CHAPITRE XVI : LARS - CHASSEZ LE NATUREL... (2/2)

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— C'est ce que j'essayais de t'expliquer hier, au village, avant qu'Aldiem ne nous tombe dessus. Nous ne naissons pas au sens propre du terme, enfin, dans le sens que vous les humains accordez à ce mot. Nous "apparaissons", c'est le terme le plus adéquat. Nous apparaissons directement, tels que nous sommes.



— Tu es donc... né adulte ?



— C'est ça ! Nous n'avons jamais connu cette étape "d'enfance" par laquelle vous commencez votre vie. Pas de petit Leïv enveloppé dans une écharpe minuscule...



Il émit un petit rire à ces paroles, comme si cette idée l'amusait profondément. Lars ne put également s'empêcher de ricaner à cette pensée, tant elle était grotesque.



— ... et pas de vieux Leïv grisonnant non plus. De la naissance à la mort, nous gardons la même apparence. Je ne vais pas m'en plaindre, c'est chouette la jeunesse éternelle.



Oui, c'était chouette, en effet...



— Mais du coup, d'où ils sortent ces prédécesseurs dont tu m'as parlé ?



— Alors ça, c'est autre chose... Pour te l'expliquer simplement, tout repose sur Père. Il n'est pas totalement comme nous. Tandis que l'Univers nous accorde une espérance de vie certes confortable mais limitée, la sienne est éternelle et tant qu'il vivra, nous vivrons et renaîtrons pour toujours. Toutefois...



L'expression sur son visage se fit tout à coup plus sérieuse, ce que Lars remarqua immédiatement. Décidément, il ne s'habituerait jamais à le voir faire cette tête.



— Eh bien, il est éternel, non immortel. Alors un beau jour, il faudra que quelqu'un vienne prendre sa place. Nouveau Père, nouveaux enfants, c'est l'implacable logique. On n'a jamais su ce qui était arrivé aux autres Serpentaires, il a toujours refusé de nous en parler. Et au fond, je crois qu'on a tous un peu peur de lui poser la question. Heureux sont les ignorants, comme on dit. On espère juste que ça ne lui arrivera pas non plus.... pas tout de suite. J'aimerais continuer à vivre encore un petit moment en tant que... eh bien, celui que je suis maintenant. Je n'ai pas envie de lui dire au revoir.



Au sourcil intrigué que le dandy lui lançait, Leïv tourna la tête vers lui et lui offrit un léger sourire :



— C'est encore autre chose. Mais, si tu veux bien me le permettre, je souhaiterais me reposer. Je pourrais reprendre le cours plus tard si tu as envie d'en savoir plus.



De toute façon, l'estomac de Lars le rappela impérieusement à l'ordre et le jeune homme se leva dans l'intention d'aller enquiquiner ce cher Aldiem. En espérant qu'il ne lui rapporte pas des croquettes pour chats en guise de vengeance...



— Tu as intérêt à retrouver la forme à mon retour, lança le magicien en se dirigeant vers la porte. J'ai besoin de m'entraîner tout à l'heure...



— Par-là, tu veux dire t'entraîner ou... t'entraîner ? susurra Leïv en reprenant son grand sourire et son ton léger.



Lars quitta la pièce en secouant la tête, à la fois amusé et agacé par ses propos.



Il n'avait aucune idée de comment il allait gérer tout ça. Surtout maintenant que les choses étaient passées à un tout autre niveau avec l'Incarnation.



Cela ne changeait absolument rien à ses plans, bien évidemment. Il allait tout faire pour rentrer au plus vite... À condition toutefois de ne pas se laisser aller à de nouvelles folies sexuelles avec son hôte. Mais plus facile à dire qu'à faire. Lars savait parfaitement que si l'occasion se représentait (pour ne pas dire quand  elle se représenterait), il se jetterait à nouveau sur le dieu.



