Marie

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Mexique, décembre 1999

Spéléologue et spécialiste des installations industrielles dangereuses, Franck rêvassait dans le taxi qui l'emmenait de l'aéroport de Chihuhua à la mine de Naica au Mexique. Il avait reçu, quelques jours auparavant, un appel de son ancienne compagne Marie. Elle sollicitait son expertise pour la sécurisation d'un forage. La jeune femme était restée assez évasive sur les raisons pour lesquelles elle faisait précisément appel à lui, toutefois son instinct lui suggérait que leur passé commun n'y était pas étranger. Après avoir partagé trois ans de leurs vies pendant leur formation, chacun avait pris une direction différente, lui en démarrant son activité, elle en poursuivant ses études. Le décalage de leurs rythmes de vie et l'éloignement avaient finalement eu raison de leur histoire. Le drama de leur séparation avait resurgi en entendant la voix de Marie au téléphone, comme devant un vieux film dont le souvenir imprécis se confronte à la réalité de la pellicule.

Évidemment, il avait appréhendé pendant toute la durée du vol de revoir ses yeux verts et ses cheveux auburn. Franck sortit une nouvelle fois de son sac la photo abîmée où ils posaient joue contre joue, suspendus en rappel dans un gouffre. Tandis qu'il se perdait dans des pensées nostalgiques, ses yeux s'accrochèrent à son reflet dans la vitre du taxi. Malgré son crâne aujourd'hui rasé de près pour masquer sa calvitie, le sportif avait déjoué le cap de la trentaine habilement. Son physique était toujours aussi sec, ses joues légèrements creuses, et sa pomme d'adam n'avait pas encore été engloutie par un double menton. Dès son arrivée, Marie l’accueillit avec une vive accolade.

  • Tu n’as pas changé, Franck.

Lui espérait qu’elle avait changé car, dans leur autre vie, Marie n’était pas du genre commode.

  • Viens, je vais t’expliquer de quoi il retourne.

Marie était ce type de personne assez agaçante : plutôt jolie, douée en tout, qui parlait cinq langues et arrivait toujours à obtenir des autres ce qu’elle voulait. C’était la professionnelle qui le consultait, elle avait fait appel à lui, il fallait qu’il assure. Après avoir longé des parkings couverts, ils entrèrent dans un bâtiment à la peinture fatiguée, puis Marie l’emmena dans ce qui devait être son bureau.

  • Ça me fait plaisir de te voir, Franck.
  • Oui, moi aussi Marie. Tu n’as pas chômé ces dernières années on dirait, constata-t-il avec un regard circulaire sur la pièce.
  • Ouhla non, et encore il faudra que je te raconte, mais on devrait avoir un peu plus de temps ce soir. Assieds-toi, je vais tout t'expliquer.

Franck la découvrait en consultante technique expatriée pour le compte d'une exploitation minière mexicaine. Il évitait maladroitement son regard, faisant mine d'inspecter la salle. Derrière le bureau, des dizaines de dossiers portant le logo de l’exploitation alignés sur une étagère. Une plante verte touffue ajoutait une touche de naturel à la pièce par ailleurs austère. Il cherchait des yeux des photos, des indices sur la vie de Marie. En vain, pas d’alliance, pas de souvenir, seulement une géode posée sur le bureau, comme pour se rappeler d’où ils venaient. Il se remémora toutes les sorties qu’ils avaient faites ensemble, les cheveux sales de Marie sous son casque, trempée jusqu'aux os et la boue sur ses joues, rien à voir avec son look de bureau d'aujourd'hui.

  • Je pense que ça va te plaire ! entonna-t-elle avec un grand sourire.
  • Si j'ai bien compris, il faut sécuriser une cavité dans une mine ?
  • Alors oui, ça c’est la raison officielle. Mais ce qu’on a trouvé là-dedans c’est complètement dingue. La foreuse a ouvert le flanc d’une grotte inondée, nous venons de finir de la vider, c’est une immense géode.
  • Grande comment ?
  • Presque trente mètres de long, et quinze de haut, continua-t-elle visiblement impatiente de dévoiler la suite.
  • On a déjà vu des grottes comme ça, qu’est-ce qui en fait quelque chose de différent ?
  • Regarde par toi-même.

Marie sortit d'un dossier plusieurs photos. Elle les poussa devant lui, puis observa sa réaction, les yeux pétillants.

  • Incroyable, répondit-il bouche bée, c'est... incroyable.

Son regard allait et venait entre les photos et les yeux de Marie, cherchant à y déceler une supercherie. Les cristaux figés sur le papier glacé devaient dépasser les deux mètres de diamètre.

  • Il y avait déjà deux grottes connues dans la mine, les cristaux y sont jolis mais classiques, enchaîna Marie. Là c’est du jamais vu ! Il faut qu’on évalue la stabilité de la cavité pour savoir si on peut continuer à creuser. Le directeur de l'exploitation de Tau Tona que j'ai eu il y a quelques jours au téléphone m’a dit que tu avais fait un super boulot là-bas. Je sais que tu as toujours couru après une découverte comme ça. Du coup j'ai pensé à toi pour cette mission. Vois ça comme une faveur en souvenir du bon vieux temps.

Le bon vieux temps, oui, nous pourrions en parler, Marie, pensa Franck. En attendant, la perspective de cette exploration le rendait fébrile. Les photos parlaient d'elles-mêmes. L’intérieur paraissait effectivement hors du commun. La portée du flash révélait des structures blanches du sol jusqu'au plafond, des cristaux de près de quinze mètres de haut, à la géométrie parfaite. Un seul flash éclairait la cavité comme en plein jour. Son cœur commença à accélérer, emballé par l'excitation.

  • Je te préviens, continua Marie, ça ne va pas être facile. Il fait cinquante degrés là-dedans. Nous avons interdit à quiconque de rentrer, car les quelques mineurs qui se sont approchés ont commencé à suffoquer, leurs poumons sont dans un sale état. Je te rassure, ils vont bien, mais il faudra qu’on s’équipe avant d’y aller.
  • On ? l'interrompit Franck d'un ton surpris.
  • Je descends avec toi.
  • Tu es sûre que c’est une bonne idée ? Enfin, je veux dire, à quand remonte ta dernière descente ?
  • J’ai encore le niveau, tu sais, rétorqua Marie visiblement vexée. Est-ce que ça te pose un problème ? enchaîna-t-elle sèchement.
  • Si l’expédition est sous ma responsabilité, je veux juste que personne ne soit mis en danger, lui répondit Franck en ne se démontant pas.

La discussion virait à l'émotion, ce qui inquiétait le spéléologue.

  • Je peux encore faire appel à quelqu'un d’autre si tu fais le difficile. Je ne passerai pas à côté d’une découverte comme ça, asséna-t-elle d'un ton provocateur.
  • Non, non, je le ferai, acquiesça Franck résigné, c’est une occasion inespérée.
  • Nous descendrons à cinq, nous deux et trois experts. Il faudra s’équiper. J’ai des masques, des combinaisons, des projecteurs, et nous aurons tout le matériel de l’exploitation à disposition. Briefing demain à huit heures.

L'intransigeance de Franck lui valut de dîner sans Marie dans une chambre d’hôte frugale de Naica. Fixant le plafond dans la pénombre, il eut du mal à trouver le sommeil, excité par les découvertes promises du lendemain.

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