Chapitre 1

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La porte du casier claqua. La sonnerie venait de retentir dans les couloirs du collège, provoquant une vague d'élèves se pressant vers les classes. Ilona ramassa son sac avec exaspération et se dirigea en ronchonnant vers son cours de français. Toute à ses rêveries concernant la fin des cours, elle ne remarqua pas l’élève qui, d’un pas rapide, fonçait droit sur elle. Elle fut donc très étonnée de recevoir de plein fouet une volée de cheveux roux.

- Aïe ! Espèce de débile ! Tu ne peux pas regarder où tu vas ?!

- Je suis désolée, bredouilla Ilona, confuse.

- Tu crois que j’en ai quelque chose à faire de tes excuses ?!

Dans un accès de colère, Marka arracha des mains le sac d’Ilona, et en vida le contenu par terre avec rage. La jeune fille s’éloigna la tête haute, sans oublier de bousculer sa victime au passage. Ilona, restée plantée en plein milieu du couloir où passait un flot ininterrompu d’élèves indifférents, se pencha pour ramasser ses affaires, les larmes aux yeux. Elle n’avait, comme d’habitude, rien pu faire. Tout s’était passé tellement vite ! Marka s’acharnait sans relâche sur elle, comme sur tous les élèves de sa classe, exceptée sa bande de copines. Quand Ilona eut fini de replacer ses affaires dans son sac, elle se dirigea vers son cours, avec encore plus de mauvaise volonté que précédemment.

*********

- Ilona ! Je t’observe depuis tout à l’heure et tu ne fais rien ! Tu rêvasses ! J’attends un changement de comportement de ta part !

Dans leur coin, les pires ennemies d’Ilona, toute la bande de Marka, riaient aux larmes sans se gêner. Quel plaisir pour elles de voir la jeune fille se faire réprimander ! Pour une fois qu’elles n’avaient rien à se reprocher... Les autres élèves ne relevèrent même pas la tête : Ilona n’existait pas, pour eux. D’une façon ou d’une autre, tout le monde la détestait.

Le soir, Ilona rentra chez elle, blessée. Comme d’habitude, les moqueries des autres l’avaient accablée. Pour se consoler, elle se réfugia dans la forêt, le seul lieu dans lequel elle parvenait à retrouver sa gaieté et à s’apaiser. Sur le petit sentier terreux parsemé de feuilles mortes, elle marchait tranquillement, évacuant à chaque pas un peu plus de ses angoisses de la journée. Le pâle soleil de Novembre illuminait les arbres encore recouverts de leurs dernières feuilles mortes. Elle allait déboucher sur une clairière lorsqu’une forme sombre se découpa sur le chemin, à contre-jour, à quelques mètres devant elle. Elle pensa tout d’abord à un promeneur, mais ce qui bloquait le chemin était bien plus petit qu’une personne. C’était...un objet ? Un animal ? Ilona était indécise : que faisait en plein milieu du chemin cette chose étrange ? C’était ce qui ressemblait vaguement à un loup. Oui, un loup.

- Un animal pareil dans la forêt ? C’est impossible, s’étonna la jeune fille, comment aurait-il pu arriver là ? Ce n’est peut-être qu’un buisson ?

En effet, l’immobilité de la silhouette perturbait Ilona. Un grognement sourd parvint à ses oreilles et la décida rapidement sur la nature de ce qui se trouvait devant elle. Quoi que ce soit, c’était un animal qui semblait menaçant. La jeune fille commença à reculer doucement, pas à pas, puis prit ses jambes à son cou, apeurée. Les battements de son cœur s’accélérèrent, elle courait tellement vite que sa vision en devenait floue et qu’elle trébuchait sans cesse sur les racines décharnées qui dépassaient sur le chemin. Elle ne connaissait pas exactement la nature de ce qu’elle fuyait, mais elle s’en moquait à présent : il fallait fuir. Elle le sentait. Après quelques centaines de mètres, elle se retourna pour voir si elle était poursuivie, mais un puissant choc à la tête l’en empêcha, la faisant osciller sur ses jambes. Ses genoux touchèrent violemment le sol, lui arrachant un cri.

