Chapitre 21

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Versailles

Ange et Julie étaient encore assis face-à-face. La journaliste et le commandant avaient continué à croiser le fer, confrontant deux visions de la police, celle de la presse, construite sur des faits divers spectaculaires et des bavures médiatisées contre celle des fonctionnaires de terrain, somme de planques sans fin, de tracasseries administratives et de budgets chaque année diminués.

Sega connaissait l’enjeu de cette discussion et s’efforçait de rendre l’image de l’institution la plus lisible possible, sans tomber dans l’angélisme ou la langue de bois. La jeune femme, de son côté, ne cédait rien, jamais satisfaite d’une réponse trop facile ou politiquement correcte.

Le brigadier Demange vînt interrompre leur conversation.

— Le commissaire Costelli vous demande au téléphone. Vous le prenez ou je lui dis de rappeler ?

— Passe-le moi ici.

— Très bien Chef.

Julie fit mine de se lever. Ange l’arrêta de la main.

— Ségafredi en ligne, je te remercie de me rappeler. Tu as déjà pu obtenir les informations ? Tu as fait vite.

— En effet, il se trouve que nous connaissons la personne que vous recherchez. Il s’agit d’une employée de maison qui vit, je devrais plutôt dire qui vivait, au Vésinet, mais son statut est assez délicat. La maison dans laquelle elle travaillait est occupée par un conseiller de l’Ambassade du Maroc et nous pensons que cette femme était victime de traitements abusifs de la part de ses employeurs.

— Esclavage domestique ?

— Oui, c’est cela, mais compte-tenu du statut diplomatique des résidents, nous n’avons rien pu faire à notre niveau.

— Vous n’avez pas averti le Quai d’Orsay ?

— En fait, nous n’avons pas d’éléments factuels pour soutenir une éventuelle démarche à l’encontre du conseiller.

— C’est regrettable, mais à ce stade, il va bien falloir aller demander des informations à ces braves gens. Tu as le nom de cette femme ?

— Je n'ai qu’un prénom, les personnes qui la côtoient dans le quartier l’appellent Farida.

— C’est peu, mais nous nous en contenterons. Et le diplomate, tu pourrais me communiquer ses coordonnées ?

— Oui, bien entendu, il s’agit de Fouad El Jabri, il est conseiller culturel à Paris depuis plus de 10 ans. La maison est située allée des Bocages et elle appartient à l’Ambassade du Maroc. Elle bénéficie d’un statut d’inviolabilité de ce fait.

— Merci pour ces informations, je vais contacter le Procureur. Il décidera de la marche à suivre, mais si cette Farida est bien l’une de nos quatre victimes, il faudra bien que quelqu’un vienne l’identifier et prenne le corps en charge.

— Merci de me tenir au courant si c’est possible.

— Pas de problème, je te tiendrai informé. Un dernier point, est-ce que tu connais un dénommé Jean-Charles Delaveaux ? Un fils de bonne famille du Vésinet.

— Je connais le père, Antoine. C’est le patron d’une grosse entreprise de construction. J’ai croisé quelques fois sa femme, Marie-Louise, mais je n’ai jamais entendu parler du fils.

— Ils habitent loin de notre diplomate ?

— Non, pas vraiment, à une ou deux rues, dans le quartier le plus rupin de la commune. Pourquoi t’intéresses-tu à ce môme ?

— Il se pourrait qu’il ait de mauvaises fréquentations, genre crânes rasés et croix gammées.

— On ne m’a jamais rapporté de problèmes de ce genre dans le secteur.

— On va le tenir à l’œil un moment, discrètement.

— OK, je vais faire passer le mot.

Lorsque Ange eut raccroché, Julie, qui avait entendu la moitié de la conversion et compris le reste, interpella le policier.

— On ne peut donc rien faire contre ces situations ?

— Hélas, nos moyens sont extrêmement limités. Le personnel diplomatique jouit d’une immunité quasi-totale et les locaux appartenant aux ambassades sont totalement inviolables, du moins dans nos pays. Si nous tentons d’intervenir, on commencera par nous claquer la porte au nez, puis l’ambassade adressera une protestation aux Affaires Etrangères et pour finir, on nous expliquera que la pauvre fille a été confiée par sa famille au conseiller incriminé et qu’elle est là de son plein gré. Enfin, si l’affaire devait encore escalader, ledit conseiller et toute sa famille reprendraient un avion pour le pays d’origine et le dossier serait proprement enterré.

— C’est révoltant !

— Il n’y a que vous, et les associations, qui pouvez faire un peu de bruit, mais c’est cause perdue. Les gouvernements qui tolèrent ces pratiques n’ont que faire des médias, vous le savez mieux que moi.

— Oui, je le sais, mais si nous nous arrêtons à ce constat, ce sera encore pire.

— Nous pouvons continuer cette discussion pendant longtemps, une autre fois peut-être, mais dans l’immédiat, je dois appeler le procureur. Je vais devoir vous demander de me laisser seul un moment. Vous restez jusqu’au débrief en fin de journée ?

— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, oui. Y a-t-il un endroit où je puisse passer quelques coups de téléphone ?

— Demandez au brigadier de vous installer dans la salle de réunion. Vous y serez tranquille. Si vous avez envie d’un café ou d’autre chose, n’hésitez pas à lui demander.

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