Chapitre 2

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C’était une journée banale, le ciel était dégagé et la brume se dissipait rapidement, laissant apparaître la cime des conifères inondant les contrebas du hameau. L’air était frais, et la température assez basse pour transformer la boue en terre gelée avec des cristaux de glace, crissant sous les pieds. Des formations nuageuses se dressaient au sud, mais le vent froid glissant de la montagne dans notre dos les arrêterait avant de nous atteindre.

Je n’étais vêtu que d’une simple chemise, car j’étais insensible aux fortes températures. Arbeid m’avait expliqué que c’était grâce au Blekking, une forme de puissance en chacun de nous, qui se déclarait différemment suivant les personnes. Cela pouvait aller de pouvoir distinguer les formes dans le noir total à changer de corps et se transformer. Certains disaient que le Blekking était réparti entre tous les êtres vivants, y compris les plantes et les arbres, mais rien ne le prouvait et peu de gens le pensait. Chacun tirait avantage de sa particularité, ce qui faisait que d’un artisan à l’autre, les techniques et les habitudes pouvaient différer suivant leur capacité. La mienne me permettait, à la forge, de ne pas souffrir de la chaleur près du foyer, ou de sortir sans porter trop de vêtements. La forge me paraissait alors aussi douce que la chaleur du lit au réveil, et l’air extérieur était juste rafraîchissant. Je m’y étais habitué, et une simple veste me paraissait encombrante et me gênait dans mes mouvements.

J’allumais la forge, et commençais à réfléchir à l’organisation de la journée. Après avoir fini les outils, comme aucune autre commande n’était à honorer, je comptais en profiter pour ranger et nettoyer l’atelier. Et tandis qu’Idari m’aidait à dresser la liste des choses à faire, quelqu’un fit irruption, en faisant claquer la porte.

-Donne-moi toutes les armes que tu as !

Ce n’était pas une voix habituée à crier, et venait d’une jeune fille, un peu plus petite que moi, surmontée d’une chevelure rousse carmin. Surpris, je n’eus pas d’autre réaction que de la détailler. Ce qui me frappa fut ses yeux, rouges et gonflés, sertis des plus belles émeraudes jamais taillées. Ses traits fins étaient durcis par sa mâchoire contractée. Elle avait l’ossature fine, et était mince, mais ses jonctions et ses muscles semblaient redoutablement solides et puissants.

Elle s’approcha de moi à grands pas, et tandis que je reprenais mes esprits pour bredouiller quelque chose en tendant les bras, espérant l’arrêter, le coup parti, et ma lèvre éclata. Je fis volte-face, plus choqué de surprise que de douleur, la tête au-dessus du charbon. Idari paniquait, je sentais son angoisse. C’est alors que s’éveillait en moi la colère, celle qui pousse à se défendre et à se débattre, mais une main agrippa mes cheveux et m’enfonça le front dans le combustible. Elle répéta :

-Où sont les armes ?

J’étouffais dans la poussière. Elle me rejeta en arrière, je perdis l’équilibre, et mon dos vint taper contre l’enclume. La douleur survint alors : la poussière sur la lèvre, le visage contre le charbon sec et dur, le dos cassé. Elle m’avait dissuadé de me relever, mais pour s’en assurer, je fus pris par le cou, et elle dégaina un kukri qu’elle posa entre mes côtes, juste au-dessus du cœur.

-J’ai besoin d’armes, de flèches. Où sont-elles rangées ? Je sais que vous en faîtes pour la milice.

Sa voix se dégagea, mais sa tête restait fermée. Ses yeux, plongés dans les miens, communiquaient une violence et une fermeté qui décourageait toute tentative. Il ne me restait plus que le choix de la peur. Essayant de lui répondre, je mis quelques essais avant d’aligner correctement mes mots :

-Nous n’en avons pas en réserve, ce n’est que sur commande. Je ne peux rien te donner, désolé.

Une moue de contrariété vint s’ajouter sur sa face. Sa main glissa de ma gorge à mes cheveux, et s’en servit pour me faire avancer, en direction de la cour. Tout en me poussant, elle me donna ses instructions :

-Tu vas t’habiller et prendre tout ce qui te sera utile pour voyager, je t’attends à la porte.

Elle me projeta devant chez moi. Je rentrai, les mains commençant à trembler. Elle ajouta à travers le seuil que tout essai de se défendre au couteau de cuisine ou à coup de bûche serait ridicule. Idari s’insurgea :

-D’où elle sort cette détraquée ? Qu’est-ce qu’elle veut ?

J’étais encore trop sonné pour lui répondre, et elle avait suivi la scène autant que moi. Je faisais de mon mieux pour préparer un baluchon avec quelques affaires. La fille m’intima de presser le pas, et de prendre un peu de nourriture parce qu’elle avait faim. Avant de sortir, je pensai à mes haches. C’était le moment de les prendre, et hors de question de les lui laisser. Je bouclai la ceinture de mon harnais, prêt à sortir pour savoir ce que me prévoyait cette enragée. Au pas de la porte, je lui demandais :

-Qu’est-ce que tu comptes faire ? Pourquoi tu veux t’armer ?

En voyant mes haches, elle me répondit d’un coup sec dans le foie. Elle me prit la main, la tordit, ce qui me bloqua tout le bras et l’épaule, et m’entraîna à grand pas avec elle. Elle récupéra au passage un sac et une lance, qu’elle avait dû laisser au sol en arrivant. Elle était vraiment partie à se battre.

De dos, je remarquai qu’elle était sale, comme si elle s’était roulée dans la boue. Tout était confus dans ma tête, et je sentais Idari angoisser sur le sort qu’elle me réservait.

Nous nous dirigions vers les hauteurs, quittant le village. Parti les portes ouvertes, la forge chaude, mes parents sauraient que quelque chose s’était produit. Je me risquais à lui demander son nom, mais elle ne rétorqua qu’en ne me tordant encore plus le poignet. Le chemin qu’elle empruntait tournait pour s’adapter à la topographie. Mais elle n’en fit rien, et fila droit en sortant du sentier, marchant dans l’herbe givrée. Nous marchâmes comme cela jusqu’à la mi-journée.

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