- La bête étrange va me rattraper, je suis fichue !!! pensa-t-elle, tremblante de peur.

Elle ferma les yeux, terrorisée, et dans un effort surhumain, pensant prononcer les dernières paroles de sa vie, elle hurla :

- Au secours ! La bête m’attaque !

S’attendant au coup de grâce, Ilona garda les yeux fermés, prête à mourir déchiquetée dans la mâchoire de l’animal. Mais ne sentant aucune griffe lui lacérer le visage, elle rouvrit les yeux, pour se rendre compte qu’elle venait juste de se prendre violemment une grosse branche. Soulagée, reprenant son souffle, elle tâta son front et grimaça : elle aurait une belle bosse. Elle se redressa et observa les alentours. Elle s’était beaucoup éloignée du chemin qu’elle avait prévu de suivre ; elle reconnaissait l’endroit, elle y allait souvent étant petite. Elle commençait à se relever lorsqu’elle aperçut de nouveau l’étrange silhouette. « Oh la, la ! pensa la jeune fille. J’ai perdu du temps en croyant que j’allais être attaquée par une branche... Euh non ! par un monstre alors qu’il s’agissait d’une branche, et maintenant le vrai monstre m’a rattrapée ! » En effet, l’ombre avançait, ou plutôt se traînait vers Ilona, qui, terrorisée, se prépara à s’enfuir en courant le plus vite possible. Malencontreusement, dans sa hâte, elle oublia que la branche qu’elle venait de percuter se balançait dangereusement, suite au choc. Soudain, le bois craqua puis céda d’un seul coup, ne donnant pas le temps à la jeune fille de s’écarter : la lourde branche cassée tomba et la heurta de plein fouet, la projetant sur le sol boueux. Ilona cria, de douleur et de surprise. Elle était coincée, plaquée dans la boue sous la branche qui pesait sur sa cheville. Elle tenta de se dégager, mais le bois était trop lourd pour elle, et plus elle bougeait plus elle avait mal. Elle finit par abandonner et chercha une solution pour se dégager rapidement : la bête se rapprochait dangereusement d’elle.

Son estomac se noua. « Je n’aurai jamais le temps, il avance trop vite ! » Ilona se hâtait, ses mouvements devenaient imprécis, influencés par la peur qu’elle ressentait. Elle se concentra, les yeux rivés sur la branche qui tenait sa cheville prisonnière. Il lui fallut quelques minutes pour réussir à la soulever avec un bâton par un système de levier. Elle poussa un cri de joie : elle allait enfin pouvoir sortir de cette forêt qui lui semblait depuis quelques temps bien moins apaisante que d’habitude. Mais son euphorie ne dura pas longtemps : lorsqu’elle releva la tête, elle se rendit compte que son poursuivant était juste devant elle. A deux mètres. Elle resta bouche bée, de peur et d’’émerveillement. Devant elle se tenait un magnifique loup, au pelage luisant et argenté. Ses yeux d’un bleu clair déroutant l’observaient sans aucune expression apparente. Le cœur d’Ilona fit un bond dans sa poitrine. Fuir, ou ne pas bouger ? Si elle partait en courant, le loup n’aurait aucun mal à la rattraper, et elle n’avait aucunement l’intention de se faire attaquer par un loup féroce. Comment réagir, alors ? Elle ne pouvait tout de même pas rester immobile jusqu’à ce qu’il s’en aille, à supposer qu’il s’en aille.

