CHAPITRE I : LEÏV - QUE LA LUMIÈRE SOIT

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Il faisait nuit noire au sein de la constellation du Serpentaire. Les imposants nuages porteurs de ténèbres couvraient la totalité de la voûte céleste. La lune, les étoiles... De la plus intense à la plus fragile, ils coupaient chaque lueur de la vue. Tout du moins, c'est ce qu'un œil non averti penserait, car en vérité...



— Baisse-toi !



Ce n'était point des nuages. Les nuages ne se divisaient pas en centaines de sphères animées d'une volonté propre. Les nuages ne venaient pas envahir l'espace comme bon leur semblait et contre toutes les lois de la physique. Les nuages ne faisaient pas disparaître tout être et toute chose d'un simple toucher.



— Denebola !



Du bout de ses longs ongles noirs, l'homme envoya un rayon de lumière en direction de sa camarade, qui exécuta promptement son ordre pour permettre à un nouveau groupe de ces indésirables de recevoir comme il le fallait leur cadeau de bienvenue : l'annihilation pure et simple. Les petits globes obscurs s'effacèrent sans un bruit tandis que l'impressionnante femme à la peau d'ébène se relevait, adressant à son sauveur un sourire en coin. Ce dernier, vêtu d'une armure d'or étincelante, lui rendit son rictus même s'il savait qu'elle ne pouvait le voir en raison du masque dissimulant la moitié de son visage, avant de recommencer à pulvériser leurs ennemis qui ne cessaient d'affluer à l'infini.



— Fichues Néanides... Quand en aurons-nous fini avec ces parasites ? lança-t-il en reculant pour se coller dos à dos avec elle.



— J'imagine que nous devrons poser la question à nos successeurs, répliqua-t-elle en serrant les poings, emprisonnés dans de gigantesques gantelets de fer.



— L'aube ne va pas tarder à se lever... Courage, ma sœur !



Les boules ténébreuses continuaient de leur tourner autour, sans toutefois s'avancer davantage. Elles avaient beau être dénuées d'intelligence digne de ce nom, leur esprit de ruche leur a bien appris à qui il valait mieux ne pas se frotter : lui, le grand, l'unique Leïv, détenteur de la toute puissance du Soleil ! C'était en majorité grâce à lui si les douze domaines pouvaient encore connaître la paix. Mais à quel prix : risquer sa vie toutes les nuits, lui qui aurait mille fois préféré les passer dans les bras de quelque amant. C'était ainsi depuis l'arrivée de ces choses, depuis désormais 60 ans. Et c'était toujours le même scénario : dès l'achèvement du crépuscule, elles déboulaient de partout et de nulle part à la fois, déterminées à tout dévorer, et dès les premières lueurs du jour, elles disparaissaient, non sans avoir d'abord été en grand nombre éliminées par l'élite des cieux. Élite... Leïv a longtemps estimé mériter ce titre à lui tout seul. Et ça restait le cas ! Mais il ne devait pas le dire à voix haute, histoire de ne pas vexer les autres membres de l'équipe, à commencer par Byka, que même lui n'oserait affronter en duel sous peine de finir en purée.



— Je n'ai pas besoin de courage, seulement de tes poings ! rétorqua celle-ci en levant les bras.



Le jeune homme comprit son message. Dans un murmure, il enflamma les griffes de son armure pour ensuite transmettre ce feu aux phalanges métalliques, que l'imposante guerrière s'empressa de faire goûter aux Néanides l'approchant d'un peu trop près. Tour à tour, ils se débarrassèrent des envahisseurs, de leurs remplaçants, et des remplaçants de ces remplaçants. Il ne cessait d'en venir de cette obscurité déchirée de part en part. Par moment, les lieux semblaient dégagés plus longtemps, c'était souvent une bonne nouvelle. Dans ce cas-là, ça ne l'était point, car un cri masculin ne tarda pas à retentir au loin.



