Del 8.2

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Gammal kärlek rostar aldrig.

 Je posai alors ma main sur la poignée, et, avec une pointe d’appréhension, j’ouvris la voie vers ce qui se révéla être un jardin. Au loin, le bruit des vagues nous indiquait la proximité de la mer. J’espérais que nous allions pouvoir ici résoudre cette affaire.

 Je fis un pas en avant et mon pied se posa sur l’herbe. Une brise marine m’emplit les poumons, remplaçant l’odeur de poussière qui régnait dans le Millepertuis ; je fus soudainement envahi d’une bouffée de nostalgie, la deuxième de la journée. Sans doute le fait d’avoir repensé à Port Eynon en arrivant chez madame Marcili me rendait-il plus sensible aux éléments susceptibles de me rappeler le passé. Décidemment, la mer était ma madeleine de Proust…

 Afin d’être discret, j’allai m’accroupir près d’un buisson. Il était préférable qu’aucun voisin ne voit deux jeunes hommes sortir de la cabane de jardin… Hum. Par-là, j’entends que l’on aurait pu nous prendre pour des voleurs, pas que… bref.

 Matthias me rejoignit, puis nous contournâmes la maison pour atteindre la rue. Nous camouflant derrière les arbustes et évitant les fenêtres, nous parvînmes à la barrière qui séparait le terrain de la route. Un regard à droite, un regard à gauche : personne dans les environs, sans doute à cause du mauvais temps. D’un bond, nous étions sur la chaussée.

- Quel est le plan d’action ? » demandai-je à Matthias, alors en train d’épousseter son pantalon.

- Facile. On sonne, on demande à voir le vieux et on lui pose des questions sur sa femme… » Il sortit son téléphone et consulta ses messages. « …Hélène. On trouve ce que veut dire le nombre et pif paf pouf, c’est réglé. Et après, on retourne voir l’autre conna… madame Marcili pour que je lui fasse signer deux-trois papiers.

 L’évocation de madame Marcili me rappela le mensonge de Matthias de plus tôt, celui selon lequel l’agence était « très sollicitée ». Je ne le lui dis toutefois pas. Je n’avais rien à gagner et risquais plutôt de le braquer. Après tout, s’il arrivait à faire bien son travail malgré sa gestion approximative, ce n’était pas à moi de juger de ses méthodes. Néanmoins, cette journée marquait un tournant dans ma perception du personnage. Je comprenais enfin ce qu’Elodie avait voulu dire le premier jour : il y avait plus en Matthias Vermeil que ce que lui-même tentait de faire croire. Mais quoi ? Et pourquoi le cacher ? J’aurais pu chercher à en savoir plus, mais je n’étais pas encore certain qu’il en valût la peine.

 La porte était entrouverte, mais c’était tout pour le moment.

- Je souhaite que tout se passe aussi simplement. » dis-je. « D’ailleurs, comment s’appelle « le vieux » ?

- Edouard Parat. C’est marqué sur la sonnette.

 Je soupirai.

- Certes…

 Finalement, Matthias appuya sur le bouton. Il y eut un bruit strident à l’intérieur, et quelques instants plus tard, nous entendîmes des pas derrière la porte. Une jeune femme nous ouvrit alors.

- Oh ! Bonjour ! » s’exclama la jeune femme. « Vous venez pour l’histoire du compteur, non ? On m’avait dit que ça devait être cet après-midi, mais vous savez, il y des jours où je ne sais plus trop si on est le matin ou l’après-midi… D’ailleurs, on est le matin ou l’après-midi ?

 Matthias et moi nous regardâmes l’un l’autre avec perplexité. Il me poussa discrètement en avant et murmura : « Ton tour. »

- Hum… Matin. » hésitai-je. « Mais… heu… nous ne sommes pas là pour le compteur.

- Ah ! Vous êtes de la famille, alors ? Excusez-moi, c’est juste qu’avec cette histoire de compteur, moi, des fois, je m’y retrouve plus. Ils étaient déjà censés passer il y a trois jours, mais finalement ils sont pas passés, alors vous comprenez bien qu’après, c’est le bazar.

- Oui, sûrement. Mais vous faites erreur : nous ne sommes pas de la famille. Nous représentons l’agence Vermeil.

- Ah… » Le visage de la demoiselle se teignit de mépris. « Monsieur Parat vous a déjà dit qu’il ne souhaitait pas aller dans votre maison de retraite, alors laissez-le tranquille !

 Elle mit la main sur la porte et s’apprêtait à nous la fermer au nez. Je mis un pied dans l’embrasure.

- Non, pas du tout ! Nous sommes une agence de chaïrétique. Nous venons interroger monsieur Parat au sujet de sa femme.

- Chaïrétique ? C’est quoi, ça ?

- C’est… c’est un peu comme un détective privé.

La jeune femme s’arrêta

- Détectives privés… » répéta-t-elle. « Comme dans Hercule Poirot, sur la 10 ?

- Tout comme. Sauf la moustache.

 La demoiselle réfléchit encore quelques instants, puis nous ouvrit la porte avec une certaine réserve.

