CHAPITRE III : LEÏV - À EN PERDRE LA TÊTE

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Alors que l'aube commençait à percer le voile obscurcissant le ciel, Leïv ne fit pas qu'entendre les dernières paroles de Lars. Elles résonnaient dans son esprit. Comme si elles s'insinuaient dans chaque parcelle de son corps, ses muscles, ses veines... Ce n'était pas vraiment un ordre, plutôt une suggestion. Une suggestion à laquelle il était incapable de résister.



Entré dans un état second, il se redressa et se mit en marche, portant avec délicatesse le magicien évanoui. Il ne prêta pas attention aux rayons auroraux déchirant de part en part les ténèbres pour éclairer la plaine, ni aux Néanides qui avaient commencé à revenir en nombre autour de lui et en payaient le prix.



Portail, chez moi... Portail, chez moi... C'était la seule chose, les seuls mots qu'il pouvait encore entendre en boucle. Il avançait d'un pas lent, les yeux perdus dans le vide, suivant un petit chemin sillonnant les bois. À cette allure, il lui fallut une quinzaine de minutes pour rejoindre le passage lumineux reliant la constellation du Serpentaire à celle du Lion. Aussitôt qu'il le franchit, l'atmosphère fraîche et fleurie du printemps fit place à une lourde et intense chaleur estivale, la forêt dense se changea en une savane s'étendant jusqu'à l'horizon.



Leïv poursuivit sa route machinalement, dans un calme impérieux, pour finalement arriver à l'entrée de ce qui semblait être un village. Les habitations se composaient de cases telles qu'on pouvait encore en voir dans certains pays d'Afrique, à la différence près qu'elles étaient recouvertes d'or. La place centrale était magnifiquement décorée, dominée par trois statues gigantesques aux visages différents mais aux apparats similaires. Quelques autres, à l'image de Leïv, trônaient un peu partout dans les rues voire même sur les toits des petites maisons, la plupart dans une position plutôt avantageuse et suggestive...



Les plus impressionnantes, mais également celles aux expressions les plus dignes, surplombaient la place depuis les hauteurs de l'immense arbre placé derrière le village. Ce n'en était pas vraiment un, ou plutôt, seulement à moitié. De plus d'une centaine de mètres de haut et de diamètre, il était majoritairement constitué de grandes cases positionnées les unes sur les autres, formant ainsi le palais du Lion, parfois surnommé l'Arbre d'Or. C'était là que Leïv habitait, et plus exactement, sa résidence principale se trouvait tout en haut de l'édifice. Sans sourciller, il gravit les marches en forme de feuilles scintillantes gravitant autour du "tronc" et des "branchages" liant chaque case les unes aux autres. Une fois arrivé à destination, il se dirigea vers sa chambre et déposa tout doucement Lars sur un grand lit aux draps de satin noirs, duquel il se recula ensuite pour fermer les doubles portes donnant accès à la pièce. Ce ne fut qu'au moment où il se retrouva seul dans le grand couloir qu'il se réveilla de sa transe, sans aucun souvenir de la façon dont il était arrivé là. Tout ce qu'il avait en mémoire, c'était cette rencontre des plus étranges.



— Ce devait probablement être un rêve éveillé, ou... ou je ne sais quoi... Oh ! Bon sang ! Le rapport ! Comment ai-je pu oublier de faire mon rapport ? Père va encore me réprimander !



Sans prendre le temps de vérifier la chambre, il partit en fonçant à une vitesse prodigieuse. Il laissa derrière lui un léger halo lumineux, d'où le surnom que les humains accordaient au Lion depuis sa toute première Incarnation : Coureur de Lumière. En quelques secondes à peine, il atteignit le portail du Serpentaire, devant lequel il prit la peine de s'arrêter. Il préférait le traverser normalement plutôt qu'en pleine course, sachant d'instinct que cela risquerait d'être mauvais pour lui, et reprit son rythme effréné presque aussitôt après être passé de l'autre côté.



Le soleil éclairait désormais la totalité du paysage : les Néanides ne réapparaîtraient plus jusqu'à la tombée de la nuit. Les dégâts sur la flore avaient quant à eux déjà été guéris. Les plaines, les jardins, les longs couloirs du château de pierre se succédaient dans son champ de vision avec une rapidité terrifiante. À son entrée pour le moins grandiloquente dans l'amphithéâtre des Assemblées, toute l'attention se riva sur lui, à commencer par les prunelles azurées de Byka :



— Leïv, enfin ! Où étais-tu donc passé ?



