Chapitre 2

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La sonnerie retentit, marquant la fin de la récréation. Ilona se dirigea vers le cours d’anglais, perdue dans ses pensées. « Vivement que je retrouve Loup ! pensa-t-elle. Plus qu’une heure ! » La jeune fille suivit ses camarades dans un brouhaha confus et entra dans la salle. Une petite femme blonde aux cheveux très courts se tenait près du bureau. Elle devait replacer leur ancienne professeure qui était en congé maternité.
- Bonjour, annonça la remplaçante. Ne vous installez pas, je vais vous placer.
En effet, la professeure choisit la place de chaque élève, et Ilona se retint de soupirer de soulagement lorsqu’on la mit tout au fond de la classe « Je ne suis pas à côté de Marka ! » s’égosilla-t-elle en pensée.
- Je suis Madame Lett, votre nouvelle professeure d’anglais en attendant que Madame Marin revienne de son congé de maternité. Quelques petites règles que je...
On toqua à la porte.
Madame Lett s’interrompit et ouvrit le battant qui grinça légèrement sur ses gonds. Un jeune homme blond se tenait dans l’encadrement. Ilona reconnut immédiatement le nouveau qui avait cru au charabia de Marka.
« Oh, non, songea-t-elle, c’est le crétin ! »
Ce dernier s’excusa pour son retard, et la professeure d’anglais décida de le placer à la seule place vide de la salle. Toutes les filles -exceptée Ilona- retinrent leur respiration en espérant être à côté du nouveau, alors qu’il était déjà placé par Madame Lett.
« Non mais, sérieux ! Il n’y a que moi qui remarque que c’est un crétin, dans cette classe ?! Heureusement qu’il ne sera pas à côté de moi ! »
Après un léger temps de réflexion, Ilona se rendit compte que la seule place libre se trouvait à côté d’elle.
« Oh, non ! Je préfèrerais encore travailler sur le bureau de la prof plutôt qu’à côté de lui ! »
Justement, celui-ci se dirigeait avec indifférence vers sa place, jusqu’à ce qu’il la reconnaisse : il ouvrit de grands yeux ronds comme des soucoupes et s’arrêta net. Ses lèvres marmonnèrent un quelconque signe de mécontentement. Ilona pensa très fort qu’elle était bien d’accord avec lui.
- Bien puisque maintenant tout le monde est là, je fais faire l’appel. Si j’écorche votre nom, signalez-le-moi, je vais peut-être mettre du temps à mémoriser vos prénoms !
Ilona se demanda quel était le nom de famille du sombre idiot naïf qui lui servait de voisin de table. Elle répondit distraitement en entendant son nom et écouta attentivement.
- ... Fournier Erwan ?
- Oui ! répondit mon voisin d’un ton morne et sans conviction.
Fournier.
« Alors comme ça, Erwan s’appelle Fournier ! Je ne sais pas pourquoi mais ça me fait penser à un four à pain... » songea Ilona avec un grand sourire.
Madame Lett continua ensuite son monologue sur les règles de vie en classe, et les deux jeunes gens s’ignorèrent royalement.
- ... Et maintenant, vous allez devoir remplir un petit questionnaire afin que je prenne connaissance de votre niveau. Vous rédigerez aussi un petit texte en vous présentant.
La professeure d’anglais distribua des feuilles et les élèves se mirent au travail. Ilona remplit distraitement le questionnaire puis s’attaqua au texte. Elle remarqua d’un coup d’œil que son voisin n’avait rien commencé. Il fixait sa feuille en mordillant son crayon qui se retrouverait d’ailleurs sûrement bientôt en miettes. La jeune fille regarda discrètement la phrase qu’il devait traduire : « Je parle anglais ». Ilona sursauta.
« Il bloque sur une phrase aussi facile ! Mais il n’y arrivera jamais ! »
Elle décida de lui demander :
- Tu n’y arrives pas ?
- Non, murmura Erwan, je... je ne me souviens pas.
- Tu ne sais pas comment on dit « Je » en anglais ?! s’étonna Ilona en avalant sa salive de travers.
- Bien sûr que si, mais j’ai oublié comment ça s’écrit !
La jeune fille en resta bouche bée. Il n’y avait qu’une seule lettre dans le mot, comment pouvait-il ne pas s’en souvenir ? Décidément, Erwan était vraiment un imbécile.
- Non mais franchement ! s’exclama Ilona. Comment as-tu fait pour te retrouver dans cette classe si t’es aussi nul en anglais ?!
- Et toi, comment as-tu fait pour ne pas être encore exclue en étant si prétentieuse, agaçante et tyrannique ?! rétorqua Erwan d’un ton glacial.
- Peut-être parce que moi j’ai un cerveau ? suggéra la jeune fille, agacée d’être prise pour une peste.
La sonnerie étouffa la réponse d’Erwan qui se pressa de sortir avant Ilona. Plus il y aurait de distance entre eux, mieux ça serait.

