Chapitre 10

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Le monde, continuellement plongé dans le noir, bénéficiait d'heures éclairées quelque peu particulières : jusqu'aux heures sombres, elles étaient illuminées par d’innombrables étoiles qui s'éveillaient au fils du temps, permettant à ses habitants de vivre suivant le rythme de celles-ci.

Nayala eut des difficultés à déterminer le moment exact de son réveil. Au faible nombre d'étoiles dans le ciel, qui étaient peu présentes, elle pouvait deviner approximativement que les heures éclairées n'étaient pas encore tout à fait entamées.

Un bruit, proche du grognement, l'avait sorti de son sommeil sans rêve. Elle chercha sa provenance mais ne l'entendit plus, sûrement la fatigue qui lui montait à la tête. C'est quand Nayala eut de nouveau posé sa tête sur l'oreiller afin de se reposer quelques minutes de plus, que le gémissement reprit: et il venait d'en-dessous de son lit. Elle fut d'abord paniquée puis tout se remit rapidement en place dans son esprit. Son turban et son tissu de tête réajustés à la hâte, la jeune femme était descendue de sa couchette.

Les deux couches d'en face n'avaient pas été utilisées, preuve que personne n'y été venu. Nayala trouva cela étrange mais n'eut pas le temps d'y réfléchir que deux paires d'yeux bleus croisèrent son regard. Nora était réveillée et pouvait parler :

- T'as dormi ici ? articula-t-elle lentement.

Sa voix était méconnaissable, sèche et rauque comme si elle avait avalé un tas d'aiguilles. Nayala, qui ne voulait pas la brusquer, répondit doucement :

- Oui, je ne pouvais pas te laisser seule dans cet état...

Son mensonge n'en était pas vraiment un. Même si elle avait profité de l'opportunité, Nayala s'inquiétait réellement pour la blessée.

Intriguée par l'absence de colocataire dans la chambre, elle poursuivit :

- J'aurai dû me douter que tu ne serais pas seule dans la chambre...

- Ah ça... N'fait pas attention aux affaires... y'a personne dans cette chambre à part moi.

- Comment ça se fait ? demanda Nayala, trop surprise pour s'abstenir de poser la question.

Nora semblait ne pas vouloir aborder le sujet mais s'y efforça. Après un soupir, qui avait dû lui être douloureux vu la grimace qu'elle affichait, elle s'expliqua. Avec de nombreuses pauses et en reprenant régulièrement son souffle, elle lui raconta que les trois autres personnes qui occupaient auparavant la chambre en avaient eu assez de la partager avec une Responsable.

Le poste exigeait de se lever plus tôt et de rentrer toujours plus tard que les Servants. Ces horaires étaient nécessaires pour l'organisation et les planifications, ainsi que pour trier les demandes des Éminents et palier aux éventuels imprévus.

Les Responsables partageaient en général une chambre commune, mais Nora qui était la seule femme restante, avait été contrainte de rester dans celle qu'on lui avait attribuée en tant que Servante. Apprêter une chambre pour une seule personne avait été inenvisageable, même pour une Responsable.

Les trois Servantes avaient demandé à être relogées, ce qui fut étonnamment accepté. La jeune femme s'était retrouvée plus solitaire que jamais, sans qu'aucune autre Responsable ne soit nommée et ne la rejoigne pendant l'entièreté de l'année écoulée depuis sa promotion.

Voilà pourquoi, lors de leur première rencontre, Nora lui avait dit qu'aucune aide ne lui aurait été apporté en cas de problème avec un Éminent. Les Responsables, davantage les femmes, étaient mis à l'écart à cause de leur poste si convoité. Une injustice aux yeux de Nayala qui n'en dit rien. Elle changea de sujet afin de détendre Nora qui se contractait à vue d'œil.

La blessée essaya de se redresser mais laissa échapper un cri de douleur avant de se raviser :

- Tu ne peux pas encore te lever, tes blessures sont graves ! S'exclama Nayala.

- Je dois aller travailler ! hurla péniblement son interlocutrice en tentant de se relever en vain.

En repensant à sa discussion avec Kalhi et Monia, Nayala comprenait l'acharnement de Nora. Pourtant, ses plaies pourraient se ré-ouvrir si elle se mettait debout. Quand bien même elle y arriverait, tenir toutes les heures éclairées à venir sans s'écrouler dans ces conditions lui serait impossible.

Nayala prit la décision qui lui semblait la plus juste. Sans l'épargner, afin que Nora comprenne la gravité de la situation, elle lui raconta la longue file d'attente de la veille. Son remplacement était sûrement déjà réglé, il ne servait à rien de lutter.

L'ancienne Responsable fondit en larmes en se maudissant :

- Je n'aurais pas dû vouloir porter tout ça seule, j'suis trop bête !

