Le premier jour de la fin de sa vie

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Le premier jour de la fin de sa vie.
Voilà l’idée qui traversa l’esprit de Flavia alors que le soleil frappait à la porte de ses paupières, la contraignant à faire face au jour aveuglant.
Pourquoi tant de lumière ? Certes, elle avait négligé de fermer ses volets, mais le soleil devait être bien haut dans le ciel pour l’éclairer ainsi.
Elle se redressa en sursaut, son cours de civilisation latine aurait lieu à 9 heures, et elle savait que le professeur Vesari ne manquerait pas de lui faire remarquer acerbement son retard.
Elle pressentait qu'il lui en voulait toujours de lui avoir extorqué sa place d’assistante en le menaçant de dévoiler ses manœuvres sournoises pour soutirer des faveurs à ses étudiantes. Et elle n’était pas dupe du semblant de statu quo qui s’était instauré entre eux, il chercherait toujours à lui nuire, quoi qu’elle fasse. C'était inévitable.
Au fond, ça lui était bien égal, son rôle d’étudiante modèle était au mieux une couverture pour la véritable mission qu’elle s’était donnée.
Ses perspectives d’avenir, ses ambitions, tout s’était évanoui dans le regard indifférent de Marco, l’impitoyable assassin de la mafia napolitaine, qui se servait d’elle sans vergogne, tout en la tenant dans le dernier mépris.
Tout s’était dissous dans la certitude de n’avoir pas été aimée de ses premiers amours qui lui avaient laissé aussi bien des blessures dans sa chair que dans son cœur…
Tout s’était enfin abîmé dans les ténèbres avec la disparition de Fabio, le jeune criminel qui tentait de la protéger malgré tout, la couvant comme une sœur.
Elle avait cru être de taille, ô pensée dérisoire ! face au Boss de la Fiammata, le grand maître de la plus puissante organisation mafieuse du pays, elle, l’orpheline, la fille de Campanie, qui voyait auparavant le monde au prisme de ses lectures romantiques, ne connaissant rien de lui, de la vie, de la passion …
Pour trouver la force de faire chanceler la forteresse la mieux gardée du pays, elle s’appuierait sur la souffrance de son cœur brisé par ses malheureuses amours.
Comment avait-elle pu penser qu’elle pourrait nager au milieu des requins sans être mordue ?
Tout ça n’avait plus d’importance à présent, elle se ferait dévorer sans état d’âme mais au moins, elle concourait à mettre à bas cet odieux personnage, vil, imbu de lui-même, qui mettait sa région à feu et à sang par sa volonté égoïste de tout dominer.
C’était l’idée de sa belle ville de Naples en proie aux affrontements des clans criminels qui l’empêchait d’en finir tout de suite, mais après… après… elle laisserait sa lumière s’éteindre de s’être trop consumée.
La vision de l’heure qu’affichait le réveille-matin la tira de ces divagations somnolentes.
8h30 ! Si on considérait que le trajet prendrait au minimum 20 minutes en bus, et que les bus passaient tous les quarts d’heure, elle serait nécessairement en retard.
Elle bondit hors de son lit, arracha le collier de cuir que lui avait imposé le Boss en signe de soumission, et ouvrant avec fracas la porte de la penderie, saisit les premiers vêtements à portée de main. Elle enfila un pantalon large à taille haute, un chemisier ainsi qu’une veste étole et sortit ainsi vêtue, son porte-document en bandoulière, sans prendre le temps d’avaler quoi que ce soit.
La brûlure que lui avait infligée le Boss la veille se rappela douloureusement à elle, mais elle aurait à la souffrir toute la journée.
Évidemment, même en allongeant le pas, il était impossible d’attraper le bus de la demie à l’arrêt Rinascimento, il avait quitté le Termini depuis cinq bonnes minutes.
Elle était donc assurée d’arriver en retard. Se pelotonnant dans la laine trop fine de son gilet, elle tenta de se prémunir contre les assauts du libeccio, le vent de sud-ouest chargé de la fraîcheur de la nuit. Cependant, elle n’avait pas opté pour une veste plus chaude car la journée serait quasiment estivale, comme il était habituel à Rome en ce début d’automne.
Elle jeta un coup d’œil alentour, la ville s’était vidée de l’afflux massif de touristes qui l’encombrait, même si quelques retraités avaient remplacé les actifs qui profitaient de leurs vacances pour visiter la Ville éternelle.