— Un peu plus et nous nous chargions de te localiser, si tu souhaitais nous faire croire à une disparition tragique, c'est raté, en plus d'être de mauvais goût, le toisa sans attendre une femme luxueusement parée.



— Et si nous lui laissions le temps de s'expliquer ? Je suis certain qu'il a une raison tout à fait valable pour son retard.



L'homme qui venait de prendre la parole se pencha du haut de son piédestal, dominant les autres de sa simple présence. Sur son visage tomba une longue mèche verte qu'il remit en place d'un geste délicat, sans jamais quitter des yeux le jeune homme encore tout ébouriffé.



— N'est-ce-pas ? insista de nouveau Ophiuchus, Incarnation du Serpentaire et père de tous les divins.



D'abord silencieux le temps de quelques secondes, le bien connu plaisantin répondit par un sourire jusqu'aux oreilles :



— Bien sûr ! J'étais en patrouille, au cas où des Néanides auraient profité de l'ombre de vos forêts pour s'y cacher du jour. Bonne nouvelle, je n'ai rien trouvé !



— Et ça t'a pris une demie-heure ? rétorqua la femme suspicieuse en levant un sourcil.



— C'est une très grande constellation, répliqua Leïv avec entrain.



— Panna, mon enfant, laisse le tranquille. Ce qu'il raconte me paraît crédible. Quant à toi, viens t'asseoir, que je puisse vérifier que tout va bien et vous libérer.



Lançant une grimace satisfaite à sa sœur, il s'exécuta et prit place à côté de cette dernière, qui en retour releva le menton d'un air boudeur sans mot dire. Les constatations furent vite faites : il n'y a pas eu de blessés, et le nombre de Néanides à éliminer n'a pas vraiment évolué depuis le début de l'année. En soi, ce n'était pas une mauvaise nouvelle, mais pas vraiment une bonne non plus dans la mesure où il serait préférable qu'il baisse.



La réunion terminée, Panna partit la première, suivie de près par un homme blond qui n'avait pas pris part au débat par respect pour son frère, qui l'en remercia d'un hochement de tête. Byka s'en alla à son tour, tapant dans la main que Leïv avait levée à son intention, sourire en coin. Il était sur le point de commencer à converser avec elle quand Ophiuchus l'appela à rester, ce qu'il fit avec la tête d'un enfant sur le point de se faire gronder.



— Es-tu sûr que tout va bien ? lui demanda au contraire le patriarche d'une voix douce. Il n'est pas dans tes habitudes d'ignorer la ponctualité, j'étais très inquiet pour toi.



— Vraiment ? Eh bien, il ne fallait pas, Père, je vous assure, je me porte comme un charme !



— Bien, puisque tu le dis, je te crois, déclara-t-il dans un soupir soulagé, la prochaine fois que tu entreprends ce genre d'initiatives, préviens moi, si ce n'est pas trop te demander ?



— Je vais essayer d'éventuellement y penser !



Riant à cette réponse très... digne de son fils, Ophiuchus posa sa main droite, tatouée d'une tête de serpent argenté, sur la flamboyante chevelure et la tapota affectueusement.



— Ah, mon garçon, je vois tellement d'ombres sur les visages, dans les cœurs... et même hors de ces murs, que ta lumière et ton insouciance me surprennent encore. Ne change jamais.



— Pas en cette vie, c'est promis ! répondit Leïv, les yeux clos et souriant de toutes ses dents.



Enfin autorisé à quitter les lieux, le Dieu du Lion s'empressa de retourner chez lui d'un pas léger et confiant... quoique fatigué par cette longue nuit d'efforts. Il traversa la forêt, le portail, la savane et le village d'une traite, grimpa les étages de la demeure sans s'arrêter, ouvrit les portes de sa chambre et s'effondra sur le lit dans un long râle, sans se soucier de la présence d'une certaine personne qui fut ainsi secouée sans ménagement.



* * *



Lars, promets-moi de ramener Leo vivant, promets-le moi...



Le regard doré le fixait d'un air suppliant, tandis que ses doigts frais s'enroulaient autour des siens dans un geste désespéré. Sensible à sa détresse, il serra ses mains très fort dans les siennes en se jurant de protéger son ami au péril de sa vie.



Je te le promets...