— On dirait que Vahy a besoin d'aide, constata Leïv en jetant un regard inquiet dans la direction d'où provenait la voix.



— Je vais lui porter secours, toi, reste ici et sécurise moi le passage ! Le portail de la Terre ne doit pas être laissé sans surveillance ! déclara Byka en se préparant à courir à son signal.



Il acquiesça et réfléchit rapidement à ses possibilités. Dans cette situation, seules deux lui parurent envisageables : Denebola, bien évidemment, ainsi qu'Ohnostroje. Même s'il aurait bien aimé pouvoir s'amuser à balancer des feux d'artifice dans tous les coins, il réalisa bien vite que c'était trop risqué en présence de sa sœur. Le bon vieux classique prévaudra donc ! Il se lança alors au-devant de la scène tel un bouclier humain et canarda toute la longueur du paysage de ses rayons lumineux. Une fois clairement dégagé, il écarta les bras tout en continuant son œuvre afin de délimiter un chemin protégeant Byka à la fois des Néanides et de ses propres tirs.



— Maintenant ! Vas-y !



L'athlétique femme obéit sans attendre et fonça jusqu'à disparaître dans le noir, juste à temps pour que Leïv puisse se préoccuper de sa propre sécurité : à peine se retourna-t-il qu'il manqua de se faire toucher par trois ennemis ayant profité qu'il ait le dos tourné pour s'approcher de lui. De justesse, il bondit en arrière puis embrasa à nouveau ses griffes pour déchiqueter les agresseurs sans la moindre pitié. Tandis qu'il observait une énième vague de l'armée de l'ombre l'entourer, une lueur d'excitation apparut dans son regard.



— Enfin seul...



Il ricana doucement, ne plaignant aucunement la foule vaporeuse pour ce qu'il était sur le point de lui faire subir, sans personne autour de lui pour restreindre ses options. Son fameux Ohnostroje lui était désormais accessible, mais ce n'était pas à ce pouvoir-là qu'il pensait. Il avait mieux. Oh oui, bien mieux... Il se redressa, jambes collées l'une contre l'autre, les poings serrés et légèrement levés dans les airs, un sourire carnassier aux lèvres.



— Régulus !



Une intense et gigantesque explosion de lumière embrasa son corps, ne faisant plus qu'un avec lui. Elle était si puissante qu'elle traversait même le ciel et la terre. Si puissante qu'elle éclairait la zone sur plusieurs centaines de mètres. Si puissante que la chaleur qui se dégageait d'elle s'élevait bien au-delà du supportable pour tout être vivant. C'était comme si le soleil en personne venait de s'inviter sur ce petit bout de terre pour exterminer en un unique souffle la totalité des Néanides présentes.



Leïv hurlait sa joie, savourant ce magnifique spectacle sans en souffrir un seul instant. Il savait qu'on pensait à lui : sa lumière était telle que ses frères et sœurs l'avaient forcément vue et devaient cacher leur regard sous peine de risquer de lourdes conséquences, et donc, ils ne pouvaient avoir que lui à l'esprit. Il adorait ça, il adorait être leur soleil. Qu'importe s'ils devaient le lui reprocher par la suite. Il leur sauvait la vie, après tout, il était leur héros ! Il méritait cette attention !



Il avait raison. La clarté était si extraordinaire que personne ne remarqua le vortex s'ouvrant soudainement au milieu de la voûte céleste envahie par les ténèbres. Il disparut tout aussi subitement, laissant une déchirure dans le voile noir qui permit à la lune d'apporter à nouveau sa douce lueur ; non sans avoir d'abord rejeté au sein du monde un projectile des plus étonnants. Il ne passa que quelques secondes dans les airs, terminant très vite son vol plané sur le dos de Leïv qui, déconcentré par ce brutal et inattendu contact, stoppa Régulus en plein élan. La lumière abandonna son corps maintenant redevenu chair, et il tomba sur la terre décrépite avec ce poids sur les reins. Il se ressaisit presque aussitôt, puis roula pour emprisonner entre ses mains et ses jambes l'inconscient, ou l'inconsciente, ayant gâché son plaisir.