- C’est pas pour l’envoyer en prison pour un crime qu’il aurait commis il y mille ans, au moins ?

- Pas du tout, ne vous inquiétez pas.

- Bien. Dans ce cas, ravie de vous rencontrer monsieur Vermeil. » dit-elle en me serrant la main.

- Ah, monsieur Vermeil, c’est lui » la corrigeai-je en pointant Matthias du doigt. « Je suis Raphaël Parsen.

- Ravie de vous rencontrer quand même. Je suis Mathilde, l’aide à domicile de monsieur Parat. Et bonjour à vous aussi, monsieur le vrai Vermeil » ajouta-t-elle en serrant la main de Matthias. « Suivez-moi, je vous emmène à monsieur Parat.

 Très sincèrement, je ne comprenais pas pourquoi elle nous laissait entrer. Cela nous arrangeait, bien sûr, mais eussè-je été un membre de la famille, je me serais posé des questions sur mon choix de recrutement. Une fois la porte d’entrée fermée, Matthias me tapota sur l’épaule.

- Bien géré » murmura-t-il.

- Heureusement que l’un de nous deux gère bien les clients, en effet. Mais vous n’avez pas un badge ou une carte pour vous présenter ?

- L’administration française ne veut pas qu’en ait vu qu’on a aucun pouvoir officiel. Et on a déjà essayé de montrer notre carte de visite mais les gens nous prenaient pour des prédicateurs.

- Ah…

 Quelques instants plus tard, nous arrivâmes à la porte au salon. Mathilde se tourna alors vers nous.

- Je vous préviens, il a plus toute sa tête. D’après sa famille, ça aurait commencé un peu avant qu’il aménage ici. » Après avoir dit cela, elle entra dans la pièce et se dirigea vers le vieil homme assis dans le canapé. « Monsieur Parat ! Vous avez de la visite. Ce sont des détectives, comme à la télé.

- Vous êtes de la télé ? » nous demanda monsieur Parat.

 L’interrogatoire promettait d’être simple…

- N’hésitez pas à parler fort » nous conseilla Mathilde.

- Bien noté » répondit Matthias. « Bonjour monsieur Parat ! Nous sommes de l’agence Vermeil et nous aurions quelques questions pour vous au sujet de votre femme !

- Ma femme ?

- Votre femme, Hélène Parat !

- Hélène ? Vous faites erreur, nous ne sommes pas mariés ! Pas que je voudrais pas, mais son père à toujours refusé que je l’épouse.

 Matthias et moi nous regardâmes une nouvelle fois. Au début, je crus que nos informations étaient erronées ; en réalité, le vieillard perdait la mémoire…

- Est-ce que vous pourriez nous en dire plus sur elle ? » insista Matthias.

- Elle est jolie comme un cœur, Hélène, avec ses longs cheveux bruns. Elle est courageuse, aussi ! Certains jours, elle me dit que si son père continue à dire non, on devrait partir ensemble, loin. Et comme ça, on pourrait se marier tous les deux.

- Je crois qu’on aura du mal à en tirer grand-chose » me confia Matthias. « Il tricote sévère du cocotier.

- Je ne connaissais pas cette expression.

- Passe-moi le papier avec le numéro. On va voir si ça lui rappelle des souvenirs.

 Matthias récupéra donc le papier, puis il le présenta au vieil homme en lui demandant si cela lui évoquait quelque chose. Hélas, monsieur Parat répondit par la négative.

- Attendez voir ! » intervint Mathilde. « Il y a combien de chiffres ?

 Matthias lui tendit le document qu’elle examina quelques instants.

- Monsieur Parat. Est-ce que ce serait pas le code de votre boîte, là, celle que vous arrivez plus à ouvrir ?

- Quelle boîte ? » demanda le vieillard.

- Le coffre dans votre grenier.

 Matthias se leva aussitôt et demanda à voir le coffre en question ; Mathilde nous conduisit donc au grenier. La pièce était dépourvue d’ampoule, et la seule lumière en ces lieux émanait des deux lucarnes de part et d’autre de la pièce. Devant nous se trouvaient quelques meubles protégés de la poussière par des draps, une penderie massive en bois sombre, un certain nombre de boites en carton couvertes de plus ou moins de poussière ainsi que plusieurs étagères remplies d’objets divers. Mathilde ne se souvenait plus où le coffre était rangé ; elle nous indiqua toutefois qu’il n’était, je cite, pas très grand et de couleur grise. Au bout de cinq minutes passées à contourner lampes et porte-manteaux, soulever des nuages de poussière et déplacer des tissus, nous finîmes par mettre la main sur le fameux coffre-fort.

 Nous aurions pu l’ouvrir sur place, mais il nous sembla mieux de le faire devant monsieur Parat. Le problème qui s’ensuivit fut de déplacer le coffre qui s’avéra très lourd. Nous ne fûmes pas trop de trois pour le descendre dans le salon.

 En le voyant, monsieur Parat eut une réaction mitigée. L’objet lui disait certes quelque chose, mais il ne savait plus quoi. Matthias tourna alors la porte du coffre vers son propriétaire puis entreprit de tourner la molette.