Consultant son téléphone, elle constata qu’elle jouait de malchance, le bus aurait dû être là depuis cinq minutes.
En d’autres circonstances, cela aurait mis à rude épreuve ses nerfs fragiles, mais tout lui semblait égal à présent, même les sarcasmes qu’elle recevrait immanquablement en se présentant en plein cours.
Enfin, le bus arriva et collecta les passagers. Flavia pénétra en dernier, pensant froidement qu’il était inutile de se ruer à l’intérieur, de toute manière.
Les monuments des périodes qu’elle prisait le plus défilèrent sous son regard indifférent, le Forum, puis les termes de Dioclétien, une vue qu’elle chérissait auparavant et qui ne provoquait plus ni enthousiasme, ni même le moindre intérêt.
Cependant, dès que le bus la déposa sur le parvis de l’université de la Sapienza, la plus éminente faculté d’Italie, elle pressa le pas, car les portes lui seraient fermées si elle prenait davantage de retard.
À une époque pourtant proche, son ego d’étudiante modèle aurait été infiniment flatté d’étudier dans un si prestigieux établissement, classé second au rang mondial dans sa discipline, a fortiori sous la direction d’un latiniste aussi reconnu que le professeur Vesari.
Mais ces murs lui paraissaient une coquille vide, tout comme le monde qui l’entourait, dénué de sens, sans saveur.
Perdue dans ses pensées, elle réalisa qu’elle avait ouvert le battant trop fort, et celui-ci claqua contre l’embrasure du mur, résonant à travers tout l’amphithéâtre.
Le professeur, assis sur sa chaire, mit en suspens son introduction sur la littérature du principat augustéen devant ce vacarme, et levant les yeux pour chercher ce qui l’avait causé, peina à cacher sa satisfaction en découvrant sa jeune assistante.
Celle-ci, pressentant le blâme que préparait Vesari, prit les devants.
— Je vous prie de m’excuser, j’ai manqué le bus. Pardonnez-moi d’avoir troublé le cours.
— Mademoiselle Mancini, vous n’êtes pourtant pas sans savoir qu’à Rome, les bus sont souvent en retard, vous avez dû vous mettre bien en peine pour être plus en retard qu’eux. Peut-être êtes-vous sortie bien tard hier pour ne pas vous réveiller ce matin, persifla-t-il.
Ce disant, il avait en tête la vision fortuite de la jeune fille parcourant la ville, le soir précédent, court-vêtue, le collier de soumission autour du cou. Son instinct de prédateur s’était réveillé à cette vue et il avait formé la résolution de la dominer, puisqu’elle affichait ainsi aux yeux de tous son statut de soumise. Il la haïssait depuis qu’il avait posé les yeux sur elle la première fois, furieux qu’elle ait eu le culot d’imposer son inscription hors délai, contre son avis, aidée par son excellent dossier et son audace. Il avait ensuite enragé de la voir se lier d’amitié avec Angelo Mariani, le fils du vice-président de la Sapienza, qui représentait une puissante protection.
Enfin, il se rongeait les sangs d’impuissance depuis qu’elle avait mis au jour ses exactions vis-à-vis de ses étudiantes pour leur soutirer à la fois le produit de leurs recherches et leurs faveurs.
L’heure de la revanche avait sonné pour lui, il allait renverser le rapport de force avec la jeune fille et la mettre à sa merci.
Tous les regards s’étaient tournés vers elle, et elle perçut sans peine qu’une partie importante des étudiants se délectaient de la voir ainsi humiliée. Après tout, cette fille ne faisait pas partie du sérail, elle n’avait même pas fait ses études à la Sapienza, sa position d’assistante semblait a minima suspecte, voire totalement usurpée.
À une autre époque, elle aurait été déstabilisée face à cette hostilité presque unanime, mais maintenant, plus rien ne la touchait. Cela lui sembla futile à mourir.
— En effet, répondit-elle sans se démonter, mais je pense que c’est arrivé à chacun au moins une fois de se présenter en retard quelque part. Vous savez ce que l’on dit : que celui qui n’a jamais péché… etc…déclara-t-elle en renvoyant un regard serein à l’assistance. Maintenant, si vous permettez…
Et elle alla s’installer au premier rang à côté d’Angelo, qui paraissait beaucoup s’amuser de l’effronterie de Flavia.
Il poussa ses affaires pour laisser davantage de place à sa camarade, qui n’ayant pas saisi l’allusion de son professeur, s’assit sans façon et ouvrit son ordinateur portable.
