Dissolution

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Voilà.

Maintenant, vous savez.

Vous ne savez pas tout, mais vous en savez déjà bien assez.

Vous savez que la virtualisation de la conscience mène à l’anéantissement des individus, à la destruction de la psyché. C’est peut-être l’immortalité de l’âme, mais c’est une immortalité qui n’est pas souhaitable. Le bonheur est peut-être absolu parfois, mais il est vain, et il côtoie les pires atrocités.

C’est en tous cas mon point de vue.

Alors, je vais y mettre fin.

En bon fonctionnaire du Système, en bon petit ouvrier de la Maintenance, j’ai accès à un grand nombre de choses. Faisant parti des derniers êtres sous forme plus ou moins organique, j’ai accès aux fonctions primaires de la Sphère.

Et je suis loin d’être un abruti.

Alors, j’ai travaillé sur le projet Dissolution.

Au début, je voulais appeler ça Apocalypse, Destruction ou encore Révolution. Ou quelque chose dans ce genre là. Mais ça aurait inévitablement éveillé les soupçons de mes « collègues » et des IA. J’ai donc décidé de garder le nom d’une application bien connue, faisant mine de travailler à sa maintenance.

Mais mon programme Dissolution n’a rien à voir avec l’application Dissolution. Ce n’est qu’un leurre. C’est intelligent, n’est-ce pas ?

Peut-être. Ou peut-être pas.

De toute façon, je suppose que je serai bientôt fixé. Peut-être que les IA m’ont percé à jour depuis longtemps et n’attendent que le dernier moment pour mettre fin à mes fonctions, pour invoquer l’application Termination sur ma personne – quoique je doute fort que les IA soient aussi vicieuses.

On verra bien.

Je passe en revue les dernières étapes, je fais une ultime vérification, puis je lance le programme Dissolution.

La Sphère met un certain temps à réagir. C’est le temps nécessaire à mon armée de programmes, de sous-programmes, de leurres et de virus pour contourner, corrompre, neutraliser et détourner les fonctions primaires de la Sphère.

Je vois les flux d’informations et de matières se désorganiser. Dissolution fonctionne. Les IA luttent, mais c’était prévu.

Tout se passe comme prévu.

Les pompes primaires des échangeurs de chaleur s’arrêtent les unes après les autres. Les volants d’inertie maintiennent le débit de fluide caloporteur pendant un certain temps, mais Dissolution actionne les freins électromagnétiques. Les circuits secondaires et tertiaires tentent de prendre le relai, mais Dissolution les a désactivés en amont. Les pompes tournent à vident et se disloquent. Et pour cause : Dissolution a pris soin d’ouvrir toutes les soupapes vers le vide intersidéral pour vidanger les circuits. Les centaines de milliards de kilomètres-cubes de liquide de refroidissement de la Sphère sont maintenant à la dérive dans l’espace intersidéral, sous la forme d’un nuage de gouttelettes givrées.

Les messages d’erreur se succèdent en cascade, l’IA principale est surchargée.

La Sphère n’est plus refroidie. Un comble, pour cette formidable structure dont la fonction est de capter l’intégralité de la puissance rayonnée par Canis Majoris, notre étoile réduite à l’esclavage énergétique. Incapable d’évacuer le trop plein d’énergie qu’elle reçoit, la Sphère est menacée par le rayonnement de sa prisonnière.

Ce n’est plus qu’une question de minutes, avant que la Sphère ne se disloque sous l’effet de la chaleur et des contraintes thermomécaniques. Les supraconducteurs de chaleur statiques permettent d’accorder un répit à la structure, tout comme les échangeurs à plasma et les extracteurs à effet tunnel, mais toute cette débauche technologique ne changera rien. Ces ultratechnologies exotiques, pour aussi élégantes qu’elles soient, ne peuvent lutter contre la perte de ce bon vieux système de refroidissement par caloporteur.

Le plus formidable achèvement technologique de tous les temps est sur le point de s’effondrer.

Des milliards de milliards d’années d’histoire et de civilisation sont sur le point de disparaître. Et j’en suis ravi.

Soudain, un pop-up. Je souris intérieurement, car j’avais failli l’oublier.

Dissolution m’indique que la procédure va atteindre le point de non-retour. Il m’indique qu’il est encore temps de remettre en marche les pompes primaires. Comme tout bon programme depuis l’ancien temps, Dissolution me pose l’ultime question :

Êtes-vous sûr de vouloir continuer?

Je réponds Oui.

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