CHAPITRE IX : OPHIUCHUS - LA VOIX DU DOUTE

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L'homme ouvrit les yeux avec lassitude. Il avait à peine dormi cette nuit, et malgré la paix apportée par les aurores, son repos ne fut qu'éphémère. Dans un soupir, il se redressa lentement puis s'assit sur le rebord du lit, le regard rivé sur le sol. Il le savait, son esprit était troublé. Il n'arrêtait pas de repenser à ce soir-là, à cette mystérieuse énergie... Jamais il n'en avait ressenti de semblable auparavant. Et ce renforcement soudain des Néanides... Comme par hasard, à cette année précise ! Ce ne pouvait être une coïncidence...



— À quoi songes-tu, mon ami ?



Ophiuchus releva subitement la tête à cette voix sortie de nulle part. Ses yeux méfiants balayèrent la grande chambre de pierre de part et d'autre, avant de se stopper sur la porte verrouillée à double tour.



— Voilà bien longtemps que je n'avais pas eu le déplaisir de t'entendre, "mon ami". Que me vaut le privilège de ta visite ?



— Quarante longues années, pour être plus précis...



À travers le timbre masculin et lancinant se devinait un sourire des plus sournois.



— Pourquoi cet air renfrogné ? N'ai-je pas le droit de m'inquiéter pour toi ?



— Depuis quand te soucies-tu de qui que ce soit ? rétorqua sèchement le patriarche sans quitter la porte du regard.



— Oh, tu me brises le cœur ! Moi qui craignais simplement que tu ne retombes dans tes travers...



— Mes travers ? s'indigna-t-il aussitôt en se levant d'un bond.



L'interlocuteur, en revanche, conservait un calme souverain. En vérité, il ricanait davantage qu'il ne parlait.



— Allons, ne joue pas l'innocent. Tu nous fais le coup à chaque centenaire : crises d'insomnie, paranoïa intermittente, et bien sûr tes cauchemars...



— Avoue que l'enchaînement des derniers événements ne te laisse pas indifférent, toi non plus. Je ne peux croire qu'il n'y ait pas de lien.



— Et pourtant, je t'assure du contraire : c'est impossible, tu le sais parfaitement.



— Non, c'est elle, c'est forcément elle ! Elle a dû trouver un moyen...



— Tu vois, tu commences déjà. Ophiuchus, elle est partie. Partie.



— Elle pourrait toujours revenir...



— Pas dans ces conditions.



Le divin fulminait, tremblait de tous ses membres. Sans s'en rendre compte, il faisait rageusement les cent pas dans toute la pièce, les poings tellement serrés que les jointures de ses mains en devenaient blanches.



— Ce n'est pas possible ! Je ne l'ai quand même pas rêvée, cette énergie ! s'écria-t-il en abattant une paume sur la tête de lit boisée.



— Non non, c'était bien réel. Mais ça ne provenait pas d'elle, autrement, tu l'aurais reconnue. Il faut que tu acceptes une bonne fois pour toutes qu'elle est perdue, pour toujours.



— Ça te va si bien de dire ça... Alors que sa disparition n'est profitable à personne, toi le premier !



— Tu sais quel est ton problème, Ophiuchus ? Tu as toujours été si sentimental... Tu ne sais pas ce que tu veux. Souhaites-tu qu'elle revienne, ou qu'elle ne revienne pas ? Au début, après ce qu'elle t'a fait, c'était compréhensible, mais aujourd'hui... Tes incessantes oscillations à son sujet sont des plus pénibles, il serait temps que tu fasses un choix et que tu t'y tiennes.



— Puisque je t'agace autant, tu n'as qu'à partir et me laisser en paix pour les quarante prochaines années !



L'espace d'un instant, la pièce entière se retrouva dominée par un silence pesant, si pesant que lorsque le mystérieux individu daigna élever à nouveau la voix, ce sentiment ne s'accentua que de plus belle.



— En paix ? En paix ?



S'ensuivit de sa part un long rire à glacer le sang...



— Mais enfin, mon ami... Tu n'as même pas besoin de moi pour te plonger dans la tourmente, tu y arrives très bien tout seul ! Regarde dans quel état tu es pour une petite énergie de rien du tout...



Peu impressionné par cette prestation, Ophiuchus l'interrompit d'un brusque geste de la main :



— Une énergie qui a décuplé la force des Néanides, je te rappelle ! Elles ont mis Panna en pièces et ont failli dévorer le cœur de Leïv, on ne sait même pas s'il est possible de renaître après une mort de leur... leur "main" !



— Ça, c'est ton problème, tu n'as jamais voulu la leur faire expérimenter...



— Les risques sont trop grands. Je ne perdrais pas un autre enfant à jamais ! Si tu n'es venu me déranger que dans le but de me narguer, je te conseille vivement de déguerpir...



Tout en prononçant ces paroles, l'homme s'approcha à pas feutrés de la porte, les yeux rivés sur la poignée de fer.



— Moi ? Jamais, voyons ! Je suis là pour t'aider, se défendit calmement l'indésirable.



— Si tu crois que j'accepterai quoi que ce soit venant de toi..



— Pas même un petit conseil ?



Le Serpentaire n'eut pas besoin de répondre. Son silence, l'arrêt de son mouvement, la légère inclinaison de sa tête parlèrent pour lui.



— Tu ferais mieux de surveiller ta si précieuse élite. Il n'est pas improbable qu'ils sachent quelque chose.



— Tu délires complètement. Ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils doivent chercher, tout comme moi.



— En es-tu vraiment sûr ? Après tout, ce ne serait pas la première fois que l'un de tes enfants te trahit...



C'en était trop. Ophiuchus se précipita sur la porte pour la déverrouiller et l'ouvrir dans une grande violence... Mais il n'y avait personne de l'autre côté. Le poids sur ses épaules s'allégea presque aussitôt : la vile présence avait prit congé.

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