De son côté, Vesari ne s’offusqua pas de cette répartie fort peu respectueuse, il était sûr de la remettre à sa place une fois le cours fini. Il poursuivit donc son long exposé sur les relations entre Tite-Live et Auguste, l’esprit tranquille.
— Tu y es allée fort, mais on dirait qu’il ne s’en formalise plus, fit remarquer à voix basse Angelo à l’oreille de Flavia.
— Si tu savais comme je me moque de ce qu’il peut bien penser, laissa échapper celle-ci.
— Je te l’ai déjà dit mille fois, mais méfie-toi de lui. Tu as blessé son orgueil, qui est démesuré, comme tu as dû te rendre compte. Il va te le faire payer un jour ou l’autre. D’autant qu’il t’a gratifiée de l’honneur d’être son assistante, ce n’est pas rien.
— C’est sûr que ce poste aurait dû te revenir, c’est toi le plus brillant de toute l’assemblée, même comparé à lui, fit-elle observer sur un ton égal.
— C’est exagéré, tu me vaux bien, protesta-t-il en riant discrètement. En plus, ma nomination aurait fait jaser, vu la position de mon père à la faculté.
— Peut-être, mais tu ne crois pas que tous ici pensent que je l’ai gagnée en passant sous le bureau ?
— Certainement, mais ce sont tous des esprits chagrins, ils auraient été jaloux de n’importe qui, conclut-il rapidement, sous le feu du regard de Vesari, finalement agacé par ces chuchotis.
Machinalement, Flavia tapa ses notes, mais son engouement pour la matière avait passé, elle ne ferait plus que le strict minimum, ou bien elle se tournerait vers ses études pour penser à autre chose qu’à ses sombres projets, pensait-elle, désabusée.
En pianotant sur le clavier, elle regrettait de ne plus éprouver ce si vif intérêt pour les études classiques qui l’avait animée jusqu’alors.
Réellement, par le passé, elle s’était délectée de parcourir les écrits des historiens antiques, comme Tite-Live ou Tacite, qui la plongeaient dans les affres somptueuses de ces périodes révolues qu’elle aimait tant, ou les poèmes des élégiaques, hérauts de l’amour sous toutes ses formes.
Mais le vide avait empli son cœur et cela lui convenait, il constituerait une armure qui lui serait utile à mener à bien son dessein.
— Flavia, Flavia ? la rappela la voix d’Angelo. Le cours est fini, on décolle. Tu viens manger ?
— Oui, oui, acquiesça Flavia.
Elle contempla son écran, il était presque vide.
— Désolée, j’ai la tête ailleurs, tu pourras me prêter tes notes?
Angelo hocha la tête, perplexe, elle était de plus en plus distraite, ces derniers temps. Cela n’avait plus rien à voir avec son enthousiasme des premiers jours.
Il s’apprêtait à lui répondre par l’affirmative quand il aperçut Vesari qui se dirigeait vers sa camarade.
— On se voit plus tard, tu me retrouves à la Caffeteria, il y a quelqu’un qui souhaite apparemment te parler, glissa-t-il avant de disparaître dans le couloir qui desservait les salles de cours.
Flavia fit volte-face à cette annonce.
Le professeur se posta devant elle, et elle pensa qu’il avait l’air de préparer un mauvais coup à son air satisfait.
— Mademoiselle Mancini, je souhaiterais vous parler des prochains évènements à venir auxquels nous devrons prendre part. Voulez-vous bien me suivre dans mon bureau ?
Et sans attendre, il sortit de l’amphithéâtre et s’engouffra dans les escaliers qui menaient à l’étage des bureaux.
« Il m’a l’air bien sûr de lui », songea Flavia en lui emboitant le pas.
Elle contempla le dos de l’homme alors qu’il montait devant elle les marches. Son tempérament fougueux l’aiguillonnait bien un peu, elle se retenait de se réjouir d’une nouvelle passe d’armes entre elle et son professeur.
Mais cela comme le reste ne devait plus l’affecter, elle l’avait résolu.
Ils pénétrèrent ensemble dans le spacieux bureau à la décoration savamment arrangée, mêlant art déco et mobilier renaissance, mais Vesari ne s’installa pas comme à l’accoutumée sur son fauteuil et referma immédiatement la porte après eux.
Se confrontant à elle brusquement, il déclara à brûle-pourpoint :
— Je t’ai vue hier soir dans le quartier de Trevi, tu étais bien différente d’aujourd’hui, avec ta petite robe qui dévoilait largement tes charmes, et il n’y avait pas que ça…
Flavia, surprise sur le moment par ces insinuations, se reprit vite.