 7-2-9-4-1-7. Le faible cliquètement que produisaient les mécanismes internes emplissaient seuls l’espace. Personne ne faisait le moindre bruit ; à peine osions-nous respirer.

- Et sept… » dit alors Matthias. Il y eut un cliquetis un peu plus fort, puis, avec un léger grincement, la porte du coffre fut enfin ouverte.

 Il y avait à l’intérieur quelques photos, des papiers ainsi que quelques bijoux. Monsieur Parat tendit alors une main tremblante et se saisit d’un anneau, un simple anneau un peu terne d’avoir été tant porté. Il le regarda avec intensité, le tournant et retournant entre ses doigts. Une larme roula sur sa joue.

- C’est… c’est l’anneau de fiançailles que j’avais offert à Hélène…

- Est-ce que ça va, monsieur Parat ? » demanda Mathilde en s’agenouillant à ses côtés.

- Tout va bien, Mathilde, tout va bien… » Il se tourna alors vers nous. « Comment avez-vous fait ? Ce coffre était celui de ma femme, seule elle connaissait le code.

- Vous avez raison… » répondit Matthias. « Seule elle le connaissait.

 Il expliqua donc comment il avait été appelé pour expliquer l’apparition d’un esprit dans l’ancienne maison de monsieur Parat, comment cet esprit nous avait révélé le code du coffre et comment, en remontant la piste des propriétaires, nous avions retrouvé monsieur Parat. Le tout sans donner de dates afin de ne pas avoir à justifier notre brusque traversée de la France en moins d’une demi-heure. Sans mentionner non plus l’hackeuse, madame Bankerol, bien évidemment.

- Je ne sais pas comment vous remercier… » nous dit monsieur Parat. « Ce que vous venez faire n’a pas de prix… S’il est quoi que ce soit que je puisse faire pour vous…

- Pas la peine » répondit Matthias. « Notre but était de permettre à l’esprit de votre femme de partir, et maintenant que vous avez pu ouvrir son coffre, elle peut enfin quitter ce monde. Nous allons pouvoir vous laisser à présent.

- Vous êtes sûrs que je ne vous dois rien ?

- Certain » dit Matthias en se levant. « Tu viens, Raphaël ? On doit y aller.

 Monsieur Parat insista une dernière fois puis s’inclina face à la détermination de Matthias. Nous fîmes nos adieux au vieil homme qui nous remercia encore, la voix pleine d’émotions, puis Mathilde nous raccompagna à la porte.

- C’est mon tour de vous remercier, les garçons. Ça fait des années que je travaille dans cette maison et j’ai jamais vu monsieur Parat avec autant de présence d’esprit. De retrouver cet anneau, ça lui a fait pschiouf dans la tête, là ! Et tout ça, c’est grâce à vous, les kiatéticiens. Merci du fond du cœur !

- Tout le plaisir était pour nous » répondis-je.

- Comme il a dit » intervint Matthias, visiblement pressé. « Allez, c’est pas tout ça, mais il va falloir qu’on bouge.

 Mathilde décida alors de nous faire la bise avant de conclure :

- Vous êtes des types bien, encore mieux qu’à la télé !

 Sur ces mots, Matthias et moi quittâmes la maison de monsieur Parat et partîmes au hasard dans la rue. Nous attendîmes d’avoir dépassé l’angle avant de nous arrêter faute de directions à prendre.

- C’était une sortie expresse » dis-je finalement. « On a des horaires stricts ou tu as oublié une marmite sur le feu ?

- Ah ha, très drôle. Non, c’est juste que je préfère laisser les gens digérer tranquillement ce qui leur arrive. Je sais bien qu’ils essaient de nous montrer qu’ils sont contents et tout, mais moi, ça m’arrange plus si on se dit juste merci, au-revoir et à la prochaine. Ce qu’il y a entre l’autre vieux et sa femme, c’est pas mes oignons, alors dès que j’ai fait ce que j’avais à faire, je me taille. Tu comprends ?

- Un peu, j’imagine…

 Matthias pouvait donc faire preuve d’abnégation ? On me l’aurait dit le matin-même que je n’y aurais pas forcément cru. Décidément, il gagnait des points.

- Bon » dis-je alors, « qu’est-ce qu’on fait maintenant que pif-paf-pouf c’est réglé ? On reprend le Millepertuis voir ta cliente préférée ?

- Non mais sérieux… Si j’avais pas de la paperasse à lui faire signer, la seule raison pour laquelle je serais retourné voir la vieille peau aurait été de la jeter dans un gouffre ! Mais pour ta question, oui, c’est l’idée. Mais vu qu’on est pas aux pièces, je te propose qu’on aille se poser près de la mer pour prendre une petite pause. Ça te va ?

- C’est bon pour moi.

 Nous allâmes donc « nous poser » sur des rochers à quelques mètres des vagues. Matthias s’alluma une cigarette avant de s’allonger ; de mon côté, je restai assis à contempler l’horizon, repensant à cette première expérience en tant que chaïréticien…

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