Avril 1664, 10h, forêt interdite

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  • Noémie ?

Fen m'avait interrompue au beau milieu de ma couture. Ayant grandis pendant l'hiver, je devais rallonger ma robe, ainsi que celle que ma seconde mère m'avait donnée.

  • Oui Fen ?
  • Cela te dirait-il de poser ton ouvrage et de m'accompagner à la ville ?
  • Quoi !?
  • Tu m'as très bien entendue, Noé. Je dois aller voir le vieux Lars, l'apothicaire.
  • Eh bien... oui, oui je veux bien ! Depuis presque un an que je suis coincée ici, aller à la ville me tente bien !

Je me levais précipitamment pour sauter dans les bras de la guérisseuse. Enfin j'allais pouvoir m'amuser ! Je rangeais ma couture dans un coffre, enfilais une capeline et sortis.

Je n'étais allée à la ville que trois fois dans ma vie. Mais de la ville que je connaissais, plus rien ne subsistait. Dans mes souvenirs, les gens étaient joyeux, extravertis, généreux. Las, ils étaient devenus le parfait opposé de cela. Déception. Quoi qu'il en soit, je ne pouvais que me réjouir de cette sortie. Ma seule crainte était de croiser quelqu'un de ma connaissance. Fendora et moi sommes allées chez l'apothicaire vendre nos potions, et mon amie lui vanta mes qualités de guérisseuse. C'était un homme de petite taille au visage rougeaud, qui avait une tignasse de cheveux roux retenus en catogan et des favoris grossiers qui lui donnait un air bouffi. Il pensait comme moi de ce qu'était devenue la ville. A ma grande surprise, il connaissait l'une de mes sœurs, qu'il avait prise en apprentissage. Je ne lui révélait rien de mon identité, car je ne voulais pas que celle-ci l'apprenne et en parle à ma famille. Cela aurait créé des problèmes, car ils auraient voulus me chercher. Je préférais qu'ils me croient morte. D'ailleurs, j'étais morte. Une nouvelle personne était née de cette fuite du monde. Désormais, j'avais 14 ans, j'étais en âge de me marier, ce que je refusais, car je considérais qu'à cet âge-là on sortait tout juste de l'enfance, et fille ou pas je trouvais inconcevable de devoir se mettre au service d'un mari ayant le double ou le triple de son âge.

Nous risquions à tout moment de croiser ma sœur. Cette dernière avait un an de plus que Nils et s'appelait Rose. Nous nous apprêtions à quitter la boutique lorsque l'apothicaire m'interpella :

  • Votre visage m'est familier, jeune fille ! Vous aurais-je déjà vue auparavant ?
  • Non, c'est impossible, répondis-je en essayant de dissimuler les tremblements de ma voix.
  • Ah mais j'y suis ! Vous ressemblez à ma petite Rosa !
  • Rose.

Je réalisais trop tard que je venais de me trahir toute seule.

  • Vous voyez que vous la connaissez ! s'exclama le bonhomme en s'approchant de nous
  • Non, non je ne la connais pas.
  • Vraiment ? Il me regardait d'un air douteux. Il avait comprit, il n'était pas dupe. Dans ce cas je lui demanderai.
  • Je vous en supplie monsieur, non ! m'écriais-je, oui je la connais, c'est ma sœur aînée, mais elle et ma famille me croient morte, et cela vaut mieux pour eux. Me savoir en vie pourrait causer leur perte.
  • Soit jeune Noémie, je ne parlerai pas de toi, puisque tu y tiens. Fais moi confiance, je suis un homme bavard, mais je tiens mes promesses.

Après notre passage chez Lars, nous sommes allées acheter du tissus, afin que je puisse me confectionner de nouvelles robes.

Fort heureusement, nous n'avons croisé personne de ma connaissance. Chaque instant, j'étais sur mes gardes, ne laissant personne voir mon visage que je dissimulais derrière mes cheveux. Fendora s'arrêta devant la caserne des gardes.

  • Noémie ? m'appella-t-elle
  • Oui Fendora ?
  • Ne désires-tu pas voir ton frère ?

Mon frère...mon frère qui depuis presque un an me cherchait désespérément, au risque d'être disgracié aux yeux des Langlois. Mon frère que j'aimais plus que tout. Mon frère qui avait fait de moi celle que j'étais. Sans lui je n'étais rien, mais depuis ma rencontre avec Fen tout avait changé. Ma famille, c'était elle désormais. Je n'avais plus de frère. Nils avait un jour été celui qui comptait plus que tout pour moi. Désormais, seule ma vie comptait. Non, je n'avais plus de frère. Si je le croisais, peut-être pourrions-nous être amis.