— Et donc, monsieur ? Je sortais d’une fête, c’est normal que je me sois vêtue pour l’occasion, affirma-t-elle, satisfaite en son for intérieur de réussir à garder la tête froide.
— D’une fête… oui, mais d’une fête spéciale, on va dire… répliqua-t-il alors que son sourire s’élargissait, carnassier, découvrant des dents anormalement blanches.
La jeune fille fronça les sourcils. Que sous-entendait-il ? Était-il au courant de la réception qu’avait donnée le Boss pour les terribles vory, du rôle humiliant qu’elle y avait joué et des sévices qu’elle avait subis? Pouvait-il imaginer qu’elle avait été offerte aux désirs des mafieux russes et à la torture de la main du Boss ?
— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle sur la défensive.
Il risquait de mettre en danger sa mission s’il mettait le nez là-dedans, et cela, elle ne pouvait y être indifférente.
Le rictus de l’homme s’accentua en lisant cette contrariété sur le visage de son étudiante. Il crut avoir fait mouche. Il la contourna pour se pencher vers elle...
— Je veux dire que tu as souffert ce soir-là, et que tu aimes ça, c’est dans ta nature. Tu aimes souffrir, et être dominée ? Je le vois dans tes yeux, susurra-t-il à son oreille, avec un incroyable aplomb.
L’effarement de Flavia allait croissant au fur et à mesure de sa tirade. Comment savait-il cela ? Qu’avait-il découvert qui lui donne cette assurance ?
Il savourait la situation, c’était flagrant. Son air triomphant révolta Flavia, qui se reprit brusquement.
— Oui, j’aime ça. C’est pour ça que je me suis trouvé un maitre cruel qui me donne plus de plaisir que vous ne pourrez jamais le faire, mentit-elle. Je vous déconseille de vous mesurer à lui, vous n’êtes pas de taille. Je suis sa propriété, et il n’aime pas qu’on y touche. Mais essayez donc, ce sera à vos risques et périls.
Sur ces paroles, elle s’adossa à la porte, et renversa sa nuque, comme si elle s’offrait à lui.
— Allez-y, prenez-moi si vous l’osez… Allez-y, je suis prête. Mais l’êtes-vous, de votre côté ?
Elle le dévisagea, provocante. Il ne s’attendait visiblement pas à ce qu’elle assume pleinement sa position et il était à son tour d’être frappé de stupeur.
— Restez dans votre cour de gagne-petit, asséna-t-elle sèchement, et n’essayez plus de vous aventurer là où on ne joue plus. Je vous garantis que vous le regretteriez amèrement.
Vesari restait pétrifié de la menace, telle une statue de sel.
— Vous me ferez envoyer par votre secrétaire la liste des évènements auxquels nous prendrons part ensemble, c’est ce dont vous vouliez me parler, il me semble. Il va de soi, car je suis votre assistante, que vous m’introduirez partout où cela pourra être utile. Je veux connaître toutes les personnes qui comptent dans le milieu. Sinon… enfin, vous savez… c’est de moins en moins dans l’air du temps de harceler des jeunes filles, a fortiori quand on occupe une position aussi en vue que la vôtre, ajouta-t-elle sur un ton léger, avant de le planter là.
Une fois dans le couloir, Flavia s’arrêta pour souffler. L’homme avait deviné quelque chose, mais il était clair qu’il ne savait pas exactement de quoi il retournait. Dans ce cas-là, il n’aurait pas laissé la jeune fille reprendre le dessus. Ou il n’aurait même jamais osé en parler, s’il avait su que le maître en question était le Boss de la Fiammata en personne.
Elle avait bluffé et elle avait gagné… pour le moment. Toutefois, elle avait pris des risques, qu’aurait-elle fait s’il avait accédé à son injonction et qu’il s’était saisi d’elle ?
Frêle comme elle l’était, elle n’aurait pu lui opposer aucune résistance. Il l’aurait simplement prise, comme l’avaient fait tous ceux qui s’étaient amusés de son corps avant lui, avant de la rejeter, pensa-t-elle amèrement.
Elle serra les poings. Oui, c’était déjà arrivé, et certainement cela arriverait encore, puisque le Boss se servait d’elle pour distraire ses invités. Il fallait qu’elle se détache de ce corps, qu’elle avait toujours méprisé d’ailleurs, pour ses formes minces et effacées et son apparence terne.