Une sorte de gémissement plaintif la sortit de ses pensées. Ilona mit plusieurs secondes à se rendre compte que c’était le loup qui avait produit le bruit. Intriguée plus qu’effrayée, elle tenta de comprendre la raison de cet étrange couinement. C’est alors qu’elle la vit. La blessure. Un éclat de bois pointu était fiché dans la patte arrière gauche de l’animal, de laquelle un petit filet de sang s’échappait. Rien qu’à voir la plaie, la jeune fille en eut des frissons désagréables. « Ouille, se dit-elle en ayant pitié du loup, ça doit faire super mal ! Le pauvre ! Mais au fait, je crois me souvenir qu’un animal blessé est deux fois plus agressif que s’il ne l’est pas... » Ilona commença à vraiment avoir peur : elle était en plein milieu d’une forêt en face d’un loup qui d’après ses déductions était très féroce. Et elle était trop loin des maisons pour que quelqu’un lui vienne en aide. Mais elle avait vraiment pitié de cet animal, qui était peut-être féroce sous la douleur, mais était tout de même doté d’un cœur et avait lui aussi le droit de vivre comme elle. Le loup s’était arrêté de grogner. Il dévisageait la jeune fille d’un regard curieux, se demandant peut-être s’il devait attaquer ou fuir. « Calme-toi, Ilona. Respire et réfléchis... Les loups sont rares par ici, et ils doivent être protégés. »

La jeune fille déglutit et dévisagea l’animal qui lui faisait face : ses muscles n’étaient pas tendus, ses oreilles étaient dressées mais pas couchées en arrière, et il ne montrait pas les crocs. Tout dans son attitude semblait indiquer qu’il n’avait pas l’intention de la mordre. Malgré ce constat, un frisson désagréable parcourut l’échine d’Ilona, et elle eut du mal à avaler sa salive lorsque son regard croisa celui du loup qui semblait de glace. Elle se redressa et tenta de se relever lentement, centimètre par centimètre... Le loup ne bougea pas. Ilona était maintenant debout, et dominait l’animal de sa taille, ce qui lui permit de mieux évaluer la gravité de sa blessure.

C’est alors qu’elle prit sa décision. Toute tremblante, elle approcha timidement la main du pelage soyeux. Le loup se décala et boitilla sur trois pattes, chancelant et manquant de tomber.
« Je vais te sauver, le loup, tu verras. Tu as le droit de vivre, même si tu as l’air... effrayant ? Menaçant ? Méchant ? »
La jeune fille ne savait pas trop nommer ce que dégageait l’animal, mais elle était sûre d’une chose : elle était dans le pétrin. Ils étaient tout près de la petite grotte où elle jouait lors de son enfance. Ilona déglutit et fit un geste en direction de la niche de pierre pour inciter l’animal à entrer, mais celui-ci grogna sourdement et lui fit fortement comprendre qu’il ne bougerait pas. Ilona retira vivement sa main, craignant une attaque, et tenta de l’attirer vers la grotte en faisant des allers et retours. Le carnassier renifla les lieux avec prudence. L’entrée était masquée par des branches de pin, presque invisible. Finalement, il s’ébranla, sur trois pattes, et vint bientôt se coucher, épuisé et sans forces. Contente d’elle, Ilona sourit et se prépara à repartir : ce qu’il venait de lui arriver était totalement extraordinaire, et elle venait de montrer une cachette à un loup blessé. Elle avait lu en cours de sciences qu’une blessure non mortelle n’empêchait pas les loups de chasser, et elle ne s’inquiéta donc pas.

- Bon... Au revoir, Loup. Je reviendrai demain pour voir comment tu vas. Je te promets de ramener du jambon.

L’animal ne broncha pas et émit un petit couinement satisfait.

- Oh ! Je t’ai appelé Loup ! Ça te plairait que je t’appelle comme ça ? Loup ?

Le loup grogna et Ilona prit cette manifestation pour une approbation. Elle laissa Loup s’installer et repartit en courant, désireuse de se débarrasser de la peur qu’elle associait maintenant à ces lieux et pressée de se laver de toute la boue qui avait séché sur ses habits. Elle courut le long de la route de son village, et finit pas arriver chez elle, haletante. Elle enjamba son chat, couché paresseusement sur le paillasson, et fit tourner la clé dans la serrure de la porte. Elle entra dans la vieille ferme rénovée, se débarrassa de ses chaussures et fila prendre une douche, sans vraiment ressentir autre chose que de l’hébétude, vidée de toute pensée. Elle ne réalisait pas ce qu’il venait de lui arriver. Et c’était son secret.