Ce n'était pas seulement une question d'attirance. C'était plus... complexe. Tellement bizarre et complexe ! Il n'arrivait pas à se l'expliquer, mais la présence du Lion à ses côtés lui donnait un moment de répit. L'aidait à chasser la peur. L'angoisse. Les garder à bonne distance le temps de quelques petites heures. Il arrivait alors à éloigner cette terreur sourde qui le prenait à la gorge à chaque fois qu'il pensait à Leo et l'éventualité qu'il puisse être...



Le jeune homme secoua à nouveau la tête, cette fois-ci plus violemment et en soufflant longuement. Ne pas y penser, ne surtout pas y penser... Ciel, comme c'était compliqué... Bon, mieux valait se concentrer sur où il mettait les pieds. Après un cheminement hésitant et laborieux, il réussit à descendre les marches de la mort sans se rompre le cou. Puis, s'aventurant de case en case à la recherche d'Aldiem, il retrouva finalement ce dernier assis face à un chevalet, en train de peindre ce qui semblait être une horde de chevaux sauvages.



— Bonjour, que puis-je faire pour vous ? lui demanda-t-il avec courtoisie lorsqu'il remarqua sa présence.



Le bougre avait complètement changé depuis la veille : plus calme, plus confiant, comme s'il s'était déjà habitué à la situation. Et il ne lui gardait visiblement pas rancune. Lars ne décelait en tout cas aucun ressentiment ni animosité dans ses iris vairons. Son attitude le mettrait presque mal à l'aise s'il en avait quelque chose à faire... Enfin, bref.



— Bonjour, je viens pour... euh, le petit-déjeuner, annonça le magicien d'un ton qu'il voulait affable en s'avançant dans la pièce. Leïv a proposé qu'on le prenne ensemble.



— Le Seigneur Leïv voudrait que nous mangions ensemble... vous et moi ? le corrigea-t-il avec une pointe de remontrance dans la voix avant de rincer ses pinceaux et les ranger soigneusement.



Eh bien, on ne plaisantait pas sur le respect avec lui... Oh et puis, quelle importance ! Leïv ne voyait aucun problème à ce qu'il l'appelle par son prénom, et franchement, Lars n'avait pas du tout envie de lui donner du "Seigneur" ! Et pourquoi ne pas faire des courbettes aussi, tant qu'il y était ! Sûr que ça lui plairait... mais dans un tout autre contexte. L'idée lui arracha un petit rictus pendant qu'il reportait son attention sur Aldiem.



— Bien sûr, pourquoi pas ? répondit-il finalement. Il se repose en haut. Dure nuit.



— Oui... je vous crois, commenta l'autre en posant les yeux sur le cou de Lars avec insistance.



Il devait avoir remarqué le collier de suçons (on ne voyait sûrement que ça !), mais n'avait pas l'air vraiment surpris. Du moins, pas complètement.



— C'est étonnant. D'ordinaire, il lui faut plus de temps pour s'acoquiner avec ceux qu'il s'attache à vouloir connaître. Vous devez lui avoir fait une... très particulière impression pour qu'il se dévoile aussi vite.



— Ah oui, murmura simplement Lars qui, pour une fois, ne savait pas quoi répondre à cela.



En temps normal, ce genre de propos l'aurait flatté, mais là, c'était juste... perturbant. Il n'était pas sûr de vouloir comprendre ce que cela voulait dire pour Leïv. Et pour lui.



Ce cher Aldiem se décida finalement à aller chercher à manger, non sans lui avoir jeté un regard curieux au passage. Dieu merci, il ne s'attarda pas et revint bien vite avec du pain, du fromage, des fruits, de l'eau... Et Lars dut faire appel à toute sa bonne éducation pour ne pas se jeter sur la nourriture comme un affamé.