Elle s’était déjà vautrée dans la fange, autant ne pas faire plus de cas de la suite, cela faisait également partie de ses nouvelles résolutions.
En rejoignant la Caffeteria universitaria, elle aperçut son reflet dans la vitrine d’un commerce. Un rayon de soleil l’éclaira à ce moment et illumina l’espace d’une seconde l’or caché dans cheveux châtain clair qui flottaient autour d’elle, et le vert tapi dans ses prunelles. Elle faillit se trouver jolie sur le moment, mais se gourmanda immédiatement de cette réjouissance inutile.
Ce corps serait bientôt froid et pourrirait dissimulé quelque part où on ne le retrouverait pas, selon sa propre volonté. Elle frémit en pensant à Marco qui presserait sur la détente mais elle était arrivée à destination et chassa cette idée.
De loin, Angelo, qui fumait une cigarette devant le restaurant, lui fit signe.
— Viens vite, il y a un monde fou à l’intérieur, je nous ai retenu une table, l’invita-t-il en jetant le mégot au sol.
En effet, la salle était bondée, mais le garçon s’était arrangé pour avoir la meilleure table.
À son habitude, il tira la chaise pour permettre à Flavia de prendre place et la quitta après s’être enquis de ce qu’elle souhaitait manger, un trapezzino, comme toujours.
Flavia s’était vite faite à ces petits en-cas formés de deux triangles de fougasse épaisse fourrés avec d’autres spécialités romaines, comme le poulet chasseur ou la langue de boeuf en sauce verte.
C’était d’ailleurs cette dernière recette qu’elle affectionnait par-dessus tout.
En attendant son compagnon, elle reporta machinalement son regard sur le poste de télévision qui énumérait laborieusement les nouvelles du jour.
— Après les violents assassinats qui ont agité ces dernières semaines la capitale, la police est enfin sur la trace du tueur, annonça le présentateur, clôturant le chapitre des actualités internationales.
Flavia retint sa respiration. Parlait-il de Fabio ? Oui, le terrible mode opératoire était caractéristique du jeune mafieux. Evidemment, le speaker ne précisait pas que les victimes étaient toutes des agents de la Fiammata, des criminels de la pire espèce aux ordres du Boss. C'est-à-dire le commanditaire impitoyable de l’exécution qui lui avait ravi les deux hommes qu’elle avait aimés, le plus odieux personnage qui soit.
— Le chef de cabinet de la Ministre de l’Intérieur en personne a fait un communiqué ce matin pour détailler les moyens mis en œuvre par la police. Il semblerait que cette affaire soit prise très au sérieux car elle est traitée directement en haut lieu, précisa le journaliste.
Ledit communiqué fut transmis dans la foulée. Un homme à la large carrure vêtu d’un costume anthracite très strict prit la parole. La jeune fille frissonna à la vue de ce sinistre personnage qui traquait celui qu’elle considérait comme son frère de misère. Son visage anguleux encadré par des cheveux bruns rabattus impeccablement en arrière exprimait une sévérité qui la glaça. Un pli cruel déformait ses fines lèvres alors qu’il rappelait les faits qu’on reprochait à Fabio. Nul doute que ce nouvel ennemi était aussi redoutable que le Boss.
— Nous avons perdu sa trace dans le 14e Municipio, déclara-t-il avec emphase. Actuellement, le quartier est quadrillé, il est impossible qu’il passe entre les mailles du filet. Nous le pourchasserons implacablement. Nous débarrasserons la société de cette menace, l’issue ne fait aucun doute. Cet assassin n’a aucune chance d’en réchapper.
À ces mots, Flavia se leva brusquement et se dirigea vers son camarade qui attendait toujours devant le comptoir. Il fallait qu’elle contacte sans attendre Alteri, le Consigliare. Le bras droit du Boss lui avait assuré en échange de ses faveurs qu’il l’alerterait si ses complices, Fabio ou Marco se retrouvaient acculés.
La police laisserait peut-être le jeune homme en vie, mais les sbires du Boss l’élimineraient sans aucun doute.
— Angelo, j’ai oublié que j’ai un rendez-vous urgent cet après-midi, pourras-tu m’envoyer les cours par mail ? demanda-t-elle, très agitée.
Comme il opinait du chef en lui tenant son sandwich, elle s’élança sur la Viale dell’Università. Il était temps qu’elle rappelle au Consigliare sa promesse, peu importe ce que ça lui coûterait.

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