*********

Le lendemain, au collège, Marka réunit sa bande d’amies. L’incident qui avait eu lieu le jour précédent avec Ilona dans le couloir avait ravivé en elle un désir de lui faire payer son effronterie : lui foncer dedans, et en faisant exprès, en plus ! Oui, elle l’avait fait exprès, elle en était sûre. Elle parla au petit groupe rassemblé autour d’elle d’une voix forte et déterminée :

- Les filles, nous allons établir un plan contre Ilona. Nous en avons toutes assez que cette imbécile nous fasse suer tout le temps, avec ses réflexions sur l’écologie : « la nature, ceci, la nature cela ! » « Ne jetez pas vos papiers ici, c’est mieux dans la poubelle ! » Mais pour qui se prend-elle, celle-là ?

Marka observa la réaction de ses amies : toutes acquiesçaient. Elle attendit un peu avant de reprendre la parole, pour faire durer le suspense, puis lança :

- Mais l’heure de la vengeance a sonné ! Voilà ce que je propose : à la sortie du collège, nous allons la filmer pour la ridiculiser. Ce sera drôle, cette fille a des comportements vraiment bizarres parfois ! Qui vote pour ce plan ?

Toutes les mains se levèrent, hormis une qui voulait la jeter dans un trou. Elles se décidèrent donc à espionner Ilona, leur victime préférée.

*********

A la sortie du collège, Ilona rentra à pied, comme tous les soirs, sans se douter qu’elle était suivie. Elle se hâtait, impatiente de retrouver Loup. Lorsqu’elle arriva chez elle, elle se dirigea directement vers la cuisine dans laquelle elle s’empara d’un panier. La jeune fille y plaça des raisins ainsi que quelques tranches de jambon qu’elle enveloppa dans de l’essuie-tout. Elle y glissa aussi du désinfectant, des compresses et du sparadrap : elle s’était engagée à aider cet animal, et elle le ferait. Elle empoigna le panier en osier après avoir vérifié l’heure : elle avait une heure et demie avant que sa mère ne rentre. Elle laissa un mot sur la table, au cas où celle-ci rentrerait plus tôt :

« Coucou maman ! Je suis allée me promener, je rentre vers dix-huit heures, ne t’inquiètes pas ! Bisous, Ilona »

Puis, elle se hâta vers la forêt. Cachées derrière les arbres, Marka et ses amies la regardaient.

- Ce sera drôle, quand nous montrerons à tout le monde qu’elle se balade avec un panier sous le bras comme une vieille grand-mère ! s’esclaffa Marka.

Ilona, insouciante, arriva à la grotte. Elle décala légèrement les branches d’arbre pour pouvoir entrer et se glissa à l’intérieur : Loup était couché et ne semblait pas avoir bougé. Un grognement sourd résonna sur les parois, menaçant. Surprise, Ilona recula, pensant qu’elle était allée trop loin et qu’il aurait fallu qu’elle laisse ce loup tranquille. Elle allait sortir et partir en courant quand elle aperçut soudain une chevelure rousse disparaître derrière un buisson. La jeune fille comprit tout de suite pourquoi Loup grognait : Marka et ses acolytes étaient venues l’embêter d’une façon ou d’une autre. Il ne fallait absolument pas que ces pestes découvrent la cachette de Loup, elle devait les éloigner au plus vite. Et puis, là, tout de suite, elle avait aussi envie de se venger de toutes les misères qu’elles lui avaient fait subir. Elle réfléchit un instant pour bien préparer sa vengeance, et se tourna vers Loup avant de le rassurer pour qu’il cesse de grogner. Puis, Ilona se tapit au fond de la grotte qui lui donnerait depuis l’extérieur une voix caverneuse. Elle s’exclama d’une voix sombre et forte :

- Etrangères !

Marka et ses amies tressaillirent.

- Je suis l’esprit de la forêt, reprit Ilona. Vous n’êtes pas des êtres purs, vous n’avez rien à faire ici. Vous me mettez dans une colère terrible, car vous avez violé le sanctuaire secret de la forêt ! Partez et ne revenez jamais !

