Chapitre 25

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Paris

Ange avait été surpris par l’invitation directe de la journaliste, mais il devait reconnaître qu’il n’était pas insensible au charme un peu rugueux de la jeune femme. Il avait encore pas mal de travail à faire et il devait tenir son patron au courant du dossier des quatre femmes. Il estimait que les progrès avaient été significatifs sur le plan de l’identification des victimes, mais les éléments recueillis étaient encore trop ténus pour incriminer les deux hommes.

Il accepta néanmoins le rendez-vous, en précisant qu’il ne pourrait pas être disponible avant 21 heures.

— Je vais en profiter pour passer au journal, avait-elle conclu, avant de lui proposer une adresse.

La conversation avec le commissaire avait été rapide et le policier avait pu passer chez lui pour prendre une douche rapide et choisir une tenue un peu plus civile. Vivant seul et ayant peu de temps libre, il avait opté pour la commodité d’un petit logement à la limite de Versailles et Viroflay. En entrant dans son antre de célibataire, il se fit la promesse de mettre de l’ordre dès que possible.

Il n’avait que 10 minutes de retard lorsqu’il gara sa voiture de fonction devant un bâtiment de la Préfecture de Police, le pare-soleil portant la mention « Police » abaissé. Il salua de loin le factionnaire et se dirigea à pied vers le quartier Beaubourg.

Les coordonnées correspondaient à un bar à vin, plutôt calme pour le centre de Paris. Dans de bonnes dispositions, Ange chercha des yeux la journaliste et ne la voyant pas, décida de rester au comptoir pour l’attendre. Il connaissait les mauvaises habitudes parisiennes et ne s’en formalisa pas. Comme un serveur venait s’enquérir de sa commande, il expliqua la situation et commanda un verre de chardonnay.

Sa boisson arriva en même temps que la jeune femme. Elle interpella le garçon qui posait juste le verre et lui demanda la même chose.

— Vous aimez le vin blanc ? demanda Ange.

— Je vais être honnête, j’apprécie tous les vins, mais à cette heure, avant le dîner, je préfère le blanc. Qu’avez-vous choisi ?

Ange lui tendit le verre qu’il n’avait pas encore touché. Julie le porta sous son nez.

— Chardonnay, Bourgogne.

— Pour le cépage, vous avez raison. Pour la région, je n’en sais rien.

— Très minéral, un vin de cailloux.

— Vous m’impressionnez.

— Madame a raison, intervint le loufiat qui apportait le second verre. C’est un Chablis.

— À quoi buvons-nous ?

— À la conclusion rapide de votre enquête ?

— À la bonne fin de votre article ?

— Vous voulez me voir disparaître rapidement ? demanda Julie.

— Non, ce n’est pas ce que voulais dire, balbutia le policier.

Ils restèrent un moment sans rien dire, faisant semblant de décoder les aromes du vin.

— Bon, qui commence ? demanda Ange.

— C’est moi, qui vous ai invité. Je suis à votre disposition.

— À Versailles, on conserve le vouvoiement, mais ici, il n’y a plus de commandant, ni même de Sega. C’est Ange, et c’est « tu ».

— OK, Ange, que veux-tu savoir ?

— Tu m’as déjà dit d’où tu tiens ce teint de caramel, mais tu ne m’as pas vraiment parlé de ta jeunesse.

— J’ai fait mes études en France, je l’ai dit l’autre jour et j’ai fait la connaissance d’une jeune femme à la fac de droit. J’ai partagé sa vie pendant quelques temps. On a cru un moment que ce serait pour toujours, mais sa famille a mis sur sa route un brillant interne en chirurgie. Elle l’a épousé. Moi je suis partie faire le tour du monde. Nous sommes restées des amies intimes.

— Tu es …

Ange ne finit pas sa phrase, prenant conscience d’un jugement hâtif.

— Ne t’inquiète pas, reprit Julie, comme si elle avait lu ses pensées, je ne suis pas une goudou, bien au contraire. J’ai pas mal trainé mon sac un peu partout sur cette planète, dans des endroits pas vraiment glamour. Et je dois te dire que j’ y ai fait pas mal de rencontres. J’ai aussi pris du plaisir avec des femmes. Je n’ai pas de tabous ni d’interdits culturels.

Corse pur sang, le policier prit sur lui-même pour enfouir son machisme atavique au plus profond de son inconscient.

— Et toi, tu es corse, mais encore ?

— Oui, dans le village de mes ancêtres, on est bandit, policier ou berger. Mon père a choisi la police. Un oncle s’occupe des brebis et fait un excellent fromage. Un autre a pris une balle lors d’un règlement de comptes. J’ai suivi la voie paternelle.

— Et les femmes ?

— Elles s’occupent des hommes. Mon père a commencé sa carrière à Marseille. C’est là que je suis né. Puis il a continué à Paris et ma mère a suivi. Elle n’a jamais travaillé. Elle a préféré rester dans l’ombre, s’occuper de son mari et de son fils unique et préféré. C’est néanmoins une femme charmante et cultivée. Pas une petite vieille en noir.

— Mais toi, tu es célibataire, de toute évidence. On ne t’a pas proposé d’épouser une cousine ?

— Ne pousse pas la caricature trop loin ou je te demande quand ton grand-père est descendu de son arbre !

— Tu as raison, oublions la cousine. Je présume que tu n’es pas gay non plus. Alors pourquoi un bel homme comme toi n’a-t-il pas de femme dans sa vie ?

Décidément, cette femme lit en moi comme dans un livre, pensa Ange.

— Il y en a eu, mais aucune n’a accepté mon mode de vie. À la DRPJ, on a des horaires raisonnables pour un service de police, mais je n’ai pas toujours été affecté là. Les heures de planque de nuit, les interventions musclées, ça ne permet pas de construire une famille. Tous mes collègues, hommes ou femmes, ont divorcé au moins une fois.

— Tu ne crains rien avec moi, bien au contraire.

— On reprend un verre ou on va manger quelque chose ?

— On peut aller dîner, mais je te préviens tout de suite, j’ai un rendez-vous téléphonique avec le rédacteur en chef d’un magazine américain à minuit. Il est basé sur la côte ouest et ne se lève pas de bonne heure.

— Je ne couche pas le premier soir, répondit le policier.

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