Chapitre 13

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"Ma Servante", ce terme ne plaisait pas à Nayala qui fronça ses sourcils. Cela lui donnait l'impression d'être un objet appartenant à un autre. Ses yeux bien dissimulés par l'ombre de son tissu, elle osa lever légèrement la tête afin d'appercevoir celui qui pensait la posséder.

L'homme en question se tenait droit devant eux. Il avait un visage pâle et des traits tirés qui lui procuraient un air dur. Son regard devenait sinistre quand ses yeux perçants se plissaient pour mieux vous observer. Il pencha sa tête carrée sur le côté, pendant que son front et son nez se retroussaient, comme si il était face à une grande énigme. Puis, il ajouta d'une voix grave et roque:

- Vous ne me dites rien.

Ce n'était ni une question ni une invitation à s'identifier, juste une affirmation. Il continuait de la dévisager de bas en haut, à la recherche du moindre souvenir de la jeune femme portant l'uniforme de Servante face à lui. Nayala ne savait pas à qui elle avait à faire. Être ainsi transperçée du regard la gênait. Elle baissa la tête, s'évertua à trouver une solution pour se sortir de cette situation malaisante. Si cela avait été possible, les gens aux alentours auraient pu voir de la fumée qui sortait de ses oreilles, sous l'effort dont elle faisait preuve afin de trouver un moyen de prendre la fuite.

La jeune femme inquiète, tâtait discrètement sa flûte. Ses mains devenaient de plus en plus moites et aussi brûlantes que son visage qui semblait, lui, prendre feu. Elle n'osait presque plus respirer de peur d'attirer encore plus l'attention. Surtout maintenant, qu'en l'espace de quelques secondes, l'ambiance était passée de pesante à glaciale. Si elle ne trouvait pas quelque chose à répondre, cela allait s'aggraver. L'homme de la réserve s'avança et rompit le silence d'une voix enjouée:

- C'est vrai que vous voyez énormément de monde dans les bureaux administratifs ! Il n'y a pas de problème, bien au contraire !

Puis, il conclut faussement épuisé:

- Je suis extrêmement débordé en ce moment. J'ai donc demandé présentement à votre Servante de devenir mon Assistante à partir d'aujourd'hui.

L'Administrateur, si Nayala avait bien compris, écarquilla les yeux, choqué, avant de s'exclamer:

- Votre assistante ?! Ce rôle est normalement réservé pour les Responsable, ou du moins les personnes ayant un talent particulier, pas les simples Servants !

- “Normalement” est le mot juste ! sourit le Botaniste. J'ai décidé qu'elle ferait amplement l'affaire pour travailler avec moi !

Celui qui précédemment affichait un visage lugubre se massait l'arrête de son nez cabossé, désespéré. Il soupira avant de parler plus calmement:

- J'avais oublié que vous ne faites rien comme les autres monsieur Lancel...

Il réfléchit un instant avant de déclarer las:

- Soit ! Je veux votre demande accompagné de son dossier complet dans les jours à venir. Je traiterai moi-même la demande !

- Oui oui, évidement ! Le coupa l'Eminent répondant donc au nom de monsieur Lancel.

Il fît semblant de bailler avant de rétorquer:

- Mais j'ai actuellement énormément de travail ! J'allais justement au bureau quand je l'ai croisée. J'ai donc profité de l'occasion vu qu'elle me semblait totalement disponible...

L'homme en face d'eux, qui ne se cachait pas de trouver le comportement de son interlocuteur ridicule, céda:

- Deux semaines, grand maximum.

Sans un regard pour Nayala, il se retourna et reparti droit comme un piquet dans la direction opposée. Le Jardinier, dit alors, sur le ton de l'ironie, à sa fausse Assistante:

- Lopett est charmant, vous ne trouvez pas ?

- Vous avez dit Lopett, celui qui s'occupe des enregistrements ? Demanda Nayala.

Monsieur Lancel soupira en levant les yeux au ciel avant de marmonner:

- Oui, quand il a le temps... il préfère vraisemblablement venir ici me casser les pieds. Enfin bref... après vous ! Dit-il en ouvrant la porte.

Son laboratoire, comme il avait été désigné, correspondait avec l'idée qu'elle s'en était fait. Tout un mur était dissimulé par des étagères avec bons nombres d'ingrédients. Il s'agissait principalement de plantes, mais aussi de récipients qui contenaient des onguents inconnus. Au milieu de la pièce de pierres blanches se tenait un bureau, beaucoup moins massif que ceux des deux autres Eminents, noyé sous les papiers qui s'étalaient au sol. Une petite bibliothèque, d'où déferlait des plantes tombantes, qui lui étaient tout aussi innommables, occupait seule le mur du fond. Ce qui attira le plus l'attention de Nayala fut la grande fenêtre qui prenait, à elle seule, tout un côté. Du point de vue de la jeune femme tout le charme de la pièce venait de là. Au rez-de-chaussée la lumière était rare. Les quelques vitres étaient toutes en hauteur, sûrement pour éviter à un quiconque de s'introduire dans le Palais. Malgré tout, du peu qu'elle en avait vu, la laverie, proche des cuisines, en avait afin d'aérer la pièce.