L'espace d'un instant, il crut être en train d'halluciner. Son esprit ne pensait plus à rien. Sa bouche ne pouvait émettre le moindre son. La seule chose qu'il était capable de faire était de dévisager cet individu qu'il ne connaissait pas. Qui ne devrait pas être là. Pas sans se tordre dans l'agonie immédiate. Il resta ainsi, interdit, son attention comme happée par ses iris améthystes.



— Qu'est-ce que... Un humain ? Vivant ?



Leurs visages étaient si proches que, le temps d'une minuscule fraction de seconde, il ne put s'empêcher de le détailler. Des cheveux noirs ébouriffés par la chute, une peau délicate d'une subtile pâleur, des lèvres fines et tentatrices... Et des yeux, par le Soleil, ces yeux... Ils étaient si beaux... mais il semblait y régner comme un sentiment de confusion, peut-être même de peur. Était-il conscient de l'endroit où il avait atterri ? À cette distance, Leïv pouvait aisément humer le parfum de son âme. C'était bien l'odeur d'un humain. L'odeur d'un Lion. Ce délectable mélange de braises chaudes, de mangue et de lilas ne trompait pas. Cependant, il y avait là quelque chose d'étrange. Ou plutôt, d'inhabituel. Comme une nuance supplémentaire qu'aucun de ses sens ne pouvait identifier.



La fraction de seconde passa, de même que la torpeur de l'étranger qui se mit tout à coup à le fixer, comme si ce n'était qu'en cet instant précis qu'il commençait réellement à percevoir son environnement. La confusion dans son regard disparut pour laisser place à tout autre chose, une émotion aussi indescriptible que l'expression qu'arborait son minois. Et lorsque sa bouche s'ouvrit, ce n'était pas pour dire "bien le bonjour" ou "aidez-moi" ou "mais qu'est ce qu'un aussi beau jeune homme peut bien faire dans un endroit pareil". Ce n'était qu'un mot. Un seul mot, prononcé avec une telle puissance que les cieux en trembleraient s'ils le pouvaient, au moment même où ses paumes se posèrent sur le torse du guerrier :



Utvis !



Leïv fut alors projeté en arrière par une force invisible et brutale, pour sa plus grande stupeur. Il vola sur une dizaine de mètres avant de s'écraser lourdement au sol, complètement sonné, mais reprit vite ses esprits et se releva sans quitter des yeux cet adversaire inattendu qui, de son côté, se préoccupait davantage d'arranger son apparence que de lui. Dans une gestuelle maniérée, il plaqua ses cheveux en arrière et épousseta ses insolites vêtements en ne lui adressant qu'un seul coup d'œil snobinard.



— Un humain... avec des pouvoirs ? C'est nouveau, ça... murmura en son for intérieur l'homme à l'armure d'or.



Aucun des deux ne bougeait de sa place, se jaugeant mutuellement dans un silence de mort. La tension était telle qu'elle se faisait ressentir dans l'air et l'herbe sous les pieds, tout du moins, celle qui avait échappé au toucher mortel des Néanides. Pour le moment, aucune autre ne s'était manifestée, une véritable chance avec le portail de la Terre à quelques centaines de mètres de là. Sa douce lumière bleutée brillait encore sans peine. Leïv se demanda d'abord si ce mystérieux humain l'avait tout simplement franchi par inadvertance, avant de se raviser : c'était impossible, car cela faisait près de 500 ans que le passage avait été scellé. Personne ne pouvait le traverser depuis l'autre côté. De toute façon, son âme avait été parfaitement claire : il n'était pas normal.



— Qui es-tu ? finit-il par requérir sur un ton méfiant.

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