Terrorisées, Marka et ses amies s’enfuirent à toutes jambes, laissant leur portable abandonné dans un buisson filmer leur fuite. Lorsqu’elle fut sûre qu’elles étaient bien parties, Ilona sortit, se saisit du portable et regarda la vidéo que Marka était en train de prendre avant la panique qui était survenue. « Elles me suivaient depuis la sortie du collège ! Ces pestes sont vraiment ignobles, heureusement que je les ai surprises, elles auraient sûrement posté la vidéo sur les réseaux sociaux ! » s’offusqua-t-elle. Puis, après avoir coupé la partie où on la voyait se promener avec un panier, Ilona porta la vidéo sur Snapchat : pas de pitié pour ces enquiquineuses. Encore hilare, elle sortit les tranches de jambon de son panier et retourna voir Loup, afin de tenir sa promesse. Sentant l’odeur alléchante de la viande, l’animal s’approcha sans crainte de la jeune fille et happa le jambon dans sa gueule avec satisfaction.

Après être restée encore quelques minutes en compagnie de Loup, tentant de l’approcher de plus près, de le caresser -sans résultat concluant-, désinfectant à renfort de patience la patte blessée, Ilona repartit le cœur léger, fière d’avoir pour une fois vaincu ses peurs et ses ennemies. Sur le chemin, elle mangea la grappe de raisin en guise de goûter, et, à la sortie de la forêt, elle déposa le portable bien en vue sur un rocher. Elle dut enjamber son chat, couché devant la porte comme à son habitude, pour entrer. Elle rangea son panier avant de monter dans sa chambre pour se changer : ses habits étaient imprégnés d’une odeur très forte qui aurait interpellé ses parents. Heureusement, sa mère n’était pas encore rentrée. La jeune fille se jeta sur son lit en repensant à sa vengeance, souriant de toutes ses dents.

Ilona entendit bientôt la porte d’entrée s’ouvrir et le bruit familier des bottes de sa mère sur le carrelage de la cuisine. Elle salua la nouvelle venue, puis se replongea dans ses réflexions. Plusieurs minutes se passèrent silencieuses : Ilona s’amusait à reconnaître les bruits de la maison, le lave-vaisselle, le frigo qui s’ouvre... La voix de sa mère la sortit de sa rêverie :

- Ilona ! Te souviens-tu avoir mangé du jambon, récemment ? J’en avais acheté quelques tranches et je ne les trouve plus !

Ilona se mordit les lèvres ; elle n’avait pas pensé qu’on remarquerait la disparition de quelques tranches de jambon !

- Heu... Oui, répondit-elle, cherchant une réponse crédible, la semaine dernière !

- Tu en es sûre ? Je croyais que c’était une semaine végétarienne !

- Ah non, s’exclama Ilona, ça, c’était la semaine d’avant !!!

- Je ne comprends pas, j’étais pourtant sûre que... Bon, aucune importance, j’ai la mémoire courte, tu sais.

Le son cristallin de la sonnette retentit, et la mère d’Ilona accourut pour ouvrir la porte et accueillir son mari. Ce dernier lança un « Bonjour ! » retentissant, puis demanda :

- On mange du jambon avec des patates, ce soir ?

- Normalement, oui, mais il n’y a plus de jambon, j’étais pourtant certaine qu’il y en avait ! Je vais faire des nouilles chinoises. Avec de la dinde, ajouta-t-elle avec un soupir.

- Ah, bon ! Et moi qui voulais te proposer de l’aide...

- Ce sera pour une prochaine fois !

Ilona soupira de soulagement : aucun de ses deux parents n’avait remarqué que c’était elle qui avait pris le jambon. Mais il allait falloir qu’elle trouve une autre solution à l’avenir. Comme, par exemple, prendre sur ses propres économies pour acheter quelques « friandises » à son protégé...

