser sa contemplation et à se tourner vers le lit, où Aldiem venait de s'éveiller. Le divin lui adressa un sourire avant de quitter le rebord de sa fenêtre pour le rejoindre et déposer un doux baiser sur sa bouche pulpeuse.

— Tu as bien dormi ?

— À merveille, Monseigneur.

Ses longs cheveux ébouriffés et la marque de l'oreiller sur sa joue pâle lui donnaient un air tellement mignon, que la divinité ne put se retenir de l'embrasser une seconde fois en mordillant sa lèvre inférieure jusqu'à le faire soupirer d'aise.

— "Monseigneur"... Cela fait déjà dix-neuf ans que vous avez tous recommencé à me vouvoyer et à m'appeler ainsi, et c'est toujours aussi étrange à entendre, confia le Coureur de Lumière dans un petit rire après s'être séparé de lui.

— Je sais, je ressens la même chose... Mais c'est le protocole, autant commencer le plus tôt possible dans les deux derniers siècles avant votre prochaine vie. Plus vite nous nous y habituerons, moins nous aurons de difficultés à vous dire au revoir et à nous préparer au prochain vous.

À ces derniers mots, Leïv baissa légèrement les yeux et s'adossa contre la tête de lit boisée, mains derrière la tête.

— Le prochain moi... Je crois que je le déteste déjà.

— Ne dites pas de sottises, je suis sûr que vous serez très bien ! Pourquoi ce pessimisme ?

— Je ne serais plus moi, c'est une raison suffisante.

— Qu'est-ce qui vous tracasse ? lui demanda Aldiem après un instant de silence, l'air soucieux. D'habitude, vous ne vous montrez pas aussi sensible à ce sujet... Est-ce à cause de l'intrus ?

— Je sais que tu ne l'aimes pas, et c'est tout à fait compréhensible après ce qu'il t'as fait...

— C'est plus que ça, je ne lui fais pas confiance. Je crains qu'il n'ait une mauvaise influence sur vous.

Le représentant de la cinquième constellation planta soudain son regard dans le sien et se mit à agiter exagérément les doigts dans sa direction :

— Tu insinues que moi, le grand Leïv, j'ai l'esprit aussi malléable ? lança-t-il sur un ton faussement outré.

— Non, pas du tout ! Ce que je veux dire, c'est... Que connaissez-vous de lui, en fin de compte ? Comment pouvez-vous être sûr qu'il ne vous entraîne pas lentement dans un piège, comme... comme...

Les yeux du Dieu s'écarquillèrent légèrement tandis qu'il comprenait enfin les paroles de son serviteur. Alors il prit délicatement son visage entre ses mains et l'embrassa pour le faire taire, puis il posa son front contre le sien en fermant les yeux.

— Ça n'arrivera pas. Pas à moi. Je t'en donne ma parole.

Ensuite de quoi, il se leva du lit et se dirigea vers la sortie.

— Où allez-vous ? lui demanda Aldiem avec une pointe d'appréhension dans la voix.

— Là où j'ai des choses à tirer au clair. Je commence à en avoir assez de son petit jeu.

Sans plus de cérémonie, il quitta la case et courut, courut le long de la branche principale jusqu'au bord... et bondit dans le vide. Plus rapide. Il se réceptionna au sol sans la moindre difficulté, créant de ce fait un impressionnant cratère qu'il enjamba sans broncher avant de se remettre à sprinter, si vite que l'air fouettait constamment son visage, lui piquait la peau... mais pas autant que les rejets répétés de Lars, que ce soit à son encontre où celle de son propre corps qui, il le sentait, devait très certainement lui réclamer grâce. Il fallait y mettre un terme.

Une fois arrivé au volcan, il trouva, comme il s'y attendait, son invité en plein exercice. Il ne restait plus aucune trace de glace sur les parois du cratère. À la place, des dizaines et des dizaines d'énormes loups aux corps lisses et immaculés avaient envahi les lieux. Ils tournaient lentement autour du magicien en faisant claquer leurs mâchoires. Leurs yeux améthystes brillaient d'une lueur bestiale, tandis que leurs crocs scintillaient férocement sous le soleil.

Encerclé de toute part, Lars ne regardait même pas ses adversaires alors que plusieurs d'entre eux prenaient de l'élan pour bondir vers lui. Poings et lèvres serrés, il semblait perdu dans ses pensées... Mais qu'est-ce qu'il fichait ? Cependant, au moment où les premiers loups lui fonçaient dessus, le jeune homme réagit avec une rapidité inattendue pour un humain... Ceci dit, pourquoi s'étonner ? Lars n'avait rien de normal.

Il tendit les bras de part et d'autres de son corps tandis que des fouets de lumière violets se déployaient soudainement de chacune de ses paumes ouvertes. Les armes claquèrent dans l'air avec violence, faisant exploser la tête de plusieurs assaillants au passage. Le magicien et ses loups entamèrent ensuite une sorte de danse mortelle... et fascinante.

Lars se mouvait avec grâce et élégance, maniant ses fouets avec dextérité. Aucune des bêtes de glace ne parvenait à l'approcher suffisamment pour espérer le blesser. Peu importe qu'elles essayaient de le prendre à revers, le surprendre par derrière ou encore l'attaquer d'en haut. Elles finissaient la tête en miettes.

Ses gestes étaient parfaitement calmes, méthodiques et pourtant... elle était à nouveau là. Cette lueur dans ses yeux. La même que celle qui y brillait lorsqu'il s'en était pris à Aldiem. C'était tellement dérangeant... voire même effrayant. De quoi cet homme pouvait-il bien être capable lorsqu'il avait accès à tous ses pouvoirs ?

