Chapitre 4

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Versailles, Direction Régionale de la Police Judiciaire

— Enfin, sauf votre respect, Monsieur le Directeur, explosa Ange, qui a pondu une telle connerie ?

— Je vous suggère de demander à votre père, Ségafredi, c’est lui qui nous a transmis la demande. Ça descend en ligne directe du cabinet du Ministre. Je ne fais que transmettre les instructions.

— Tout de même, sérieusement, comment voulez-vous que j’explique à mon groupe que l’on va devoir trainer deux journalistes sur le terrain ? Vous imaginez les heures de planques ? Et je ne parle même pas d’une intervention.

— Vous leur imposerez le gilet pare-balles à l’extérieur des locaux.

— Et les images ? Vous croyez que les gars seront heureux de voir leur photo avec un brassard Police dans un magazine ?

— Estimez-vous heureux, on a failli avoir une équipe de télévision !

— Bref, il ne me reste qu’à dire « Amen », c’est ça ?

— Ne le prenez pas comme ça. Vous et votre équipe formez un groupe soudé et je suis sur que vous gérerez ça très bien, vous êtes sur quoi en ce moment ?

— Nous venons de boucler l’affaire des trafiquants russes et le procureur vient de nous confier un nouveau dossier, trois femmes retrouvées mortes, dénudées, dans le 78, à trois endroits différents.

— C’est très bien, vous n’aurez sans doute pas beaucoup d’actions violentes !

— On ne sait jamais à qui on va être confronté !

— Inutile de discuter davantage, vous allez très bien vous en tirer. Si jamais il y a un problème, venez m’en parler avant que ça ne s’envenime.

— Bien, Monsieur le Directeur.


Avant de rejoindre son bureau à l’étage inférieur, Ange appela son père pour calmer sa colère.

— C’est toi qui est à l’origine de cette connerie ? éclata le jeune flic dès que la ligne fût établie.

— Bonjour mon fils, répondit son correspondant avec calme. Ce n’est pas parce que tu as pris un galon que tu peux parler ainsi à ton père, pas dans notre famille. Et non, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de ce que tu appelles cette connerie, mais si tu veux te plaindre, tu peux prendre rendez-vous place Beauvau. L’idée vient du Cabinet, du Conseiller en charge de la communication plus précisément, et c’est le Directeur de la Police qui a suggéré ton nom, tu devrais être flatté qu’il te connaisse.

— Je sais que tu as été à la communale avec Favelli, et qu’il se considère comme mon parrain, mais ce n’est pas un cadeau qu’il me fait là.

— Je ne suis pas plus enthousiaste que toi à l’idée d’avoir des journalistes qui trainent dans les bureaux, mais je suis sûr que tout ira très bien et qu’au bout du compte, tu en tireras profit.

— Tu es le deuxième à me dire ça ce matin !

— Ton patron t’apprécie beaucoup, ne le déçois pas.

— Ce n’est pas mon genre de me défiler, mais il va falloir faire passer la pilule à toute l’équipe.

— C’est dans ces situations qu’on reconnait les vrais leaders. Tiens moi au courant.

— Merci de ton soutien, embrasse maman.

— Tu peux passer à la maison quand tu veux, nous ne sommes plus à Paris que pour quelques mois.

— Oui, je vais y penser.


Ange s’enferma quelques minutes, seul dans son bureau, pour laisser retomber la pression avant d’affronter l’équipe. Il se doutait qu’il y aurait des remous dans le groupe et qu’il aurait besoin de beaucoup de diplomatie pour faire accepter l’inévitable. Le groupe dirigé par Sega, comme le surnommaient ses collègues, comptait six membres en plus de lui-même, et était généralement chargé des investigations complexes, impliquant souvent des délinquants d’origine étrangère. Trafic d’armes, blanchiment d’argent, esclavage moderne, constituaient leur quotidien. Les homicides n’arrivaient que rarement sur son bureau, mais les trois femmes dénudées étaient sans doute plus que de simples meurtres. Pour l’épauler, Ange pouvait compter sur le capitaine Bratanic, un policier expérimenté, d’origine serbe, précieux dans les affaires impliquant les Balkans. Ivo Bratanic parlait plusieurs langues dont le russe. Salma Assami avait rejoint le groupe depuis peu. Malgré une susceptibilité à fleur de peau que Sega avait encore un peu de mal à maîtriser, Salma n’avait pas son égale pour parler aux femmes et était précieuse dans l’équipe. La recherche informatique était l’affaire de Boris Marleau. Né avec les réseaux sociaux, il excellait dans la découverte d’informations « publiques » noyées dans les arcanes de l’internet mais savait aussi s’aventurer dans le Dark Web pour y traquer les aspects les plus noirs de l’âme humaine. La procédure revenait à Franck Lacroix. Cette tâche ingrate, mais indispensable lui convenait parfaitement depuis qu’un accident vasculaire lui avait interdit les actions musclées. Marie Duploix était l’autre femme du groupe. À l’inverse de Salma, elle était discrète et n’exprimait que rarement ses idées personnelles, mais elle était efficace sur le terrain, s’infiltrant sans difficulté dans n’importe quel milieu. Enfin, le brigadier Jacques Demange, le seul à ne pas être Officier de Police Judiciaire, se rendait utile en accomplissant toutes sortes de tâches indispensables et fastidieuses. C’était surtout un chauffeur hors pair.