*********

Le ciel était gris, et il tombait une fine pluie glaciale. Aussi tous les élèves s’étaient-ils réfugiés à l’intérieur du collège, bien au chaud dans les corridors aux murs jaunis. Ilona marchait tranquillement dans les couloirs du collège, le nez plongé dans un livre. Trop captivée par sa lecture passionnante, la jeune fille bouscula une autre élève qu’elle connaissait trop bien à son goût.

- Encore toi ! s’écria Marka.

- Eh oui, c’est encore moi. Je ne me suis pas encore volatilisée dans l’espace, répondit Ilona, exaspérée et tentant de mettre fin le plus vite possible à la conversation afin de continuer à lire.

- Ne crois pas que ton stupide petit numéro d’hier m’a impressionnée ! Je t’ai déjà prévenue que tu devais dégager et me laisser passer ! s’énerva Marka, prête à donner une claque à cette imprudente qui osait lui tenir tête.

- Ah oui, c’est possible. J’ai la mémoire courte, tu sais.

- Mais tu te fiches de moi !!! Tu ferais bien de t’en souvenir, à présent, avant que je ne m’énerve !

- Oui, il est possible que je me fiche de toi, répondit Ilona, maintenant bien décidée à faire valoir ses droits, parfois j’ai envie de défendre ma paix intérieure que les autres veulent entraver.

Marka ne se tenait plus de colère : ses joues avaient rougi sous l’effet de sa frustration. Ilona comptait repartir et continuer sa lecture, lorsqu’elle sentit une présence derrière elle. La jeune fille se retourna d’un bloc et se retrouva face à un garçon au cheveux blonds. « Je ne l’ai jamais vu, celui-là ! pensa-t-elle. C’est sûrement un nouveau. »

- Est-ce que ça vous dérangerait de vous décaler, les filles ? Vous bloquez tout le couloir !

- Désolée ! s’excusa Ilona. Et moi qui comptait enfin lire tranquillement, en plus j’avais réussi à garder mon calme, pour une fois...

Marka intervint dans la conversation, désireuse de se faire remarquer par le nouveau venu.

- Je suis désolée ! Mais c’est de sa faute, dit-elle en désignant Ilona. Elle a cassé mon stylo ! C’est le dernier souvenir que j’ai de mon père ! Il me l’a offert avant de mourir, continua Marka en commençant à verser quelques larmes. Ilona me harcèle tout le temps !

Le nouveau dévisagea Ilona puis s’adressa à elle d’un ton cinglant :

- Sérieusement, t’es qu’une gamine ! Tu n’as pas honte de ce que tu lui fais ?!

Ilona perdit toute notion de calme et sa paix intérieure s’envola pour crier avec colère :

- Non, sérieux ?! Mais je ne l’ai jamais vu de ma vie, son stylo ! C’est n’importe quoi ! Et puis son père vient la chercher tous les mardis !

Triomphante, Marka toisa son ennemie avec fierté, avant de s’éloigner en compagnie du jeune homme qu’Ilona détesta immédiatement : elle avait presque réussi à éviter les problèmes, quand il avait tout gâché !

Lors de la fin des cours, Ilona rejoignit Léna, sa seule amie. Elles quittèrent le collège ensemble, bavardant des cours, des dernières notes. Ilona en profita pour demander :

- Au fait, le nouveau blond, là, qui c’est ? Tu le connais, toi ?

- Tu veux parler d’Erwan ? Il est trop beau ! s’écria Léna, des étoiles dans les yeux.

- Tu plaisantes ? Il est peut-être beau, mais il est super chiant ! C’est un vrai crétin !

- Moi je le trouve génial, toutes les filles de ma classe rivalisent pour l’approcher !

- Moi je rivaliserais plutôt pour m’en éloigner, bougonna Ilona.

Quelques minutes plus tard, les deux amies se séparèrent et rentrèrent dans leurs maisons respectives.

Ce soir-là, Ilona ne put rendre visite à Loup, croulant sous des devoirs trop importants. Parfois, elle reposait son stylo et allait observer la lisière de la forêt depuis sa fenêtre, tentant de discerner entre les gouttes de pluie une quelconque silhouette juchée sur trois pattes.

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