*********

Quelques semaines passèrent, la période de Noël approchait à grands pas. Les rues se voyaient illuminées et les boutiques, magasins et supermarchés regorgeaient de jouets en tous genres.
Au collège, les élèves évoquaient joyeusement les prochaines vacances, et leur enthousiasme déteignait même sur les surveillants. Ilona n’était pourtant pas gagnée par cette joie qui semblait planer au-dessus de l’établissement : Marka l’énervait, et elle en avait marre. Mais alors, vraiment marre.
En effet, cette peste avait recruté Erwan dans sa bande d’amis, sans se lasser de lui raconter des mensonges sur Ilona :
- ... et en cinquième, elle m’a collé un chewing-gum dans les cheveux ! J’ai dû me les couper très court, et ça a mis longtemps à repousser.
- Ma pauvre ! répétait Erwan avec désolation.
Ilona entendait ces conversations de loin et ne décolérait pas.
« Mais quel crétin, vraiment ! Comment peut-il il la croire ? Non mais franchement, en plus il boit ses paroles comme s’il s’était agi de miel ! Ou de chocolat ! »
La seule chose qui mettait Ilona de bonne humeur était de voir Loup. Mais il lui faudrait attendre la fin de la journée. La jeune fille remarqua un emballage en plastique qui voletait mollement, sous l’effet du vent glacial d’hiver. Elle le ramassa et le jeta rageusement à la poubelle en marmonnant dans sa barbe. « Les gens sont vraiment bêtes et inconscients ! Si je ne l’avais pas jeté, ce truc immonde se serait retrouvé dans la forêt, ou dans l’estomac d’un requin ! »
Heureusement pour Léna qui aurait sans doute subi la mauvaise humeur d’Ilona, la sonnerie résonna dans la cour, et tout le monde se pressa afin de rentrer au chaud. Le prochain cours d’Ilona était, comme par ironie du sort, celui d’anglais. Elle se retrouva de nouveau à côté d’Erwan qui l’insupportait de plus en plus, surtout depuis qu’il en profitait pour lui reprocher toutes les horreurs que Marka lui racontait. Il était justement en train de la rabrouer à propos d’un certain manuel de mathématiques jeté dans la rivière.
- Il n’y a pas de rivière à moins de vingt kilomètres, répliqua la jeune fille d’un ton glacial et sans expression.
- C’était lors d’une sortie scolaire, insista Erwan, tu es vraiment une menteuse !
Ilona aurait sûrement pu répliquer qu’elle ne voyait pas où était la place d’un livre de mathématiques dans une sortie scolaire, mais elle se tut. Pourtant elle fut indignée de cette accusation et la moutarde lui monta rapidement au nez. Elle haussa le ton :
- Ben voyons, une sortie scolaire avec Marka alors qu’à part cette année nous n’avons jamais été dans la même classe ! C’est vraiment tiré par les cheveux ! ne te rends-tu pas compte que tout ça est ridicule ?! Marka...
- Ilona, tais-toi ! je ne sais pas ce que tu as en ce moment mais tu es beaucoup trop bavarde ! l’interrompit Madame Lett.
Confuse, la jeune fille se concentra sur le cours. Et dire que c’était elle qui avait été reprise, alors que c’était la faute d’Erwan ! Dès que la professeure aurait relâché son attention sur elle, elle lui ferait savoir sa façon de penser.
Mais le jeune homme n’avait pas perdu de temps et l’assaillait déjà de nouveaux reproches. Lorsqu’il lui donna un coup de pied sous la table, ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Abandonnant toute prudence, Ilona frappa du poing sur la table et se pencha vers lui, le doigt tendu.
- Tu es une espèce d’imbécile, de crétin, d’inconscient, de lâche, et de lèche-botte à la solde de Marka ! Tu crois vraiment que ses belles paroles sont vraies ?! C’est une manipulatrice, une fille cruelle qui te trahira à la première occasion ! Tu es vraiment le gars le plus débile que j’aie jamais rencontré ! Je te déteste !