Ils étaient tous les six réunis dans l’open-space affecté au groupe pour le briefing du jour. Ivo Bratanic s’apprêtait à faire le point sur les dossiers en cours quand son chef l’arrêta.

— Avant d’aborder les dossiers, j’ai une information à vous donner.

Diverses plaisanteries fusèrent, mais Ange les fit taire rapidement.

— Je pense que ça ne va pas trop vous plaire, et je n’aime pas ça non plus, mais je crains que l’on ne puisse y échapper.

Sega leur fit part de la décision qui lui avait été communiquée quelques minutes plus tôt. Comme il s’y attendait, les réactions ne se firent pas attendre. Même la discrète Marie laissa éclater son incompréhension.

— Qu’est-ce qu’ils s’imaginent, j’ai des gosses moi, je n’ai pas envie que tout le quartier sache que je suis flic !

— Marie a raison, on ne veut pas voir nos gueules dans les journaux. Je vais aller en parler au représentant syndical, ils ne peuvent pas nous obliger à accepter ça, dit Lacroix.

Ange calma les débats.

— Je vous comprends, moi non plus je n’ai pas envie d’avoir ma photo sur papier glacé. Je vais voir si on peut négocier. Si j’obtiens ça, je peux compter sur vous ?

— Ils arrivent quand, demanda Salma ?

— Je ne sais pas encore, d’ici deux ou trois jours, je crois, répondit Ange.

— Tu as le temps d’aller chez le coiffeur, balança Marleau.

— Ta gueule macho !

— On se calme, tout le monde ! Boris, on a déjà assez d’emmerdements, n’en rajoute pas.


Le commandant rejoignit son bureau et appela Dupré.

— Alors, comment ont-ils pris la nouvelle, demanda ce dernier ?

— Je ne vous surprendrai pas en disant qu’ils sont tout sauf emballés, il y a un point surtout, c’est les photos. Si on peut obtenir que nos visages soient floutés, je pense que ça passera. Ils ont aussi demandé quand les journalistes doivent arriver.

— Après-demain, normalement, j’attends la confirmation. Au fait, Sega, où en êtes-vous avec ces trois femmes ?

— Pour le moment, nous n’avons rien de nouveau, en dehors des constatations d’hier. Salma doit contacter les gendarmes qui ont traité les deux premièrs cas et j’attends le rapport du légiste pour la troisième. Il me l’a promis pour ce matin. Vous pensez que l’on peut embarquer les journalistes là-dessus ?

— Pour le moment, je ne vois pas d’objection, je vous laisse juge pour la suite.

— Très bien Commissaire, je vous tiens informé dès que j’ai du nouveau.

Après avoir raccroché, Ange appela Salma.

— Je comprends ta réaction, Boris s’est comporté comme un con, mais pour la bonne marche de l’équipe, j’aimerais éviter ce genre de conflits. Je lui ferai passer le message, mais toi, s’il te plaît, fais aussi un petit effort.

— Oui Chef, mais c’est toujours dur à avaler.

— Je comprends, et appelle moi Sega, comme tout le monde.

— Ok, Chef Sega.

— Sérieusement, je voudrais que tu appelles le légiste pour avoir ses premières conclusions. Dès que tu les as, tu réunis le groupe et tu briefes tout le monde. C’est bon pour toi ?

— Pas de problème.

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