L'homme aux cheveux épais avait prit des mains de sa nouvelle Assistante les deux boîtes qui contenaient ses préparations. Il les posa sur un établi, positionné en diagonale dans un coin du laboratoire, puis parti prendre une loupe avant d'y revenir.

Nayala le regarda juger les échantillons de chaque mixtures qu'il observa en silence, les frottants entre ses doigts avant de les sentir. C'est finalement l'estomac de l'habitante du quartier Est qui romput, malgré elle, brutalement le silence. Ses bras croisés sur son ventre, elle ne pouvait faire taire les gargouillis qui l'a mettait si mal à l'aise pour la seconde fois.

- Vous n'avez pas mangé, je me trompe ? Demanda-t-il hilare.

La situation était trop complexe pour que Nayala se détende au point de rire. Elle se contenta donc d'acquiescer. Plusieurs minutes plus tard, Monsieur Lancel lui avait servi un plat en l'invitant à s'assoir à son bureau. L'odeur et l'aspect étaient bien meilleur que son repas de la veille. Elle finit rapidement de manger. Au même moment, il se prit une chaise. Il se posta de l'autre côté du meuble, en face d'elle et l'a regarda dans les yeux, le menton entre ses mains. Nayala ne s'en était pas tout de suite rendue compte, mais elle-même fixait le bleu des yeux de son nouveau patron. Embarrassée, elle décida de combler ce nouveau vide :

- Alors comme ça vous vous appelez monsieur Lancel ?

Il souria avant de lui demander si elle souhaitait qu'il se présente de façon adéquate. Ce qu'il fît sans attendre de réponse, ajoutant à sa voix une gestuelle toujours plus exagérée que nécessaire:

- Je m'appelle Elrick Lancel, Jardinier Officiel comme je vous l'ai fait comprendre hier, titre unique inventé pour moi d'ailleurs... mais pas seulement ! J'officie également comme Préparateur depuis cinq ans, ici même, au Palais.

Il marqua une courte pause puis reprit en balayant la pièce de la main:

- Comme vous le voyez certainement à la pièce, je travail seul. C'est plus facile quand on endosse un double emploi comme moi. Je suis éperduement seul dans la vie aussi !

La dernière phrase fut dîtes d'un ton plus taquin que le reste, accompagnée d'un clin d'oeil. Nayala ne le prit pas au sérieux. En aucun cas il ne lui faisait peur, toutefois elle restait sur le qui-vive. Même sans le connaître, elle avait une sensation de bien-être et de confort en sa compagnie. Sûrement due au fait qu'il n'eût pas changé de comportement après avoir vu ses yeux. Il avait dit être un Botaniste, pourtant aucun uniforme ne l'habillait. Il l'avait surprise à voler, l'avait vue jouer de la flûte, l'avait regardée dans les yeux, aidée à s'échapper, l'avait cachée et lui avait même servie à manger. Elle ne baisserait bien-sûr pas sa garde mais s'apaisa un peu.

La jeune femme vêtue de la tenue de Servante croisa les bras et prit un air faussement hautain afin de rentrer dans son jeu:

- Même si votre cuisine est excellente vous ne m'intéressez pas et je crains n'être trop jeune pour vous monsieur Lancel.

Il fut si étonné qu'il n'avait pas pu se retenir d'exploser de rire. Un rire franc et spontanné. Il essuya une petite larme perlée sous son oeil puis répondit:

- Vous m'étonnez décidement de plus en plus ! Mais si je puis me permettre... Je ne suis pas aussi âgé que vous semblez le penser, ce qui au passage est fort vexant !

Elle l'examina quelques secondes avant de lui demander:

- Quel âge avez-vous ?

- Directe j'adore ! Je vous le dis rien qu'à vous ! J'ai actuellement 29 ans.

Elle n'avait pas eu le temps de continuer la conversation qu'il en dévia le sujet:

- Mais passons à une histoire bien plus passionnante voulez-vous !

Nayala sentit son coeur manquer un battement, ainsi qu'un poids énorme dans son estomac. Le moment de lui raconter ce qu'il avait aperçu plus tôt était arrivé bien trop vite à son goût. Allait-elle lui raconter la vérité ? Elle n'en savait rien mais commença à parler en espérant que la suite viendrai d'elle-même.

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