Ilona rapprochait son doigt d’Erwan, qui, éberlué, reculait sur sa chaise. Soudain, un bruit sourd résonna dans la salle. Ilona avait détourné les yeux pour cacher ses larmes montantes. Justement, elle trouva son ennemi assis par terre, sa chaise renversée gisant à l’envers sur le sol. « Mais qu’est-ce qu’il fiche là, encore ?! » s’agaça-t-elle. Elle remarqua alors que tous les yeux de la classe étaient fixés sur eux. En réalité, à force de reculer pour éviter la furie d’Ilona, le jeune homme était tombé à la renverse... Il était maintenant assis sur le sol et levait sur elle des yeux ronds comme des soucoupes.
- Qu’est-ce que vous fabriquez, vous deux ?! s’écria la professeure d’anglais. Vos carnets !
Les deux adolescents s’exécutèrent et retournèrent en silence à leurs places, échangeant des regards mauvais, tandis que Madame Lett notait une observation dans leurs carnets de correspondance.
- La prochaine fois je vous sépare, chacun à un bout de la salle ! continua-t-elle.
« Oui, séparez-nous, aux plus extrêmes des extrémités de la pièce !!! » supplia Ilona en pensée. La sonnerie sauva la jeune fille de la présence d’Erwan, elle s’empressa de reprendre son carnet et de se plonger dans le flot d’élèves qui se hâtaient dans le couloir.
Elle sortit du collège, la mort dans l’âme. « Je ne suis pas une peste ! Tout ça c’est la faute de Marka ! Ça ne peut plus continuer c’est le plus mauvais coup qu’elle m’ait jamais fait ! Il faut que ça cesse. » Décidée à parler à son ennemie dès le lendemain, Ilona se mit en route vers son quartier. Comme elle était pressée de voir Loup ! Tandis qu’elle se hâtait, Erwan la rattrapa et lui agrippa le bras pour la retenir. Ilona se débattit.
- Mais laisse-moi ! Lâche mon bras !
- Je vais te dire une chose, Ilona : c’est de ta faute, ce qu’il s’est passé en anglais ! La prochaine fois que tu traites Marka de manipulatrice, de fille cruelle et de débile, tu auras affaire à moi !
La jeune fille, au bord des larmes, tirait sur son bras pour se dégager.
- J’ai déjà affaire à toi ! répondit-elle avant d’éclater en sanglots.
C’était trop pour elle, elle n’en pouvait plus. Son cœur était envahi d’un sentiment d’injustice et à cet instant, elle haïssait Marka, elle haïssait Erwan, elle haïssait tout le monde qui les avaient laissés faire. En voyant ses pleurs, Erwan avait lâché son bras, mais n’avait pas l’air d’avoir lâché l’affaire pour autant. Il restait là, les bras croisés, ne sachant comment réagir.
- Fiche-moi la paix ! hurla Ilona à travers ses larmes.
Déstabilisé, Erwan ne savait pas vraiment s’il fallait qu’il prenne les larmes d’Ilona au sérieux. Il en avait peut-être fait un peu trop, finalement. Le jeune homme s’approcha un peu et lui tapota l’épaule.
- Oui, bon, il n’y a pas de raison de pleurer !
- Tu te fiches de moi, explosa Ilona, tu ne te rends donc même pas compte de ce que tu me fais ?!
Erwan la regarda avec incompréhension. Ilona s’était éloignée de lui, ses épaules secouées de sanglots incontrôlables. « Mais pourquoi pleure-t-elle ? Tout est de sa faute ! Elle est responsable de ses actes, elle n’a que ce qu’elle mérite ! » Se détournant de la jeune fille, Erwan haussa les épaules et s’éloigna avec l’intention de la laisser là. En chemin, il croisa la route de Marka qui lui adressa un grand sourire réjoui et qui se dirigeait vers... « Le collège ? » Cela piqua la curiosité du jeune homme qui décida de la suivre. Que pouvait bien aller faire Marka au collège ?