* * *



Lars fut réveillé en sursaut par un mouvement brusque à sa droite. Les pensées d'abord dans le flou, le retour à la réalité fut comme une douche froide. Il écarquilla les yeux à la fois de stupeur et d'incompréhension lorsqu'il comprit où (et surtout, sur quoi) il se trouvait. Comment se faisait-il qu'il ne soit toujours pas auprès de Leo ? N'avait-il pas été assez clair ou bien est-ce que ce type était tout simplement trop stupide pour comprendre une toute petite demande de rien du tout ? Et... d'où sortait cette chaleur ? Quelle horreur ! C'était étouffant !



Les lèvres pincées et une boule au ventre, il regarda rapidement autour de lui, notant la masse bronzée étalée à côté de lui. Allongé sur le ventre, la tête tournée côté couloir, le Chat semblait endormi. Sans son armure et à la lueur du jour, son corps travaillé était bien plus visible, et surtout très agréable à regarder... Chassant aussitôt cette idée de son esprit, Lars vérifia vite fait que rien ne lui manquait, ce qui ne semblait pas être le cas, puis observa une fois de plus l'intérieur de la pièce. Il remarqua sur quelques commodes et l'une des tables de chevet diverses statuettes scintillantes, toutes à l'image du maître des lieux. Toutes. À son. Image. Qui pouvait bien avoir dix exemplaires miniatures de soi-même dans sa propre chambre, et en or massif ? Quelqu'un avec un égo de compétition, à n'en point douter !



— Qui est là ? souffla Leïv en mouvant misérablement ses bras et ses jambes sans vraiment se bouger plus que ça. Aldiem ? Noxir ? Tu m'attendais ? Désolé, je n'ai pas la force de m'occuper de toi pour l'instant...



Il ne s'inquiétait même pas de savoir qui était dans son lit ? Peu importe, Lars n'avait pas de temps à perdre. Il devait rentrer chez lui, et cet imbécile avait fait échouer sa première tentative. Il allait être un obstacle, c'était certain, et il fallait donc s'en débarrasser au plus tôt... Mais il se sentait encore trop faible pour utiliser ses pouvoirs.



Le magicien s'empara alors de la première chose qui lui tomba sous la main, soit une lourde statuette du soi-disant dieu en tenue d'Adam allongé près d'un lion, dont la queue dissimulait la partie la plus intéressante. Il aurait volontiers admiré le travail d'orfèvre s'il n'était pas aussi pressé, et surtout, il aurait sans doute évité de l'endommager. Mais le mal était fait : l'objet termina sur la tête de Leïv.



Malheureusement, le choc ne l'assomma pas. Au contraire, ce fut même le bibelot qui se brisa en deux ! Cette fois, le rouquin se retourna et, bouche bée, détailla son assaillant comme s'il ne s'attendait pas à le voir :



— Alors... Tu es réel ?



Puis il s'assit en tailleur et son regard dévia naturellement vers la pauvre statuette décapitée, ce qui alluma une flamme d'indignation dans ses yeux :



— Sérieusement ? C'était ma préférée ! N'as-tu donc aucun respect pour l'art ?



Pas vraiment surpris, plutôt désappointé de la tournure des événements, Lars bondit hors du lit et se redressa, un air condescendant sur le visage :



— Et toi, tu aurais dû m'obéir correctement. Tu étais censé me ramener chez moi, et non dans cette... je ne sais pas comment appeler ce musée des horreurs !



— Ravi de voir que je suis à ton goût, rétorqua le Lion vexé en croisant les bras sans bouger de sa position, je ne sais pas ce que tu m'as fait, mais si je t'ai emmené ici, c'est que tu devais le vouloir. Et dire que j'ai dû mentir aux autres pour couvrir mon absence... Ils n'auraient pas aimé apprendre ton existence, oh ça non. Et si je leur dis ce qui s'est passé, ils se moqueront de moi pendant des années !



— Quoi ? Il y en a d'autres comme toi ?



Question stupide, se dit trop tard le dandy. Évidemment, s'il s'agissait d'un signe astrologique, il était logique qu'il ne soit pas tout seul.



— Ici, c'est moi qui pose les questions !



Sans prévenir, Leïv se pencha pour l'attraper par les manches et le fit basculer sur le lit, puis il se positionna sur ses hanches pour l'empêcher de bouger et agrippa fermement ses poignets, le regard brillant d'une lueur prédatrice malgré un ton on ne peut plus sérieux dans la voix :



— Vu que je suis en délicate situation à cause de toi, tu as intérêt à me donner une bonne raison de ne pas te dénoncer aux miens...

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