  • Tu es trop radicale, déclara Fendora en brisant un long silence
  • ...
  • Écoutes, ta vie d'avant n'est pas partie de ton esprit, je le vois bien. Mais tu ne dois pas la renier. Et c'est pourtant ce que tu essaies de faire en vain. J'ai une question à te poser, jeune fille : tiens-tu à revoir ton grand frère ?
  • Lirais-tu dans les esprits Fen ?
  • Réponds à ma question.

Elle avait parlé d'un ton sec. Cela ne lui était pas habituel.

  • Eh bien...je te répondrais bien volontiers oui...mais...
  • Il n'y a pas de mais, Noémie Boncens !
  • ... !?
  • J'en ai assez de te voir rechigner au travail, tu n'es pas heureuse, et tu ne le seras jamais si ton attitude ne s'améliore pas plus vite que ça ! Te voir te comporter comme une enfant de 5 ans me mets hors de moi ! Tu te dis grande, mais tu me prouves le contraire ! J'en ai assez, Noémie. Assez.

Je n'avais rien à répondre à ces mots. Elle avait raison. Rien ne se passait correctement. Je devais être une aide pour elle, pas un poids. Malheureusement, j'étais ce que je ne devais pas être.

Devais-je partir ? Après tout, il était peut-être temps pour moi de me remettre en question et repartir de zéro. Je ne savais pas qui j'étais, et je ne savais pas ce que le destin voulait faire de moi.

Un matin, je dis à mon amie que je voulais me promener. Elle me laissa aller, mais non sans me dire une liste interminable de consignes. Ne rentres pas tard, ne parles à personne, ne manges rien que tu ne connaisses pas, sois attentive à ce qui t'entoure, etc...je promis d'être très prudente et partis.

Je retournais à la ville, l'explorais de fond en comble, et n'hésitais pas à écouter les conversations des gens que je croisais. Ainsi, j'appris que la brigade dans laquelle était mon frère cherchait à recruter de nouveaux chasseurs.

Réflexion...

Peut-être devrais-je repenser à ce que m'avait dit Fen un jour. Peut-être devrais-je me faire passer pour un garçon et me faire enrôler...

La guérisseuse ne devait rien savoir de mes projets.

Une nuit, n'arrivant pas à dormir, je sorti m'asseoir sur le banc adossé à la maison, afin de réfléchir à la lumière de la lune. Il n'y avait rien à faire, j'étais condamnée à l'insomnie. Décidément ! Le sort s'acharnait sur moi ! Je traçais un mot dans la terre à l'aide d'un bâton : dilemme. Lorsque je ne savais pas où donner de la tête, j'écrivais le mot clé de mes problèmes, et comme par enchantement tout semblait s'éclairer. Étrange manière de résoudre ses problèmes, certes, mais cela m'aidait.

Tout d'abord, je devais me renseigner sur les conditions d'entrée dans cette brigade, m'entraîner et trouver un moyen de dissimuler ma féminité. Résolue, je barrais le mot sur la terre et rentrais me coucher.

Le sommeil tarda à venir, car je ne pouvais penser à autre chose que mon avenir. Malgré cela, mes paupières lourdes finirent par se clore.

Le lendemain matin, je pensais que si je voulais que Fendora ne se doute de rien il fallait que j'attende au moins un ou deux mois avant de passer à l'action. Mais elle n'était pas dupe et voyait que quelque chose se tramait :

  • Noémie, qu'as-tu encore en tête ?
  • Oh mais rien Fen, je t'assure ! Lui répondis-je avec un air innocent
  • Je ne te crois pas ma grande. Écoutes, je te connais désormais assez pour voir qu'une idée t'es venue. Et ce n'est pas pour rien que les gens disent que je suis une sorcière.
  • Toi, une sorcière ! Laisses-moi rire ! Pouffais-je, tu ne fais que soigner avec des plantes !
  • Eh oui, mais ce qualificatif m'est dû à cause de mes ancêtres, toutes des femmes, qui avaient le don de prédire de grands changements dans la vie des gens.
  • Et tu n'as pas ce don ?
  • Non, et c'est pour cela que ma mère m'a rejetée dès qu'elle l'a su. J'ai dû apprendre les plantes par mes propres moyen.
  • C'est cruel de la part d'une mère...
  • Peut-être, mais je n'en suis pas morte, et j'ai une profession que j'aime, entourée d'une fille que j'aime comme mon propre enfant !

Ce disant, elle me prit dans ses bras. Je pense que c'était surtout pour me cacher ses larmes qui coulaient le long de ses joues creuses. Sur le moment, j'hésitais à laisser tomber mon projet, sachant bien que Fen serait blessée. Mais il fallait que je le fasse. Pour moi. Pour elle. Pour Nils !

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