Leïv se rendit alors compte qu'il ne savait effectivement rien de Lars. De qui... de ce qu'il était vraiment. De ce que cela impliquait. De la place qu'il occupait dans son monde. Avec un caractère aussi arrogant, il devait forcément être quelqu'un d'important.

Le divin se promit de lui poser toutes ces questions. Enfin... s'il arrivait à briser la glace et l'arracher à ce mutisme si fatiguant. Mais quel homme compliqué, songea-t-il en reportant son attention sur le sorcier qui était désormais entouré de corps décapités, certains carrément tranchés en deux. Il avait toujours l'air aussi froid, et son visage dénué d'expression. Mais Leïv ne manqua pas les signes de fatigue : ses épaules et ses bras tremblaient légèrement tandis que la lumière qui composait son fouet vacillait, comme si elle allait s'éteindre d'un moment à l'autre. Le jeune homme était clairement exténué. Et pourtant, le combat ne semblait pas prêt de se terminer...

Les cadavres de glace se liquéfièrent soudain sur place, puis se rassemblèrent lentement pour fusionner en un loup gigantesque, encore plus grand et féroce que celui que Leïv avait vu lors du tout premier entraînement de Lars. Le monstre émit un grognement rauque en raclant ses griffes sur le sol. Face à lui, ses mèches corbeau voletant autour de son visage, le magicien paraissait si petit et fragile... d'autant plus que ses armes disparurent dans une myriade d'étincelles violettes tandis qu'il levait une main devant lui. Le geste se voulait nonchalant, mais les tremblements de plus en plus violents trahissaient son épuisement. Assez... ASSEZ !

— Denebola ! s'écria Leïv en pointant un doigt furieux vers sa cible.

Le rayon lumineux fit exploser la bête en mille morceaux au moment où elle bondissait vers Lars, clairement dans l'intention de le réduire en charpie. Des centaines de blocs tranchants se fracassèrent violemment tout autour d'eux dans un grondement sourd. Un menhir de glace s'écrasa tout près du sorcier qui n'y prêta aucune attention, trop occupé à se retourner brutalement pour fusiller le divin des yeux. Son visage était d'une pâleur inquiétante.

— Mais que fais-tu ?! s'écria-t-il, le souffle court. Je suis en train de m'entraîner !!

— Wow, dix mots, le record à la journée vient d'être battu ! Il faut qu'on parle, Lars.

— Laisse-moi tranquille ! Il faut que je... m'entraîne...

Il joignit le geste à la parole et tendit une paume tremblante vers le stalagmite le plus proche. De minuscules étincelles y crépitèrent brièvement... avant de s'éteindre et bien évidemment, rien ne se produisit. Le jeune homme laissa échapper un cri de rage en tapant le sol du pied. Il se passa ensuite main furieuse dans les cheveux, le regard mauvais.

— Pour ta gouverne, je vois moins un entraînement qu'une séance d'autodestruction, lui dit Leïv en tentant de conserver son calme. Tu as l'air tellement faible que si je te soufflais dessus depuis ma chambre, tu t'effondrerais par terre.

— Je ne suis PAS faible ! Je suis tout sauf faible, d'accord ?! Je suis Lars Strøm, le magicien le plus puissant de mon monde, alors arrête... ARRÊTE de me sous-estimer !! cracha-t-il, les dents et les poings serrés.

— Ce n'est en rien ce que je fais et tu le sais ! Bien sûr que tu es fort, mais même les forts ont besoin de repos... Écoute, je sais que tu veux rentrer chez toi le plus vite possible, mais ça fait trois jours... trois jours que tu me rejettes comme si j'étais ton ennemi, que tu te tues à la tâche du matin jusqu'à l'aube suivante... Ce n'est pas comme ça que tu y arriveras. En fin de compte, tout ce que tu vas réussir à faire, c'est... c'est te mettre en danger pour rien ! Ce n'est pas ce que je veux pour toi...

Le magicien ouvrit la bouche, clairement dans l'intention de lancer une réplique virulente, mais les derniers mots de Leïv le coupèrent dans son élan. Ses jolis yeux s'écarquillèrent à la fois de colère et de surprise, tandis qu'il fixait le divin d'un air presque ahuri...

— Mais c'est quoi ton problème ?! finit-il par exploser en pointant un index accusateur vers Leïv. Pourquoi... mais pourquoi es-tu comme ça ? Pourquoi tu risques ta vie pour un étranger qui n'a rien à t'offrir ?! Et ne me sors surtout pas une blague salace sur... l'autre après-midi, parce que le sexe, aussi bon soit-il, n'est pas une raison valable !

Sur l'instant, l'Incarnation ne put rien répondre. Cette phrase, cette ultime phrase, résonnait en boucle dans sa tête comme un coup de tonnerre. Il n'avait pas... Non, il n'avait pas dit ça... Il ne l'avait pas dit comme ça, il devait se tromper...

— Attends un peu, que je suive bien... Tu crois... sincèrement... que depuis le début, je te cache de ma famille... en sachant les effets néfastes que tu as sur mon monde... pour une éventuelle chance de te mettre dans mon lit...? Tu as vraiment une opinion de moi aussi... basse ?

— Ce n'est pas ce que je... bien sûr que non ! protesta-t-il vivement. Je sais très bien que tu n'es pas comme ça !

— Tu en es certain ? Parce que c'est clairement ce que je comprends !

— Eh bien, tu comprends tout de travers ! répliqua Lars en agitant les mains d'un geste énervé. Moi ce que je ne saisis pas, c'est POURQUOI tu prends autant de risques... pour m'aider ? En sachant pertinemment que ta famille... que ton père pourrait... pourquoi ?! s'écria-t-il finalement en le regardant droit dans les yeux.

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