Les autres familles

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Il y avait au même étage que nous, une famille avec une mère spéciale. Elle était prostituée. C’était une grande femme avec des cheveux longs colorés en noir corbeau, ses sourcils et ses yeux étaient fortement redessinés au crayon noir et elle portait un rouge à lèvres très vif. Mon père l’appelait la Mère Ramia, je n’ai jamais su pourquoi. Ses enfants et son mari étaient très discrets, mais elle ne passait pas inaperçue souvent avec des fringues très voyantes.

Tous les après-midis, elle partait seule en ville, et rentrait toujours en taxi. C’était pourtant un moyen de transport très coûteux. Durant des décennies, j’ai été mal à l’aise quand je devais prendre un taxi, j’associais automatiquement taxi à prostitution.

Les matins, dès que son mari partait au travail, son amant arrivait pour passer une heure ou deux avec elle. On le connaissait bien, on lui disait toujours bonjour, il faisait partie de la communauté de l’immeuble en quelque sorte.

Au deuxième étage, il y avait un couple avec une petite fille. La mère était très belle, très élégante et très classe, lui était professeur d’espagnol dans un lycée. Un jour, alors qu’il pleuvait très fort, il était venu en voiture chercher sa fille à la sortie de l’école. Tout naturellement, il nous a proposé, à ma sœur et à moi, de monter avec eux en voiture pour rentrer. J’ai refusé catégoriquement et interdit à ma sœur de rentrer avec lui. Nous sommes rentrées à pied sous la pluie. Il ne comprenait pas ma réaction.

En fait à ce moment-là, les médias parlaient beaucoup d’enlèvements d’enfants avec demande de rançon. Mon père nous avait bien recommandé de ne jamais monter en voiture avec quiconque. Pour une fois, j’avais parfaitement obéi. Le voisin est venu voir mon père pour lui faire part de ma réaction et de son étonnement. Après explication, ils ont bien ri tous les deux, et le voisin a félicité mon père pour les bons conseils qu’il nous donnait. Cette famille a déménagé ensuite.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Des années plus tard, c’était mon premier jour de rentrée en seconde au lycée, un grand lycée tout neuf qui venait d’être construit. Après l’appel des élèves, au micro on m’a demandé de me rendre immédiatement dans le bureau du directeur. Je tremblais comme une feuille, j’imaginais que le directeur avait changé d’avis et qu’il me refusait dans son établissement.

Dans son bureau, après les salutations, le directeur me dit : « Tu ne te souviens pas de moi », je réponds en bredouillant : « Heu, non ». En fait, c’était mon ancien voisin, celui que j’avais pris pour un kidnappeur de petites filles des années auparavant. De professeur d’espagnol, il était devenu directeur d’un grand lycée.

Durant mes trois années de lycée, je l’ai évité soigneusement, je ne tenais pas à ce que cette histoire refasse surface, surtout auprès des professeurs.

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