Ils mangèrent en silence pendant un long moment. C'était d'un tel ennui ! Jusqu'à ce qu'Aldiem prenne soudain la parole, mais ce qui sortit de sa bouche ne fut rien de plus qu'un véritable et barbant monologue :



— J'aimerais que les choses soient claires : vous êtes peut-être l'invité du Seigneur Leïv, mais je n'ai pas confiance en vous. Je veille à sa santé et à son amusement depuis près de trois millénaires. Il n'est pas uniquement mon maître, c'est un homme bien, le plus agréable lui que j'aie côtoyé en ses trois vies. Alors j'ignore si votre histoire est vraie, mais ce que je sais, c'est que vous n'êtes pas un humain normal, et le regard qu'il porte sur vous non plus. Il m'a ordonné de cacher votre existence et je respecterai sa volonté, mais si votre but est de le corrompre ou de lui faire du mal de quelque manière que ce soit, sachez que je ferais tout pour vous en empêcher...



Lars ne répondit pas tout de suite, trop occupé à savourer son sandwich de fortune. Il prit ensuite une longue gorgée d'eau avant d'épousseter sa chemise pour enlever les miettes, tout cela avec des gestes délibérément maniérés. Puis, il leva la tête vers son interlocuteur et planta son regard dans le sien, un petit sourire aux lèvres :



— Bien sûr que je ne suis pas un humain normal, répliqua-t-il d'une voix suave, je suis Lars Strøm. Il secoua ensuite la tête avec amusement, avant de reprendre : Écoute, très cher, tu as raison, ton "Seigneur" est quelqu'un de gentil, correct...



Il faillit ajouter "très sexy", mais se retint juste à temps. Ce n'était pas ce genre de pensées qui allait l'aider à ne plus se laisser distraire par Leïv. Et puis, l'autre n'avait clairement aucun sens de l'humour. Il ne manquerait plus que ce charmant petit déjeuner se termine en pugilat et que son hôte l'accuse à nouveau de malmener son Aldiem chéri.



— Libre à toi de me croire ou pas, mais je n'ai aucune mauvaise intention à son égard. Tout ce que je veux c'est rentrer chez moi, conclut-il en agitant une main agacée.



Et pour ce qui est de "corrompre" son cher dieu, c'est plutôt lui qui est en train de te faire sortir du droit chemin, grinça cette énervante petite voix intérieure qui, pour son plus grand déplaisir, avait visiblement décidé d'emménager dans son cerveau.



L'autre continua de le fixer d'un air suspicieux et Lars leva les yeux au ciel en soupirant.



— Pardonnez-moi si je préfère rester prudent, mais la dernière fois qu'un étranger s'est immiscé dans la tête d'une Incarnation, ça s'est très mal fini, et nous en paierons le prix jusqu'à la fin des temps. Nous n'avons pas besoin que ça recommence, et surtout pas avec le Seigneur Leïv.



— Vraiment ? s'enquit le magicien l'air toujours aussi ennuyé, malgré la curiosité que ces propos éveillèrent en lui.



Le serviteur divin le dévisagea quelques instants avec un air légèrement surpris sur le visage, qui s'assombrit progressivement d'un sourire suffisant.



— Il ne vous a toujours pas parlé de la Grande Interdiction, pas vrai ? Autrement, vous comprendriez.



Mais qu'est-ce qu'il pouvait être horripilant avec ses airs de Sainte Nitouche !



— Eh bien non, il ne m'a rien dit, vu qu'on était encore très occupé à... faire autre chose, répliqua Lars en insistant particulièrement sur les trois derniers mots, avec un petit rictus aux lèvres. Mais peut-être voudrais-tu m'éclairer sur le sujet ?



Pour un peu, il jurerait qu'Aldiem le fusillait des yeux, avant de croiser les bras et refuser d'un signe de tête. Vexé ? Tant mieux...



— Si vous tenez tant que ça à savoir, demandez-le lui. Il vaut mieux que ce soit de sa bouche que vous entendiez... comment son père n'a pas hésité à tuer définitivement Dame Kozoro après qu'elle l'ait trahi à cause des humains, tout comme il le fait en ce moment à cause de vous !

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