*********

Ilona avait marché pour faire faire tarir ses larmes, mais elle n’avait fait que quelques mètres dans la forêt et s’était arrêtée, s’asseyant sur une souche pour évacuer sa tristesse. La présence des plantes autour d’elle l’apaisa, et ses larmes cessèrent de couler. Sous ces immenses arbres centenaires, les problèmes de la jeune fille ne semblaient d’aucune importance. Un craquement derrière elle la sortit de sa torpeur, elle se retourné pour voir ce qu’il se trouvait dans son dos. C’était Marka.
- Alors, railla celle-ci, tu chiales comme un bébé ?! Je t’ai bien eue, hein ?
Ilona ne réagit pas, trop triste pour répondre. Malgré ses efforts, elle n’arrivait pas à cacher son ennemie qu’elle se sentait blessée. La jeune fille garda les yeux rivés sur ses mains afin d’éviter le regard triomphant de Marka. Celle-ci reprit :
- Et je l’ai bien eu aussi, cet imbécile d’Erwan ! C’est lui qui a fait tout le travail ! continua Marka avec un rictus mauvais.

Caché derrière un arbre, Erwan n’en croyait pas ses yeux. Ce n’était pas du tout vers le collège que se dirigeait son amie mais vers la forêt ! Marka n’était tout de même pas en train de dire qu’elle s’était servie de lui !? Et pourquoi s’en prenait-elle à Ilona de cette façon ? « Non, ce n’est pas possible, s’étonna-t-il, Marka est incapable de toute méchanceté ! Peut-être que ce n'est pas elle... » Mais même en regardant mieux, c’était toujours Marka qui se tenait devant Ilona l’assaillant sous les moqueries. Le jeune homme fronça les sourcils et se rapprocha un peu afin d’entendre la conversation : peut-être y avait-il un malentendu ?

- Et la fois où je lui ai raconté que tu m’avais volé mon portefeuille, astucieux, n’est-ce pas ? se vantait Marka.
- Laisse-moi, rétorqua Ilona d’un ton presque suppliant.
- Oh, ne t’inquiètes pas, j’ai encore plein de choses à te raconter ! Tu sais, après ce qu’il s’est passé dans la forêt, je me suis rendue compte que tu me prenais vraiment pour une imbécile. Mais maintenant, avoues que c’est moi qui ai été la plus maligne !
Ilona leva les yeux au ciel et se renfrogna, tentant d’ignorer les piques de Marka.

Erwan n’en croyait pas ses yeux. Il se rendait maintenant compte qu’il avait protégé la mauvaise personne ! Le jeune homme grommela et se blâma intérieurement : lorsqu’il était arrivé, il ne connaissait personne, il n’aurait pas dû croire la première personne venue ! Il allait devoir s’excuser auprès d’Ilona...

Marka, un sourire triomphant aux lèvres, ayant enfin réussi à écraser son adversaire, fit volte-face et s’éloigna, disparaissant au détour d’un chemin terreux.
Ilona resta plantée là, le regard perdu dans le vague. Des larmes ne tardèrent pas à couler de nouveau sur ses joues. Soudain, prise d’un accès de fureur, la jeune fille donna un coup de pied rageur dans un caillou et s’élança sur le chemin, courant aussi vite que ses jambes pouvaient le supporter. « Il faut que j’aille voir Loup ! » pensa-t-elle en se dirigeant vers la grotte de son protégé.

Erwan n’eut pas le temps de parler à Ilona : à peine avait-il fait un pas que la jeune fille avait disparu.
- Zut ! Bon, je lui parlerai demain.
Le jeune homme rejoignit le chemin et prit la direction de la route, plein de remords et encore choqué de ce qu’il avait vu.

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