Même si le moment était propice pour aller petit-déjeuner, Nayala n'allait pas laisser cette femme en pleure. Elle resta donc à son chevet, à l'écouter s'insulter, s'insurger, se lamenter, jusqu'à ce qu'elle se calme.

Nora ne parlait plus, son visage était livide et ses yeux, légèrement enfoncés, perdus dans le vide. C'est quand Nayala refit son lit qu'elle l'entendit murmurer :

- J'ai tout perdu.

Nayala avait fait mine de ne rien avoir entendu. Elle savait très bien qu'en cas de réussite de sa mission, elle, sortirait. Alors que Nora resterait là, seule, à voir son poste occupé par un autre :

- Tu veux que je demande une tisane contre la douleur ? proposa Nayala en la voyant grimacer, une main sur sa cuisse.

La blessée ricana amèrement, la question aurait au moins eu le mérite de la faire réagir car elle reprit enfin la parole :

- T'es vraiment nouvelle...

Elle reprit son souffle et continua la voix emplie d'une triste lassitude:

- Personne te donnera quelque chose pour moi... Encore moins un précieux remède.

- Je demanderai au Guérisseur qui t'a soignée hier, insista Nayala.

- Il a déjà fait son minimum, vas pas croire qu'il va redescendre... railla-t-elle d'une voix tremblante et cassante.

C'en était trop ! Tant d'injustices subsistaient dans ce palais, qui était censé représenter la dignité et la sécurité de tous les habitants de ce monde. Il était l'exemple, l'image même de Lune mais sa face cachée, peu connue ou volontairement ignorée, ne rendait pas Nayala fière d'appartenir à ce peuple.

Sa vision du dôme n'avait jamais était agréable. Depuis petite, elle haïssait ce bâtiment puisque ces occupants avaient décidé du jour au lendemain d'abandonner ceux de l'extérieur. Le Grand Gardien Aronah lui-même les avait laissé, pour certains dans la misère, sans explication valable.

Dans le passé le protecteur de Lune marchait humblement dans les ruelles de son monde. Il s'arrêtait contempler les étales, parlait à quelques vendeurs préalablement choisis par l'un de ses Gardiens, se renseignait sur les difficultés rencontrés par ceux vivant hors du palais lunaire. Puis sans prévenir tout ceci avait cessé. Les seuls contacts avec l'intérieur du dôme se faisaient avec les Servants, trop occupés, et les Éminents, imbus de leurs personnes.

Les rumeurs expliquaient ce changement d'attitude par une maladie soudaine du seul fils d'Aronah ou par le choc de la mort prématurée de Zoëla, protectrice de Lune. Bien que les deux raisons évoquées par les commères des rues soient jugées suffisantes pour une grande partie du peuple de Lune, cela ne faisait pas l'unanimité.

Nayala trouvait inacceptable que ses événements, bien que tragique, affectent également tout un monde pendant autant de temps. Les ancêtres du Grand Gardien Aronah avaient eux aussi connu des pertes mais aucun n'avaient abandonné son peuple comme lui l'avait fait. La mémoire des anciens était important pour tout habitant de ce monde. Bien qu'elle ne connaisse pas l'histoire de famille des protecteurs de Lune, laisser tout une population se débrouiller seule n'était pas rendre hommage à ses prédécesseurs.

La jeune femme d'ordinaire indécise avait un avis bien tranché sur la question. Cela ne l'avait pas empêchée d'envier ceux protégés par le dôme de pierre. Mais ce splendide Palais qui reflétait la lumière des étoiles était maintenant un lieu qui la répugnait. Nayala ne pouvait évidemment pas crier son mécontentement ou chercher justice sans se faire remarquer. Mais aider une femme blessée, alitée, déprimée, qui pensait réellement avoir tout perdu, était dans ses moyens.

C'est avec le sang bouillonnant et le cœur palpitant qu'elle dit d'une voix déterminée en se tournant vers Nora :

- Alors si c'est comme ça, j'irai moi-même t'en chercher un !

Sans laisser le temps à celle-ci de répondre, Nayala était sortie en trombe de la chambre, motivée par la rage.

Elle savait où trouver les plantes nécessaires à la tisane et comment s'y rendre. Elle devait juste être assez discrète et trouver un endroit tranquille pendant la durée de la préparation.

Nayala avait rapidement passé le couloir, tête baissée, en feignant être totalement à l'aise et à sa place. Si elle-même y croyait, les autres n'y verraient que du feu. Devoir voler le Grand Gardien ne la réjouissait pas malgré tout. Si ce n'était pas pour Yélé, jamais la jeune femme n'aurait jamais accepté. Mais pour aider Nora dont l'avenir était incertain, elle n'avait aucun doute.


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